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Nayla Khalil, une reporter palestinienne qui dit « non »

Publié le 08 juin 2008 par Delphineminoui1974
BLOG de Nayla Khalil.jpgSon père rêvait de la voir, au mieux, mariée et mère de famille. Au pire, célibataire et comptable, de manière à rentrer à la maison à des heures suffisamment décentes pour éviter les cancans du voisinage. Dans le camp de Balata, à Naplouse, en Cisjordanie, où s’entassent plus de 20 000 réfugiés palestiniens, Nayla Khalil fait figure d’exception. Là bas, rares sont les femmes qui sortent avec un diplôme. Ou qui s’en sortent, tout simplement.
Prix Samir Kassir pour la liberté d’expression
A 30 ans, la journaliste palestinienne savoure sa petite victoire. Ce lundi 2 juin, les photographes agglutinés autour de la piscine de l’hôtel Phoenicia de Beyrouth n’ont d’yeux que pour cette jeune femme aux yeux pétillants, un keffieh symbolique enroulé autour des épaules. Elle vient d’y recevoir le Prix Samir Kassir pour la liberté d’expression pour un article d’une réalité féroce qui dénonce les détentions arbitraires et les tortures pratiquées par les deux principales forces politiques palestiniennes, le Hamas et le Fatah, en prise à une lutte de pouvoir fratricide, qui fragilise aujourd’hui leur position face à Israël.
« C’est maman qui va être fière… », souffle Nayla Khalil, en redressant le foulard noir qui encadre son visage en forme de soleil. Analphabète, elle est sa première oreille, sa conseillère de l’ombre. « Bravo, ma fille, tu as su rester neutre. Tu es une vraie Palestinienne », lui avait-elle glissé en mars dernier, lors du bouclage de son enquête, publiée sur le site Internet « Amin.org ». « C’est le meilleur compliment qu’elle pouvait me faire ». L’article qui visait, dit-elle, « à nous obliger à nous regarder en face, à nous faire réaliser que les tortionnaires ne sont pas que nos ennemis israéliens », ne tarda pas à déclancher une pluie de menaces téléphoniques. « J’ai même reçu des messages de certains détenus se plaignant d’avoir été cités dans le même papier que des victimes de l’autre camps… ».

Des heures d’attente, de fouille, d’interrogatoires
Mais la jeune reporter est une habituée des chemins embusqués. Pour venir recevoir son Prix à Beyrouth, il lui a fallu faire le détour par Amman, en Jordanie, et traverser, sous un soleil brûlant, une demi-douzaine de check-points de l’armée israélienne. Des heures d’attente, de fouille, d’interrogatoires. « Ca vous étonne ? Moi, ça fait partie de mon quotidien ! », rigole-t-elle.
Ce n’est que lorsqu’on lui demande ce qui la fait tenir que son visage s’assombrit. « Un jour, un écrivain palestinien m’a dit : « Je ne résiste pas pour la victoire, mais pour que mon droit soit reconnu » », murmure-t-elle, en glissant la main au fond de son portefeuille. Trois photos de jeunes hommes au visage fin y sont minutieusement rangées : Ahmad et Mahmoud, deux de ses sept frères, détenus depuis deux ans par les Israéliens, et un ami proche, abattu il y a quelques mois.

« En 2000, lors de la seconde Intifada, Ahmad a vu son meilleur ami se faire tirer 20 balles dans le corps. Il avait 14 ans. Depuis, il a choisi les armes pour se battre. Moi, j’ai choisi mon stylo », dit-elle.
Le Coran et les Mille et une nuits pour lecture
A l’âge où l’on joue à la poupée et où ses frères jetaient des pierres contre l’armée israélienne, Nayla Khalil préférait déjà s’enfermer dans sa chambre pour lire et relire les deux seuls ouvrages de la maison : le Coran et les Mille et une nuits. « Mes parents, issus d’un milieu modeste et traditionnel, n’avaient pas les moyens d’en acheter d’autres. Parfois, je lisais des passages à haute voix pour mes grands-parents… ».
Inspirée par « la magie du langage des Mille et une nuits », elle se met d’abord à composer des poèmes d’amour. « Mes camarades de classe s’en servaient pour aller déclarer leur flamme à leurs dulcinées », se souvient la jeune effrontée.
Très vite, le journalisme la démange. Il lui faudra insister une année entière pour gagner la confiance parentale. « Partir travailler à Ramallah, au Sud de Naplouse, c’était, pour mes parents, comme aller voyager aux Etats-Unis : impensable !», dit-elle. En 2003, Nayla finit par y décrocher un poste dans une association caritative. « Le matin, je donnais le bain aux personnes âgées et je lavais la vaisselle, l’après-midi, je faisais mes interviews et la nuit j’écrivais mes premières piges», raconte-t-elle.

Interviewer un des survivants du camps de Sabra et Chatila
Lorsqu’elle postule au quotidien Al-Ayyam, son employeur actuel, la compétition est rude. Pour faire la différence face aux 12 autres candidats, pour la plupart des hommes, elle y va au culot. « Une de mes épreuves consistait à interviewer un des survivants du camps de Sabra et Chatila. Il vivait à Gaza et je n’avais pas les moyens d’aller le voir. Je lui ai téléphoné en le suppliant de me rappeler immédiatement à ses frais ». Quelques jours plus tard, l’article est publié à la une… mais sans sa signature.

Ce n’est qu’une semaine plus tard que le rédacteur-en-chef lui annonce la bonne nouvelle : elle est embauchée ! Avec une seule réserve : son hedjab dérange.

« Je me couvre la tête, mais je ne couvre pas mes pensées », lui répond-elle alors, du tac-au-tac.

Un leitmotiv qui lui donne aujourd’hui la force, trophée en main, de poursuivre sa route.

Jusqu’au bout des mots.


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