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(anthologie permanente) Sereine Berlottier

Par Florence Trocmé

Sereine Berlottier publie Louis sous la terre, aux éditions Argol, un livre autour du peintre Louis Soutter. 
 
Un oiseau chante. Voilà avril et sa lumière froide comme l’eau que tu vesses sur ton visage au matin, dont tu t’imprègnes soigneusement, humectant tes paupières, massant l’arrière de tes oreilles sèches, une lumière précise, tranchante, qui monte dans le ciel d’un coup et d’un coup y renverse l’apparence d’un monde rangé, choses et visages, animaux et fleurs, façades en pierre et clôtures à piquets, chacun son ombre, sa couleur, sa forme, arbres plantés dans le pré et outils appuyés au mur, tu regardes par le fenêtre, la lumière coule sur tes paupières, tes doigts plantés dans le bois de la balustrade, ta gorge est couverte d’un foulard épais, mais tu frissonnes, la lumière s’engouffre dans l’œil, tes paupières pèsent, au loin une échelle tremble, une branche vacille, même le chant des oiseaux apparaît moins net, ferme les yeux, laisse les cercles grandir sous tes paupières grises, laisse les particules dériver sous ton front, accepte l’ombre qui n’est pas une ombre, le noir peuplé de reflets, respire cette lumière froide, laisse-la nourrir tes narines pressées, debout contre la fenêtre, les yeux fermés, la bouche sèche, avance en secret dans le paysage, marche vers l’arbre, souris et marche sans t’arrêter, appuie ton dos à la croûte épiasse du tronc, repose tes mains, abandonne tes yeux, ne cherche rien, écoute seulement celui qui piaille et froisse les branches.  
 

 
Recule, Louis, maintenant. 
Penche le dos en arrière. 
Ouvre les yeux. 
Ferme la fenêtre et prends ton chapeau sur la chaise 
Enfile ta veste. 
Pose-la sur ton avant-bras si tu veux. 
N’oublie pas de fermer la porte de la chambre avant de partir. 
Descends les marches. 
Ne compte pas. 
Ni les marques de doigts sur la balustrade. 
As-tu emporté un cahier, quelques feuilles ?  
De sac non plus.  
De parapluie pas même. 
Une canne. 
On ne sait pas. 
Rien qui pourrait t’alourdir, te charger. 
Ni besace qui laisserait deviner. 
Un morceau de pain au fond de ta poche.  
Et pour l’eau le ruisseau, la fontaine, le puits. 
Et pour l’œil le nuage, l’auberge, le lac. 
Ton œil simple tout au fond. 
Suppliant qu’on te laisse 
Sortir 
 
 
Sereine Berlottier, Louis sous la terre, Argol, 2015, pp. 51 à 53.  
 
 
Quatre autres textes de Sereine Berlottier 
Fragment arraché au petit carnet,  
Des lignes chevauchées par des mots,  
peau morte bientôt / décrochée,  
c’est tout l’inconnu du chemin à venir qui courbe le front
 
 
et deux notes de lecture :  
fiche de lecture de Chao Praya,  
Attente, partition (A. Emaz) 


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