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A propos de L’ethnographe imparfait. Expérience et cognition en anthropologie.

Publié le 16 septembre 2015 par Antropologia

piaserePIASERE, Léonardo, 

Paris, Editions de l’EHESS, 2010.

Au sujet des réflexions devenues classiques sur « la place » de l’ethnographe et sur les « négociations » ou « stratégies » dont elle fait l’objet, voici la position de Piasere : Piasere considère que voir les relations d’enquête seulement sous l’angle de la négociation relève d’une projection ethnocentrique. Pour lui, pour rentrer dans le monde des enquêtés, nous ne sommes pas sans arrêt en train de négocier, nous créons une « résonance » comme le disent quelques intellectuels balinais à l’anthropologue norvégienne Unni Wikan, ce qui renvoie à notre notion d’empathie …
Leonardo Piasere écrit à la p. 168 : « Négocier l’interaction signifie négocier l’accès aux personnes. Dans la société de l’ethnographe occidental, cet accès est, sous tous les points de vue, hautement contrôlé : les spécialistes sont accessibles seulement sur rendez-vous et souvent après des mois d’attente : les amis eux-mêmes ne sont souvent accessibles qu’après rendez-vous téléphonique et accord sur les horaires ; les inconnus ne sont de même accessibles qu’après rendez-vous à travers des rituels spatiaux rigides. Pour cette raison, on peut se demander si un chercheur qui vient d’un département où toute interaction fait l’objet d’une super-négociation », ne sera pas enclin à catégoriser ses interactions ethnographiques dans les termes selon lesquels on entend la négociation dans sa propre culture ? ».
Or, note Piasere p. 169 : « il n’est pas dit que partout les hommes considèrent l’accès aux autres hommes comme une délicate affaire commerciale ou politique  (…) cette négociation omniprésente dont parlent Clifford et Cie est peut-être bien vue d’une autre manière par les partenaires de la rencontre ethnographique. Alors la considérer comme une négociation se révèle être un choix ethnocentrique ».
A la p. 170 : «  Je n’ai pas le sentiment qu’il soit pertinent d’évoquer ce « rester ensemble » dans des termes politico-commerciaux. Je ne veux pas dire qu’entre eux et moi et encore qu’entre eux-mêmes, il n’ait pas existé de conflits qu’il faille « négocier », au contraire. Je veux dire que l’interaction est un continuum de situations qui vont de la négociation la plus poussée au plaisir le plus intense, de la contractualisation la plus consciente à l’empathie la plus inconsciente. Toujours. Pourquoi cela ne pourrait-il pas advenir aussi dans la rencontre ethnographique ? (…) Pourquoi vouloir caractériser à tout coup, et du début à la fin, ce parcours en utilisant l’analogie que le chercheur a l’habitude d’utiliser pour évoquer ses rapports politiques ou de travail les plus conflictuels quand il est « à la maison » ? Il est exact que de nombreuses rencontres sont « supernégociées » : particulièrement à l’époque coloniale durant laquelle les « informateurs » étaient payés. (…) Mais est-ce ce qui se passe à tout coup ? Peut-être faut-il voir plutôt dans le « contrat » dont les relations ethnographiques font l’objet l’image de la recherche de partenaires d’échanges nord-américains à laquelle se livrent ces personnages appartenant à la périphérie de l’empire que sont les universitaires et autres académiciens, afin de participer au jeu des invitations réciproques et d’avoir une voix (dans ce cas, la plus atone qui soit) dans cette puissante académie. Quelle est la part de l’ethnocentrisme dans l’ « exagération » de la négociation ? Et dans quelle mesure celle-ci reflète-t-elle les rapports de domination internationale que les anthropologues, en particulier nord-américains, injectent dans leurs remords narratifs ? ».
Piasere prend l’exemple de l’anthropologue norvégienne Unni Wikan. Page 170, il écrit : « les intellectuels balinais ne disent pas à l’ethnographe : « tu dois négocier avec nous, mais « si tu veux comprendre, tu dois créer une résonance avec nous ».
Il ajoute p. 172-173 : «  (la résonance) s’apparente aux attitudes qui, dans la pensée occidentale, sont rendues par des termes comme « sympathie », « empathie » (…) Il s’agit en somme, d’une capacité-volonté de s’attacher à l’expérience d’autrui et de l’assumer en s’y impliquant (…) le concept balinais de résonance devient fondamental pour « une théorie de l’être ensemble au monde et de la compréhension mutuelle (…)  » (…) La résonance est l’expression d’une solidarité humaine anti-utilitariste, d’une possibilité d’interaction qui ne se trouve pas en permanence sous l’épée de Damoclès de la « négociation » (…) La résonance est l’instrument premier de l’ethnographe, celui par lequel les hommes sont, au-delà des langues, tous interculturels ».

Yann Beldame



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