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8 juin 1903/Naissance de Marguerite Yourcenar

Par Angèle Paoli

Éphéméride culturelle à rebours


    Le 8 juin 2003, naissance à Bruxelles de Marguerite Yourcenar.


L’ACCOUCHEMENT
    L’être que j’appelle à moi vint au monde un certain lundi 8 juin 1903, vers les 8 heures du matin, à Bruxelles, et naissait d’un Français appartenant à une vieille famille du Nord, et d’une Belge, dont les ascendants avaient été durant quelques siècles établis à Liège, puis s’étaient fixés dans le Hainaut. La maison où se passait cet événement, puisque toute naissance en est un pour le père et la mère et quelques personnes qui leur tiennent de près, se trouvait située au numéro 193 de l’avenue Louise, et a disparu il y a une quinzaine d’années, dévorée par un building.
    Ayant ainsi consigné ces quelques faits qui ne signifient rien par eux-mêmes, et qui, cependant, et pour chacun de nous, mènent plus loin que notre propre histoire et même l’histoire tout court, je m’arrête, prise de vertige devant l’inextricable enchevêtrement d’incidents et de circonstances qui plus ou moins nous déterminent tous. Cet enfant du sexe féminin, déjà pris dans les coordonnées de l’ère chrétienne et de l’Europe du XXe siècle, ce bout de chair rose pleurant dans un berceau bleu, m’oblige à me poser une série de questions d’autant plus redoutables qu’elles paraissent banales, et qu’un littérateur qui sait son métier se garde bien de formuler. Que cet enfant soit moi, je n’en puis douter sans douter de tout. Néanmoins, pour triompher en partie du sentiment d’irréalité que me donne cette identification, je suis forcée, tout comme je le serais pour un personnage historique que j’aurais tenté de recréer, de m’accrocher à des bribes de souvenirs reçus de seconde ou de dixième main, à des informations tirées de bouts de lettres ou de feuillets de calepins qu’on a négligé de jeter au panier, et que notre avidité de savoir pressure au-delà de ce qu’ils peuvent donner, ou d’aller compulser dans des mairies ou chez des notaires des pièces authentiques dont le jargon administratif et légal élimine tout contenu humain. Je n’ignore pas que tout cela est faux ou vague comme tout ce qui a été réinterprété par la mémoire de trop d’individus différents, plat comme ce qu’on écrit sur la ligne pointillée d’une demande de passeport, niais comme les anecdotes qu’on se transmet en famille, rongé par ce qui entre temps s’est amassé en nous comme une pierre par le lichen ou du métal par la rouille. Ces bribes de faits crus connus sont cependant entre cet enfant et moi la passerelle viable ; ils sont aussi la seule bouée qui nous soutient tous deux sur la mer du temps. C’est avec curiosité que je me mets ici à les rejointoyer pour voir ce que va donner leur assemblage : l’image d’une personne et de quelques autres, d’un milieu, d’un site, ou, ça et là, une échappée momentanée sur ce qui est sans nom et sans forme.
Marguerite Yourcenar, Souvenirs pieux< /EM>, in Essais et mémoires, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard, 1991, pp. 707-708.




Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) 25 novembre 1968/Sortie en librairie de L’Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar ;
- (sur Terres de femmes) 6 mars 1980/Marguerite Yourcenar, première femme élue à l’Académie française ;
- le site du Centre de Documentation Marguerite Yourcenar de Rome (en italien).
Pour écouter/voir Marguerite Yourcenar :
- consulter les cinquante-trois médias disponibles dans les Archives pour tous de l'Institut National de l'Audiovisuel ;
- se rendre sur le site Voix d'auteurs ou cliquer ICI.
On peut aussi écouter une interview de Josyane Savigneau sur Marguerite Yourcenar en cliquant ICI.



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