Magazine Culture

Carnet de voyage i

Par Apolline Mariotte @ApollineAM

LE LONG DE L’ADRIATIQUE

VI

Dubrovnik

C’est sans doute l’appréhension du passage de la frontière qui nous réveille à l’aube. Notre petit-déjeuner avalé, notre chargement proprement rangé, nous roulons vers le nord-ouest. Nous décidons de prendre de l’essence avant de quitter le Monténégro. À peine sommes-nous arrivés dans la station qu’un pompiste vient à notre rencontre pour faire le plein. Nous lui laissons les quelques euros dus et repartons.

La route est déserte. Au poste de douane, seulement deux véhicules nous précèdent. Nous tendons nos passeports à l’employé qui répond par un froid car documents. Nous nous exécutons. Son œil fait l’aller et retour de nos photos à nos visages, l’homme tamponne le précieux sésame sur nos papiers, la barrière s’ouvre.

Nous longeons la Bosnie. Cette route ne semble pas avoir d’autre fonction que de relier les deux pays. Le poste de radio a basculé sur HR Radio Dubrovnik. Les plaques d’immatriculation croates se multiplient. Il ne nous reste qu’une dizaine de kilomètres. Nous arrivons par le haut de la ville. Une splendeur de toits ocre, ceints d’une muraille bordée par une mer bleu cobalt s’offre à nos yeux, à pic sous nos roues. Mais il nous faut être patients, la priorité étant de trouver un nid et de quoi mettre Polo à l’abri.

La mise en garde du loueur en tête, nous cherchons un apartment avec un garage fermé. Nous sonnons à l’une des adresses que nous avions notées. Construites en étages sur les flancs de la colline, les habitations ont une configuration particulière, on ne sait où se présenter. Pas de réponse. Peut-être sommes-nous trop matinaux. Nous continuons notre recherche. Ce n’est peut-être pas plus mal. Le parking de cet apartment est à la vue de tous.

Un peu plus loin, nous apercevons une rampe en descente, derrière une grille fermée par un cadenas. Au fond, des bouteilles en verre sont amassées. L’endroit ne paie pas de mine mais les quelques jours que nous avons passés depuis le début de notre périple ont entraîné notre esprit de déduction. Ce serait un parking idéal. À quelques mètres, un écriteau indique les apartments Kiki. Nous sonnons chez Kiki. Une femme avec une voix d’outre-tombe – elle a subi une trachéotomie – nous ouvre et nous fait visiter. Nous posons la question du parking. Nous avons eu le nez creux, c’est bien celui-là. L’affaire est conclue. Le passage est étroit, et en côte raide ; nous demandons au propriétaire de garer la voiture. Nous prenons tout notre barda, elle restera enfermée ces deux prochains jours, c’est un soulagement pour nous.

En prenant possession de notre apartment, nous sentons tout de suite que nous y serons bien. Une grande baie vitrée s’ouvre sur une terrasse baignée de soleil, face à la mer.

Nous préparons notre pique-nique et partons à pieds vers la vieille ville. Aujourd’hui, nous avons décidé de nous promener à l’extérieur, nous nous ferons un programme de visites pour demain. Nous entrons dans l’ancienne Raguse par la porte Ploče. Les dalles sur lesquelles nous posons les pieds sont lisses comme s’il avait plu tant il y a de passage. Dès nos premiers pas, nous allions être stupéfaits par la concentration de monuments. Chaque édifice est un monument, chaque balustrade est finement sculptée, chaque tuile ocre est parfaitement alignée avec ses semblables, chaque fontaine est délicatement travaillée, chaque détour dévoile une lanterne qui oscille sous la brise, un oranger dont les branches plient sous les fruits, un arc brisé surmonté de fagots de laurier séché, un jardin enclavé, un vitrail surmonté d’un chapiteau, un buisson de jasmin odorant.

Nous tirons quelques khuna, la monnaie locale, au distributeur et continuons notre balade. Les chats errants se prélassent au soleil devant les demeures de pierre. Nous pénétrons dans le couvent des dominicains et profitons de la quiétude du cloître à colonnades où les orangers et les palmiers s’épanouissent.

Latine et slave à la fois, la ville nous rappelle Rome. Du haut des remparts, on ne voit pas les rues tant elles sont serrées. D’un appui de fenêtre à l’autre, des fils à linge sont tendus. Un américain se fait photographier devant une ribambelle de petites culottes, et sa femme de lui adresser un Stan, you’re a perv résigné.

Nous rentrons dîner chez nous, sur les hauteurs. La lessive faite tout à l’heure dans le lavabo est déjà sèche.

Le soir venu, les campaniles éclairent la ville de leur lueur chaude. Nous redescendons vers les remparts. Nous avions vu que le quatuor à cordes de Dubrovnik jouait ce soir en l’église Saint-Sauveur. Les rues se sont vidées, les lanternes se sont allumées ; à côté du palais du recteur, le dong de la cloche du beffroi résonne, c’est un des souvenirs que je préfère de l’atmosphère de cette ville. Dans cette paix, les violons et violoncelles interprètent un pizzicato de Britten, sans archet. Epoustouflant.

De toutes celles que ma vie m’a donné de visiter, ce véritable joyau de la Dalmatie fera partie de mes villes préférées. Au cours de ce voyage, il est à chaque fois difficile de quitter une ville mais on se laisse toujours surprendre par la suivante

À suivre.


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