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Warhol : la peinture est un film comme les autres

Publié le 04 octobre 2015 par Pantalaskas @chapeau_noir

 Shadows

Tout a été dit, écrit, commenté sur l’œuvre d'Andy Warhol, sur sa stratégie publicitaire, sur la destinée mondiale de son travail. Il pourrait paraître téméraire de prétendre ajouter à cette somme de textes. Si bien que c'est plutôt un coup de chapeau sur une œuvre unique qui sera donné ici.

Shadows 1978-1979 Andy Warhol

Shadows 1978-1979 Andy Warhol

Lorsque l'on traverse l'exposition "Warhol  unlimited" au Musée d'art moderne de la ville de Paris, après avoir revisité les séries les plus célèbres de l'artiste ("Fleurs", "Mao" ou les "Chaises électriques" notamment), le parcours imposé débouche sur l'immense salle du musée qui déploie la série Shadows (Ombres) installation de cent trente mètres de long. Acheté par la Dia Foundation, les Shadows, toiles sérigraphiées de dix sept couleurs ont été réalisées en 1978-1979.  La série part de deux clichés d’ombres pris dans son célèbre atelier (The Factory) à New York. La singularité de cette œuvre majeure est de ne pas pouvoir être embrassée d'un seul regard dans sa totalité. En dépit de son envergure la salle du musée d'art moderne ne peut que séparer en plusieurs phases les cent deux tableaux qui composent Shadows.
La singularité de Shadows ne se limite pas à cette impossibilité physique de capter l'ensemble des cent deux éléments qui composent ce panoramique. Warhol a multiplié  à l'envi les images figuratives déclinées dans des séries devenues célèbres. Des boites de Campbell's Soup aux portraits de Marilyn Monroe, il nous offre un univers dans lequel l'efficacité de l'imagerie publicitaire s'impose radicalement, ne laissant place à aucune autre interrogation possible sur l'approche du réel. Aussi Shadows apparaît comme une fulgurante exception. Cette peinture, sous le prétexte figuratif de départ, ces deux clichés d’ombres captés dans son atelier, s'engage dans un jeu de textures et de couleurs, dans un protocole de permutation circulaire qui donne à ce parcours linéaire une toute autre dimension.

Shadows 197861979 Andy Warhol

Shadows 197861979 Andy Warhol

La contraignante image publicitaire abandonne la place à une scène abstraite qui laisse ouvert l'investissement imaginaire. Avec son développement dans l'espace, Shadows  induit le mouvement du spectateur pour tenter d'appréhender cet ensemble qui se dérobe.

Peinture séquentielle

L'inscription du mouvement sur les toiles mêmes n'est pas sans rappeler, me semble-t-il, les émouvantes tentatives des pionniers de l'image animée, s'évertuant à fixer sur une surface sensible cette insaisissable sensation du mouvement. Les photogrammes d'Etienne-Jules Marey, avant de réussir à capter une véritable image d'un oiseau ou d'un cheval au galop, sont passés par ces approches quelque peu avortées, ces toutes premières traces d'une invention en devenir.
Andy Warhol n'a cessé de s'intéresser à l'image animée. L'exposition du musée d'art moderne de la ville de Paris accorde une place importante à cet aspect de l'œuvre de l'artiste. Plusieurs salles présentent sur des écrans géants nombre de documents filmés par le peintre cinéaste. Avec ses films expérimentaux, Warhol exprimait cette fascination pour l'abandon d'une narration classique au profit d'une captation sans limites, presque sans fin, d'un réel hypnotisant ( notamment un film de huit heures constitué de bobines mises bout à bout et cadrant en plan fixe l'Empire State Building).
Shadows manifeste, avec sa centaines de toiles répétitives et sans cesse différentes, cette tentative de débordement de l'espace et du temps. Nous ne pouvons maitriser du regard l’œuvre proposée, nous sommes contraints au mouvement, donc au temps, pour tenter d'appréhender cette séquence peinte. Comme nous ne verrons jamais dans sa totalité cette peinture séquentielle, il ne nous reste que la possibilité de mémoire à la manière de la rémanence de l'image dans notre cerveau. Si bien qu'à l'image de l'obturateur des caméras d'antan, la projection de ce mécanisme sur la toile reproduit ce phénomène où une image pourtant toujours fixe est perçue comme animée par la magie de cette persistance rétinienne, miracle conjugué de l’œil et du cerveau.
Pour Andy Warhol, la peinture devient alors un film comme les autres. Shadows n'est pas seulement une peinture unique par sa démesure matérielle. Elle devient un moment d'exception dans l’œuvre.

"Warhol  unlimited"

Du 2 octobre 2015 au 7 février 2016

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
11 avenue du Président Wilson 75116 Paris


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