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A quoi ressemblent les adhérents socialistes ? (2/2)

Publié le 22 septembre 2015 par Delits

A quoi ressemblent les adhérents socialistes ? (2/2)

Second volet de notre article de cet été, consacré aux adhérents socialistes.

Pour rappel, ces articles se fondent sur le travail mené par Claude DARGENT et Henri REY et publié au sein du cahier du CEVIPOF n°59 " Sociologie des adhérents socialistes ". La première partie était consacrée à la sociologie des adhérents socialistes et à son évolution depuis 1985. Aujourd'hui, nous nous intéressons plutôt à l'évolution des valeurs et des ancrages idéologiques.

Cet élément d'étude est particulièrement décisif pour le parti socialiste dont le fonctionnement et les lignes politiques dépendent directement des valeurs de ses adhérents. En effet, à chaque congrès, depuis sa fondation en 1971 à Epinay, les adhérents se voient proposés des " contributions ", ébauches de programme qui présentent les principales lignes directrices et les grands partis-pris idéologiques des différents mouvements. A partir de ces textes et des débats subséquents autour d'eux, des convergences éventuelles peuvent avoir lieu et aboutissent à des " motions ". Sur ces textes présentant des projets de société reposent le choix des adhérents qui aboutiront à la composition des instances dirigeantes du parti à différents niveaux. C'est donc sur la base de ces éléments que sera définie la ligne politique du parti jusqu'au congrès suivant.

Cette étude permet de lever certaines questions : quel est aujourd'hui le degré d'homogénéité idéologique du Parti Socialiste ? Est-il davantage clivé qu'auparavant ? Quelles influences ont pu avoir les années de crise sur les perceptions des adhérents ?

Réforme ou révolution ?

Un des principaux clivages idéologiques des forces de gauche renvoie à la manière dont on doit changer la société. Jusque dans les années 30, le tropisme révolutionnaire a globalement dominé au travers notamment d'un " refus du pouvoir ". Celui-ci s'atténue à partir de 1936 jusqu'à la prise de pouvoir dans les années 80 et l'affirmation claire au congrès de l'Arche en 1991, que le socialisme est un réformisme.

Qu'en est-il aujourd'hui ?

La grande majorité des adhérents du PS appellent de leurs vœux une amélioration " petit à petit de notre société par des réformes ".

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A noter que seuls les deux tiers des électeurs partagent ce point de vue, une part relativement plus importante d'entre eux préférant s'orienter vers un certain conservatisme (" Il faut défendre résolument notre société actuelle contre tous les changements ").

On constate ainsi que les adhérents du Parti Socialiste se révèlent plus radicaux que ses électeurs puisqu'ils éliminent quasiment l'option conservatrice qui attire pourtant un de leurs électeurs sur six. Ce constat valide, en partie, la loi de John May. Celle-ci établie une relation entre le niveau de proximité avec un parti et le degré d'extrémisme : les plus modérés en matière d'idées politiques sont les électeurs, les plus extrêmes les adhérents. Au milieu de ces deux positions, les responsables du parti font preuve de plus de modération que les adhérents mais apparaissent plus radicaux que les électeurs. Néanmoins, un bémol majeur à cette théorie apparait ici : le refus partagé par adhérents et électeurs de l'action révolutionnaire.

La diversité des motions a pu ainsi être constatée au congrès de Reims (2008). Les adhérents qui ont voté pour la motion C emmenée par Benoît Hamon au congrès de Reims choisissent plus fréquemment le changement radical par une action révolutionnaire (27%). Les trois autres principales motions s'expriment dans des parts moindres pour cette méthode : 8% pour la motion A de Delanoë, François Hollande et Pierre Moscovici, 11% pour la motion D emmenée notamment par Martine Aubry et Laurent Fabius et 17% pour la motion E portée par Ségolène Royal.

Le prisme des classes sociales toujours présent

Alors qu'on pourrait imaginer le prisme d'opposition de classes en déclin progressif et régulier, cette vision du monde semble conserver une certaine vigueur. A la question " En voyant ce qui se passe autour de vous, avez-vous l'impression que nous vivons dans une société caractérisée par la lutte des classes ? ", 71% des adhérents répondent positivement (32% " oui, tout à fait ", 39% " oui, plutôt "), quand ce chiffre n'était qu'à 65% en 1998.

En outre, 78% des adhérents ont le sentiment d'appartenir à une classe sociale : 61% d'entre eux à la classe moyenne.

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Si on compare ces réponses avec l'emploi effectivement occupé, on observe que 78% des professions intermédiaires et 65% des employés se rattachent aux classes moyennes. Cela confirme donc un élément mis en évidence dans notre article précédent : le Parti Socialiste est objectivement mais également subjectivement un parti de classes moyennes. Ce constat est fondamental lorsque l'on sait l'importance des représentations sociales en matière d'actions politiques, notamment eu égard à l'importance des motions dans le fonctionnement du Parti, notée en début d'article.

Le Parti Socialiste : un parti avant tout réformiste

Interrogés sur leurs attentes à l'égard de leur parti, les adhérents soulignent avant tout la nécessité de réformer la société, puis de défendre les valeurs républicaines. La lutte contre le capitalisme ne constitue qu'un enjeu mineur pour ces adhérents.

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Le réformisme constitue donc un axe central dans les perceptions et attentes des adhérents, en opposition, notamment, d'un idéal révolutionnaire qui s'inscrirait dans une référence marxiste. Quel changement en 40 ans !

On se souvient notamment de ces propos de François Mitterrand, au congrès d'Epinay de 1971 : " Violente ou pacifique, la révolution, c'est d "abord une rupture. Celui qui n'accepte pas la rupture, celui qui ne consent pas à la rupture avec l'ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent au Parti Socialiste ".

" Celui-là ", non seulement l'est devenu, mais il est désormais largement majoritaire.

Dès lors, quel comportement adopter vis-à-vis du capitalisme ?

Quel positionnement adopter face au libéralisme ? Comment changer la société, la réformer - puisque c'est la mission première du Parti - dans un monde libéralisé ?

La question du rapport au marché est longtemps restée un enjeu majeur au sein des clivages idéologiques. Il semble désormais que celle-ci fasse l'objet d'un certain consensus.

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Quelles que soient les motions testées, ce relatif consensus se constate désormais : la liberté d'entreprendre ne choque plus et le profit est perçu, d'une manière majoritaire, positivement. L'acceptation de l'économie de marché semble donc tranchée.

Un parti qui reste attaché à la question de l'égalité sociale et qui rejette les politiques d'inspiration libérale

Globalement acquis à l'économie de marché, les adhérents n'en restent pas moins critiques vis-à-vis de celle-ci et appellent de leurs vœux des modes de régulation collective. Les questions du pouvoir d'achat et des inégalités restent prégnantes dans leurs perceptions sociétales.

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Idem, les crédos libéraux insistant sur la nécessité de flexibiliser le marché du travail, génèrent une forte opposition.

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Il en va de même pour la logique de " chômeur assisté " : l'assertion " les chômeurs pourraient trouver du travail s'ils le voulaient vraiment " suscite un rejet massif (88%) quand 54% des Français l'approuvent. Le chômage constitue donc un véritable marqueur, encore, entre la droite et la gauche.

idem pour la baisse du nombre de fonctionnaires :

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Un clivage marqué sur la question de la mondialisation

Actant une économie mondialisée, les perceptions à l'égard des effets de la mondialisation pour un pays comme la France restent clivées. La lecture des résultats eu égard aux motions votées en 2008 se révèle ainsi particulièrement éclairante.

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Changement de valeurs sociétales : plus de tolérance mais également plus d'autorité

Si les grandes réformes sociétales récentes ont été mises en œuvre par des gouvernements de gauche (PACS, mariage pour tous...), il serait néanmoins étonnant de n'affubler les adhérents socialistes que d'une toge de tolérance naïve. En effet, sur ce point également de forts clivages traversent le parti. Ainsi la question de l'autorité est particulièrement clivante entre les différentes franges des électeurs et celles des adhérents.

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Le décalage est ici particulièrement marqué. Notons que la question de la discipline et de l'effort est plus particulièrement plébiscitée à droite : 83% chez les électeurs de Nicolas Sarkozy et 78% chez ceux de Marine Le Pen (65% au sein de l'électorat total).

De manière plus générale, une certaine remise en cause de la tolérance un peu trop systématique a été mise en évidence. Les électeurs PS n'y échappent pas.

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On constate au final que les adhérents accentuent les orientations des électeurs. La question de l'écart entre les orientations des électeurs, des adhérents et des représentants du Parti est donc toujours aussi prégnante. Si l'on ne raisonne plus en termes de 1ère ou de 2ème gauche, les récents débats autour des frondeurs et des déclarations d'Emmanuel Macron ont apporté un nouveau prisme à ces débats, notamment en portant l'attention sur des questions économique et sociales.

Concluons cet article avec Claude Dargent, auteur de cette partie dans le Cahier du CEVIPOF, qui résume ces questions : " Doit-on attendre des adhérents d'un parti qu'ils soient le décalque parfait de leurs électeurs ? Par construction, une organisation de cette espèce [...] n'accentue-t-elle pas fatalement les valeurs et attitudes de ceux qu'elle a l'ambition de représenter ? Le fait d'être immergé dans le débat politique ne condamne-t-il pas à simplifier des antagonismes qui peuvent apparaître plus confus dans la population générale ? [...] les membres d'une formation politique de gauche ne sont-ils pas fatalement un peu plus à gauche que leurs électeurs ? "


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