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Le polyglotte de l'imaginaire

Publié le 21 mai 2008 par Maitrechronique
Il a dû tout récemment prendre une décision importante : remplacer au plus vite Antoine Paganotti en tant que chanteur de Magma. C'était au mois de février, alors que des concerts étaient programmés, dont le premier à Grenoble au mois de mars. Hervé Aknin s’est prêté au jeu des questions-réponses et nous propose de mieux faire connaissance avec lui. Portrait d’un artiste humble et attachant… et un grand merci à lui pour le temps qu’il a bien voulu consacrer à cette interview.
Photo : Fabrice Journo
Hervé, peux-tu, en quelques lignes, nous dire d’où tu viens, quelle est ta formation musicale et quel a été ton parcours artistique avant d’intégrer Magma ?
HA : Je me présente donc : je m’appelle Hervé Aknin, je suis né le 15 juin 1961 à Constantine (Algérie), je vis dans le Sud de la France à Montpellier. Mon parcours musical est assez chaotique : j’ai commencé par apprendre les rudiments de la guitare à 17 ans et dès que j’ai été capable de jouer trois accords, j’ai "composé" mes premières chansons avec la collaboration de mon frère aîné Patrick qui écrivait les paroles.
La musique est arrivée tard chez moi ! Je devais avoir 14-15 ans quand j’ai entendu pour la première fois les sons de guitares saturées de Deep Purple, Led Zeppelin, Queen, etc. Avant, ça dépassait rarement Guy Lux et la famille Carpentier ! Et puis le miracle s’est accompli quand mon frangin a eu assez de thunes pour s’acheter une "chaîne stéréo" !
Et là, tous les groupes métalliques de l’époque sont passés ! Petit à petit, je me suis dirigé vers les musiques dites "progressives" : Yes, Genesis etc., puis le jazz rock de Return to Forever, Mahavishnu Orchestra, Zappa. Je me suis dirigé tranquillement vers les musiques funky par l’intermédiaire de Al Jarreau et Earth Wind & Fire et j’ai découvert Magma !!!... et le jazz ! Sans Magma, je n’aurais peut-être jamais écouté de jazz, et je serais passé à côté de Coltrane, de Miles, d’Art Blakey.
J’ai chanté dans pas mal de groupes de rock progressif de la région montpelliéraine au tout début des années 80 : Gandalf, Futuo etc., j’ai commencé à travailler ma voix vers 85-86 avec un professeur particulier : M. Claude Verhagen, puis j’ai décidé de "tenter" le conservatoire – ce n’est pas forcément la meilleure idée que j’ai eue ! – j’y suis resté deux ans et j’ai continué ma formation avec des professeurs prestigieux tels que Jean Pierre Blivet (professeur de Nathalie Dessay, s’il vous plaît) et Yva Barthelemy. Finalement, après bien des années d’errance, je suis retourné vers mon premier professeur M. Verhagen à qui je dois tout ! Parallèlement à tout cela, j’ai chanté dans diverses formations jazz.
Dans les années 90, j’ai participé à la création du groupe vocal "Les Grandes Gueules", j’ai rejoint le Groupe classico-comique "Le Quintet de l’Art", enregistré un disque a cappella avec "Les Fêlés du Vocal".
Et en 2002, nous avons créé, Odile Fargère et moi-même, "Elull Noomi", un groupe vocal a cappella. Le répertoire est fait de compositions à moi, chantées dans une langue imaginaire, inventée par Odile. Nous avons sorti notre premier album en 2007 sur le label Ex-tension Records de Stella et Francis Linon, et Antoine Paganotti nous a rejoints en 2004.
Ton arrivée au sein de Magma s’est opérée dans un contexte marqué par une certaine urgence compte tenu du départ précipité de trois des membres du groupe qu’il fallait remplacer très vite. As-tu hésité lorsque tu as été sollicité, étant donné qu’il s’agissait de remplacer au plus vite Antoine Paganotti, voix de Magma depuis 10 ans et qui avait fini par devenir une composante essentielle du groupe ?
HA : Alors c’est vrai que j’ai hésité ! La première raison est que j’avais du mal à croire que ça m’arrivait vraiment. Quand Stella m’a appelé courant février pour me proposer de participer à cette aventure, j’ai bien mis 45 minutes à retrouver mon souffle après avoir raccroché ! Ensuite, bien sûr il y avait Antoine. Il était important pour moi de savoir comment il vivait tout ça, et surtout s’il existait une chance pour qu’il revienne sur sa décision. Je l’ai appelé et nous avons longuement parlé de cette situation étrange. Finalement, il m’a dit que je n’avais aucune raison de refuser. Le lendemain, j’ai rappelé Stella, et voilà…
Que penses-tu pouvoir, à terme, apporter au groupe et que penses-tu que le groupe pourra t’apporter ?
HA : Pfffiouuuu ! Ce que je peux apporter ? Franchement je ne sais pas ! Pour l’instant j’agis, je ferai un bilan plus tard. Le son sera forcément différent puisque je n’ai ni la voix de Klaus, ni celle d’Antoine. En même temps, il m’appartient de faire le maximum pour que le son reste celui de Magma. Donc, pour l’instant je dirais que je peux apporter ma bonne volonté, tout mon amour pour cette Musique et ma disponibilité. Pour le reste, on verra plus tard.
Ce que Magma peut m’apporter ? J’ai la chance de chanter avec des musiciens exceptionnels. La liste serait trop longue !
Est-ce que tu vas occuper une place identique à celle d’Antoine Paganotti ou bien Magma (qui compte actuellement une voix en moins puisqu’Himiko Paganotti n’a pas été remplacée) va-t-il déployer autrement son chant ?
HA : Dans un premier temps, il a fallu parer au plus pressé. J’ai été contacté courant février et il fallait être prêt fin mars pour le festival de Jazz de Grenoble ! Ma voix est donc pour l’instant une sorte de mix entre celle d’Antoine et celle d’Himiko, l’important étant de trouver l’homogénéité entre Stella, Isabelle et moi pour que la musique de Christian sonne. Au final, c’est la seule chose qui importe. Il a été question qu’une chanteuse intègre le groupe, mais je ne sais pas ou ça en est.
Selon toi, et avec l’expérience de ces premières semaines, les "petits nouveaux" de Magma – la seconde arrivée dans le groupe étant celle du pianiste Bruno Ruder à la place d’Emmanuel Borghi – peuvent-ils contribuer à une évolution de Magma et si oui, de quel ordre serait-elle ?
HA : Pas facile comme question ! Je serais tenté de répondre comme à la question concernant ce que l’on peut apporter à Magma : on verra plus tard. En fait, il faudrait poser la question à Christian puisqu’au final, c’est lui le compositeur. Que peut bien lui inspirer tout ceci ?
Bruno est un rythmicien fou ! Il travaille sur des équivalences que je n’imaginais même pas. Il faut que je m’accroche comme un malade pour tout piger et je suis bien content parce que je ne sais pas si cela va faire évoluer Magma, mais c’est certain : ça va me faire évoluer moi !
Quel a été ton premier contact avec la musique de Magma ?
HA : Mon premier contact décisif avec la musique de Magma a eu lieu en 1979. Je travaillais dans une fabrique de meubles à Lunel, petite ville du sud de la France, j’avais 18 ans. J’ai rencontré dans cette usine un fan de Magma. Il était musicien, bassiste. Il avait fait partie d’un groupe qui à l’époque était l’équivalent des Beatles à Lunel ! Ce groupe s’appelait Zakmoon, et lui s’appelle Jean-Charles Matta. Il m’a d’abord fait écouter le Live à la Taverne. Et paf ! La claque ! Je n’avais jamais entendu une telle musique auparavant ! Des sonorités incroyables, intemporelles. Et le rythme ! C’est simple, quand je mettais – et c’est toujours d’actualité – un disque de Magma, je ne pouvais rien écouter d’autre derrière, à part un autre disque de Magma bien sûr…
Avais-tu imaginé un jour faire partie de l’écurie Vander ?
HA : J’en ai rêvé ! Mais c’était plus un fantasme qu’un but. Je me souviens que vers mes 20 ans, j’ai dit pour rire : « Je suis Le chanteur de Magma ! C’est juste que pour l’instant "ils" ne le savent pas ! »... Et voilà qu’une bonne vingtaine d’années plus tard, Stella m’appelle ! C’est pas complètement dingue, ça ?
Tu vas, de fait, participer à l’enregistrement du prochain disque de Magma, "Ëmëhntëht-Rê" qui est par ailleurs une composition aujourd’hui mythique du groupe. Sacré enjeu ou enjeu sacré ?
HA : Déjà, je trouve incroyable de dire que je chante dans Magma ! Quand je rencontre quelqu’un que je n’ai pas vu depuis quelque temps et qu’il me demande : « Alors ? tu fais quoi en ce moment ? » et que je lui annonce la bonne nouvelle, j’en reviens pas que ces mots sortent de ma bouche : « Je chante dans Magma »… Alors voir mon nom sur une pochette de CD…
Tu es l’une des deux têtes du sextette vocal Ellul Noomi (1), dont Antoine Paganotti est membre. Voilà une situation atypique, pas forcément simple à gérer. Vas-tu maintenir la coexistence de ces deux formations ?
HA : Ce n’est pas simple à gérer mais pas impossible non plus ! Et le fait que je chante dans Magma ne remet absolument pas en cause l’existence d’Elull Noomi. D’ailleurs je me suis remis à composer ! Elull Noomi est très important pour moi. Et sans cette expérience, je n’aurais peut-être jamais rencontré Stella, Francis, Christian, Antoine et toute l’équipe. On a envie de créer, de jouer et une formidable envie d’avancer !
Dans Elull Noomi, tu chantes une langue inventée (l’Elull Noomi justement), et dans Magma aussi (le kobaïen). Te voici de fait un véritable polyglotte de l’imaginaire !!! Quelles sont, selon toi, les différences essentielles entre les deux ?
HA : La première différence entre ces deux formes de langages est dans le processus de création. Le kobaïen est le langage de la musique de Christian. C’est-à-dire qu’il naît quasiment en même temps que les mélodies. Lorsque Christian compose, ce sont les sons qu’il chante spontanément qui donnent naissance à cette langue avec ces phonèmes si particuliers. Dans Elull Noomi, c’est forcément différent puisque nous sommes deux. Odile invente une langue, cherche, entend d’autres sonorités, renomme petit à petit tout ce qui nous entoure et, le plus souvent, écrit sur ma musique des textes. Cela dit, il est arrivé aussi que j’écrive de la musique sur ses textes. C’est un vrai langage.
L’autre grande différence est la sonorité même de ces deux langages ! Et je vais te citer, car on n’a jamais aussi bien décrit cette différence et ce qui caractérise notre musique !
« Du côté d'Elull Noomi comme chez les kobaïens de Christian Vander, on s'exprime dans un langage inventé (ici l'Elull Noomi justement). C'est la co-fondatrice du sextuor qui s'y est collée, puisque tous les textes ont été écrits par Odile Fargère, qui réalise ainsi un vieux rêve : "Un vrai langage, avec du sens, avec lequel on peut vraiment communiquer..." Mais autant la langue organique de Magma est gutturale, virile même et propice aux incantations, quand ces dernières ne sont pas des commandements, autant les couleurs sonores d'Elull Noomi ne sont que fluidité et féminité, conférant à l'ensemble une impression de douceur quasi liquide qui nous éloigne très fortement des chants martiaux de la Trilogie Theusz Hamtaahk de Magma. Et nous rapproche du même coup de musiques plus minimalistes et plus sérielles comme celle de Steve Reich par exemple. » (2)
Nous sommes fin mars 2008 et à ce jour, tu es monté une seule fois sur scène avec Magma, pour un concert à Grenoble. Quelles sont tes premières impressions ?
HA : En fait, comme j’ai tardé à te répondre, on est mi-mai… et je suis monté cinq fois sur scène avec Magma… Désolé !
Mes impressions ? Difficiles à décrire, je ne suis pas tout à fait redescendu, je ressens une force, un dévouement, une énergie… palpable… tout ça en vrac ! C’est incroyable ! J’ai vu souvent Magma en concert et maintenant je fais à peine trois mètres de plus et je me retrouve à côté d’Isabelle et Stella !
Je te soumets à un questionnaire piège… Peux-tu, avec le minimum de mots (en français s’il te plaît), nous faire le portrait des membres de Magma (3) tels que tu les ressens ?
HA : En peu de mots ?
- Christian Vander : ce qui m’a frappé le plus, en dehors du fait que c’est un musicien extraordinaire, un compositeur de génie, c’est son engagement ! En répétition, il est le même qu’en concert, il est à fond tout le temps, il ne fait pas un son pour rien ! Évidemment en concert, l’échange avec le public fait qu’il va encore plus loin. Mais aucun doute là-dessus, il est à fond dans la musique… et la musique est en lui !
- Stella Linon : Stella c’est la franchise incarnée ! Quand elle a un truc à te dire, elle te le dit, point. Et c’est super ! Mais surtout quelle voix ! Une de tes questions était ce que Bruno et moi pouvions apporter, elle ne se pose même plus pour Stella. Magma existe aussi grâce à elle, c’est une Grande Dame !
- Isabelle Feuillebois : Ce qui est incroyable chez elle, c’est que quand Christian ou un autre membre du groupe lui dit qu’elle devrait chanter telle ou telle partie, elle refuse d’abord en disant qu’elle ne peut pas. Puis elle le chante, et c’est sublime ! Et elle essaye de nous faire croire que c’était naze… C’est dingue non ?
- James Mac Gaw : le premier mot qui me vient quand je pense à James est : fluidité. Pourquoi ? Je ne sais pas, son jeu probablement. Même saturé, son jeu reste fluide et clair. Ce n’est pas une place facile, guitariste dans Magma (y a-t-il une place facile dans Magma ?), à mon avis, le meilleur guitariste que Magma ait connu ! Ou en tous cas le plus proche de l’esprit de la musique de Christian.
- Philippe Bussonnet : Un Titan ! Un des meilleurs bassistes que j’ai jamais vus et j’ai la chance de jouer avec ! Je n’en reviens pas ! Pour le peu que je les connais, je dirais qu’avec Christian, l’un est le prolongement de l’autre, et inversement, complémentarité parfaite !
- Benoît Alziary : Benoît est une force de la nature, c’est simple : il n’arrête jamais ! Mais là ou il prend toute sa dimension, c’est sur scène. Les premiers concerts (Grenoble, Le Mans, Saint Germain en Laye) incluaient un set "jazz". Et il nous a gratifiés de chorus incroyables ! Rythme, mélodie, tout y était ! Grand, grand, grand talent !
- Bruno Ruder : Comme je l’ai dit plus haut, c’est un rythmicien de folie ! Mais pas seulement. L’harmonie, il connaît, et puis surtout il a fallu qu’il avale le répertoire et, autant pour les voix, il y a quelques plages de repos, autant pour le pianiste rien du tout !!! Il joue du début à la fin, chapeau !
- Francis Linon : Un calme olympien ! Quelle que soit la situation, il l’appréhende tout à fait calmement. Il est capable de te dire très tranquillement que niveau son, on est dans une merde noire. Cela dit, je le soupçonne de bouillir à l’intérieur !
Afin de mieux te connaître : quels sont tes musiciens préférés, tes influences (tous styles confondus) ?
HA : Voyons voyons… Magma ? Plein d’autres trucs aussi ! Pat Metheny, Chic Corea, Bob Berg, John Williams, Bartok, Fauré, Debussy, Poulenc, Coltrane, Miles, Carl Orff, Al Jarreau jusqu’en 82, Gini Vannelli jusqu’en 83, Paga, Jannick Top, Yes, King Crimson, etc.
Quels sont tes disques de chevet ou pour l’île déserte ?
HA : Ces derniers temps, j’ai beaucoup écouté la musique du film "Babel" et plus précisément un morceau d’un compositeur japonais (4) (dont j’ai oublié le nom… Honte sur moi…) qui se situe vers la fin du film ! Je pourrais écouter ce morceau en boucle une journée entière ! Le thème principal du film "La liste de Schindler" me met par terre, carrément !
Quelles sont les musiques actuelles qui t’intéressent ?
HA : l’électro, la tektonik (ou je ne sais quoi) me laissent totalement froid ! En fait les musiques que j’aime le plus sont justement celles dont on ne peut dire de quelle époque elles sont ! Celles qui me semblent intemporelles !
Propos recueillis le 19 mai. Un grand merci une fois de plus à Hervé Aknin pour le temps consacré à me répondre et pour sa grande gentillesse.
Pour en savoir plus : le site officiel d'Elull Noomi et la page My Space du groupe.
Et pour (re)découvrir Elull Noomi de vive oreille, "Aborimis", extrait du disque "Uléella".
(1) Dont le premier disque, "Uléella", est disponible sur Ex-Tension, le label de Stella et Francis Linon.
(2) Par un amusant retournement des choses, Hervé Aknin cite un extrait d'une chronique du CD d'Elull Noomi... que j'avais écrite sur la version précédente de ce blog et qu'on peut relire ICI.
(3) J’ajoute Francis Linon, qui occupe tout de même une place essentielle dans la vie du groupe depuis de longues années.
(4) Il s’agit du compositeur Ryuichi Sakamoto qui avait en son temps été le fondateur du Yellow Magic Orchestra.
© Maître Chronique 2008 :
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