Magazine Culture

Carnet de voyage i

Par Apolline Mariotte @ApollineAM

LE LONG DE L’ADRIATIQUE

IX

Morača et Rijeka Crnojevića

Notre étape du jour est le monastère orthodoxe serbe situé dans le canyon de la Morača. Nous sortons de Cetinje puis dépassons Podgorica par sa banlieue pour nous engager sur la route qui monte au monastère. Deux files, une dans chaque sens, longent la rivière. Les tunnels, creusés dans la montagne, ne sont pas éclairés. Les travaux qui paralysent certaines portions dans notre sens ne sont pas signalisés. Des hommes équipés de pancartes font passer le feu du rouge au vert et vice versa avec une absence totale de coordination. Des bétonnières déversent leur poix visqueuse et noirâtre sur la route ; l’odeur brûlante du goudron se répand dans nos poumons. Les monténégrins agacés par notre conduite prudente nous doublent sans visibilité. Nous croisons des poids lourds si imposants que l’on se demande comment la langue de terre qui tient lieu de route est encore debout. Le voyage est éprouvant pour nos nerfs. Sur le bord de la route, des hommes en orange ramassent les déchets jetés par les automobilistes. Chaque sac rempli d’ordures est laissé sur place ; il sera sans doute ramassé par un camion.

Au bout d’un moment, nous apercevons le monastère en contrebas. Nous ralentissons, sortons de la route et nous garons devant le portail non sans soulagement. Je troque mon short et mon débardeur contre un pantalon et des manches longues.

Chacun se signe en entrant dans l’enceinte du monastère. Quelques personnes se promènent dans le jardin verdoyant. Ce jardin est un curieux mélange ; des tombes jaillissent de l’herbe grasse ; au milieu des tombes, un apiculteur en combinaison blanche, coiffé d’un chapeau et d’un voile s’occupe des ruches. Des caissons de bois peint en jaune, bleu clair ou vert s’élève le bourdonnement des abeilles. Lorsque l’on s’approche, les insectes tournoient autour de nos têtes. Des cloches sont posées le long du mur d’enceinte. Une grande quiétude se dégage de cet endroit. Nous pénétrons dans l’église consacrée à l’Assomption de Marie. Les parois sont entièrement recouvertes de fresques. Pas un seul centimètre carré n’a été laissé blanc. Dans ce lieu qui fut le centre de la résistance anti-ottomane pendant l’occupation, les plus anciennes fresques datent de 1252. On y découvre la généalogie de Jésus ou encore, une représentation du Jugement dernier. Une autre petite église est consacrée à Saint Nicolas.

Après avoir pique-niqué au bord de la rivière, nous quittons à regrets ce lieu si propice au recueillement et reprenons la route vers Podgorica. Chaque kilomètre nous rapproche de la capitale et de notre point de départ d’il y a quinze jours. Ces deux semaines en ont paru quatre. Arrivés à Podgorica, le blues nous submerge. Les immeubles rappellent les blockhaus de la période communiste, les berges du fleuve sont une décharge à ciel ouvert. Nous retrouvons notre hôtel 3 étoiles du premier jour et regardons notre barda qui jonche le sol, désœuvrés. Pas encore rentrés, l’envie de repartir est irrépressible.

Nous reprenons l’avion le surlendemain. Pas question de passer la journée du lendemain ici.

Nous retrouvons avec bonheur Ivana, la réceptionniste à la bienveillance naturelle. La joie qui se lit sur son visage lorsqu’elle nous reconnaît est réconfortante. Elle nous conseille une excursion à Rijeka Crnojevića. Rijeka quoi ?

Derrière ce nom imprononçable pour des Français mais si mélodieux dans sa bouche, nous allions découvrir un paysage digne des décors des plus grands films fantastiques en trois dimensions.

Aux sources du lac Skadar, sur la route cahoteuse qui serpente le long des ravins vertigineux, le long du bras de rivière couvert de lentilles d’eau et de nénuphars, la nature a de quoi faire pâlir l’Amazonie et la baie d’Along réunies. De loin en loin, en innombrables plans, des montagnes sortent de l’eau telles des cratères. La roche recouverte d’un tapis d’arbres est un paradis pour les hérons. Une odeur d’humidité et de plumes de canard mouillé monte jusqu’à nos narines. Une barque effilée glisse sur l’eau, formant une ligne courbe, comme un pli sur un tissu précieux.

Rester ici. Oublier le temps qui s’envole et l’avion qui nous attend. Aucun mot ne peut décrire ce que nous avons vu. Alors… allez-y.

Fin.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Apolline Mariotte 546 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte