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Un dialogue social de sourds ?

Publié le 28 octobre 2015 par Delits

Loi Rebsamen relative au dialogue social promulguée l'été dernier sans que le patronat et les syndicats de salariés ne soient parvenus à s'entendre au préalable, violences et suppressions de postes chez Air France suite à l'échec des discussions entre la direction et les pilotes, politique de la " chaise vide " de la CGT à la dernière grande conférence sociale... autant de signes d'un dialogue social particulièrement difficile aujourd'hui en France. Si un dialogue induit, nécessairement, des parties-prenantes aux avis potentiellement divergents et ne peut pas toujours être exempt de conflictualité, cette notion implique également un mode de conversation fondé sur la raison en vue d'aboutir à des accords. Or, force est de constater que les bases de cet échange semblent aujourd'hui largement entamées, entraînant au sein de la population française le sentiment d'un dialogue de sourds.

L'espoir déçu d'un dialogue social au centre du quinquennat

Pourtant, comme le développait un précédent article rédigé en mai 2012, l'espoir avait été réel au début du quinquennat de François Hollande. Si Nicolas Sarkozy avait au cours de sa campagne fait montre de sa volonté de passer au-dessus de " corps intermédiaires " jugés pour partie responsables de l'immobilisme de la société française, François Hollande avait au contraire signifié son désir de renouveler le dialogue social pour promouvoir la réforme. Et cela avait pu séduire une partie de son électorat, et convaincre plus largement les Français, qui accueillaient positivement la perspective des grandes conférences sociales. A l'époque, deux-tiers des Français indiquaient dans un sondage Harris Interactive préférer que le nouveau Président de la République " consulte au préalable tous les partenaires sociaux (comme les organisations syndicales) avant de mettre en place des réformes, même si cela prend plus de temps " plutôt qu'" il mette en place rapidement des réformes, quitte à ne pas consulter au préalable tous les partenaires sociaux ".

Plus de trois ans après, 59% des Français ne jugent " pas utile" la dernière grande conférence sociale pour l'emploi organisée par François Hollande le 19 octobre, selon un sondage OpinionWay pour AxysConsultant et Le Figaro. Si à Gauche, cette utilité est encore majoritairement défendue, au Centre, à Droite, ou parmi les Français ne déclarant aucune sympathie partisane, le sentiment d'inutilité prédomine largement. Et l'ancienne proposition du candidat Nicolas Sarkozy de pouvoir organiser des référendums en entreprises ressurgit et obtient un franc succès dans l'opinion : 83% des Français se déclarent en effet aujourd'hui favorables à la tenue de tels référendums " pour que les salariés décident lorsque les négociations entre leur employeur et les syndicats sont bloquées ". Cette solution, qui " court-circuite " les actuels partenaires du dialogue social et renaît lorsque celui-ci patine, plait aussi bien aux sympathisants du PS (80%) qu'à ceux des Républicains (85%) ou du Front National (85%). Dans cette même étude, une proposition encore plus disruptive est appréciée par une majorité de Français. En effet, 55% soutiennent l'idée que le régime d'assurance-chômage, aujourd'hui géré par les partenaires sociaux et qualifié de " largement déficitaire ", soit désormais géré par le gouvernement. Les regards portés sur cette mesure sont nécessairement teintés par la proximité avec le gouvernement actuel, mais il reste intéressant de noter qu'une majorité des sympathisants de Gauche approuve cette proposition. Ces prises de position laissent entrevoir le fait que les Français estiment en majorité ne plus pouvoir faire confiance au dialogue des partenaires sociaux et qu'ils considèrent qu'il faut en appeler à l'autorité non discutable - c'est-à-dire ne pouvant souffrir le dialogue - du Gouvernement ou du peuple, à travers la méthode référendaire. Pour faire écho à un autre article paru récemment sur Délits d'Opinion, c'est dès lors un malaise démocratique qui se fait jour, la dimension même de représentativité, à la base du dialogue social, étant interrogée.

Une crédibilité des acteurs du dialogue social de plus en plus interrogée

Car c'est bien là que le bât blesse : les acteurs du dialogue social souffrent tous d' un profond déficit de crédibilité, qu'ils contribuent à alimenter les uns par rapport aux autres, nuisant à la confiance envers ce mécanisme censé faire avancer le pays.

Les pouvoirs publics font face à une défiance qui n'est, certes, pas nouvelle mais s'établit à un niveau sans précédent. On ne leur prête ni capacité d'écoute, ni qualité de décision, deux qualités nécessaires pour un dialogue concluant. François Hollande n'est qualifié ni d'autoritaire ni n'est décrit comme particulièrement à l'écoute des partenaires sociaux. Sous le feu des critiques croisées des syndicats et du patronat, le gouvernement ne parvient pas à rétablir la confiance des Français, que ce soit concernant le fond de ses décisions ou au sujet de ses méthodes d'action. Les pouvoirs publics ne parviennent dès lors pas à jouer leur rôle d'instauration d'un climat social propice au dialogue. Dans ce cadre, le recours à l'article 49-3, utilisé par le gouvernement en juin pour faire passer la loi Macron, a pu apparaitre comme un coup de canif manifeste au dialogue social, largement critiqué par les syndicats. Selon les études, 6 à 7 Français sur 10 ont également désapprouvé cette utilisation (63% selon un sondage Odoxa, 68% selon un sondage Elabe). L'annonce fin septembre de la décision de Manuel Valls d'appliquer l'accord concernant la revalorisation du salaire des fonctionnaires bien qu'il n'ait été signé que par six des neufs syndicats, représentatifs de 49% des fonctionnaires, a également pu être perçue comme un passage en force peu respectueux du dialogue social.

Les syndicats de salariés souffrent également d'une assise de confiance largement dégradée. Le nombre de leurs adhérents reste limité et le modèle des élections professionnelles ne semble pas permettre de les doter de suffisamment de crédibilité aux yeux de l'ensemble de la population. Selon un sondage OpinionWay, 54% des Français considéraient en avril dernier que les syndicats ne sont pas utiles et 68% qu'ils ne sont pas représentatifs des salariés, même si 56% continuaient à leur faire confiance pour défendre leurs intérêts. Seuls 44% déclaraient leur faire confiance pour signer des accords gagnant-gagnant avec le patronat et 43% pour gérer les organismes paritaires. Selon un sondage plus récent Elabe pour Les Echos et l'Institut Montaigne, 51% des Français estiment que les syndicats sont " plutôt un élément de blocage de la société française ", quand 47% pensent qu'ils sont " plutôt un atout et devraient être davantage entendus par les entreprises et les pouvoirs publics ". Les avis sont donc assez partagés : deux-tiers des sympathisants de Gauche estiment plutôt que les syndicats ont un rôle à jouer en matière de progrès social, quand plus de 8 sympathisants du Centre et de la Droite sur 10 considèrent qu'ils annihilent toute tentative d'avancée. Le gouvernement lui-même, en la personne de François Hollande, interroge la position de certains syndicats, en déclarant à l'ouverture de la dernière conférence sociale qu'il est " " commode [...] de ne jamais s'engager à signer le moindre accord en espérant que d'autres le feront à leur place tout en dénonçant au même moment les insuffisances du dialogue social ". Pourtant les syndicats signent de nombreux accords en entreprise. Si cette phrase vient sanctionner le refus de la confédération dirigée par Philippe Martinez de s'asseoir à la table des partenaires sociaux, elle contribue sans doute à affaiblir le poids de syndicats que François Hollande souhaitait en 2012 à ses côtés pour affirmer sa méthode de gouvernement consultative et concertée.

Quant au patronat, les Français ne lui accordent guère une confiance beaucoup plus élevée. Il y a un peu plus d'un an, 57% des Français déclaraient dans un sondage BVA avoir une mauvaise opinion du MEDEF et 53% préféraient que le gouvernement ne prenne pas davantage en compte ses revendications. Ainsi, le MEDEF de Pierre Gataz n'apparaît guère nécessairement comme un acteur du dialogue social plus constructif. Et les autres parties-prenantes interrogent souvent la volonté du patronat de contribuer véritablement à la reprise de l'emploi, par exemple suite à la mise en place du pacte de responsabilité. Dans un sondage Harris Interactive pour l'Humanité Dimanche mené début octobre, cette défiance envers le patronat s'incarne dans la question des salaires : 60% des salariés français estiment que leur entreprise abrite de trop grands écarts de rémunération, 67% considérant en outre que leur(s) dirigeant(s) pourrai(en)t augmenter les salaires. Les dirigeants d'entreprise sont ainsi vus comme défendant leurs seuls intérêts et non ceux de l'ensemble des salariés.

Très critiques les uns envers les autres, enfermés dans des postures d'opposition, entretenant la dissymétrie d'information (à ce titre, cette analyse parue il y a peu sur le site du Monde est éclairante), les différents acteurs du dialogue social contribuent à écorner la confiance envers les autres partenaires mais également par ce biais à pénaliser la perception du bien-fondé du dialogue même. Sourds aux revendications des uns et des autres, ils apparaissent de plus aveugles aux préoccupations des Français et peu soucieux de l'intérêt général. La modernisation qualifiée de timide, voire de timorée, du dialogue social prévue dans la loi Rebsamen n'apparait pas de nature à pouvoir inverser cette tendance. Faute de confiance, le dialogue social tel qu'il existe aujourd'hui en France risque de disparaître ou en tout cas d'être remplacé par d'autres formes de concertation dont on peine encore à entrevoir les contours.


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