Magazine Côté Femmes

Interview de féministe #32 : RoXaNe

Publié le 24 novembre 2015 par Juval @valerieCG

Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.

Interview de  RoXaNe.
Son twitter : @Lil_RoXaNe

Bonjour peux-tu te présenter ?

Je m'appelle Roxane, j'ai 31 ans et j'enseigne la sociologie aux futurs travailleurs sociaux depuis deux ans. Avant cela, j'étais moi-même travailleur social, auprès des hommes immigrés des foyers. Et encore avant, j'ai galéré de petit boulots en missions d'intérims, pendant 5 ans.

- Depuis quand es-tu féministe ; y-a-t-il eu un déclic particulier ou est ce venu progressivement ?

Je suis féministe depuis 2012. En 2009, j'ai commencé à m'intèresser aux rapports de domination, via la sociologie, toute seule dans mon coin. Je cherchais surtout à comprendre les rapports de race et de classe...et j'ai découvert certains travaux sur le genre. C'est @kanyewech qui m'a conseillé Classer, dominer de Delphy, premier ouvrage qui m'a beaucoup marquée.

Lorsque j'ai commencé à m'intéresser à l'islamophobie, la question de la domination masculine est devenue incontournable. Par conséquent, étant entrée dans le féminisme via la race/classe, j'ai de suite rejeté le Féminisme TM (le féminisme blanc bourgeois institutionnel).

Active sur Twitter depuis 2011, les propos et articles diffusés par la sphère féministe militante ont vraiment aidé à construire ma réflexion. Plus tard, j'ai commencé à me sentir suffisamment légitime pour écrire des billets sur la condition des femmes sur mon blog.
- Tu as écrit un article qui a pas mal buzzé Le Thalys, le harcèlement de métro et l’héroisme ordinaire ; beaucoup de gens n'ont retenu qu'une chose de cet article, "que tu écoutais du rap sexiste et que c'était paradoxal quand on critique la misogynie". Que peux-tu dire là dessus ?

Cet argument, qui m'est revenu, avec une grande originalité, des dizaines de fois, est totalement idiot. Déjà, cela revient à prétendre que les agresseurs vérifieraient ce que tu écoutes dans ton casque avant de venir te faire chier ou auraient une audition bionique qui leur permettrait d'identifier que tu écoutes du rap et que donc ils peuvent venir t'agresser en toute légitimité. De plus, si l'on suit - mais c'est difficile - cette logique, écouter du rap, ou plus précisément les propos misogynes du rap, reviendrait à participer au sexisme. A ce compte-là, autant arrêter de voter puisque les députés insultent leurs collègues femmes quand elles portent une jupe et participent activement à la prise de décisions contre les femmes et leurs droits, arrêter de travailler puisque les patrons exploitent davantage les femmes que les hommes, arrêter d'avoir des relations amicales, amoureuses et sexuelles avec des hommes puisqu'ils sont les producteurs et les acteurs du sexisme. L'idée que les femmes, par leurs pratiques culturelles - ici  l'écoute du rap, supposé chantre de la misogynie - sont responsables des agressions dont elles sont les victimes est insupportable et doit être combattue par tous les moyens. C'est, à mon avis, ni plus ni moins qu'une forme d'oppression : t'avais qu'à pas porter une jupe, t'avais qu'à pas boire, t'avais qu'à pas sortir le soir, t'avais qu'à pas inviter ce pote à dormir sur ton canapé, t'avais qu'à pas écouter du rap, t'avais qu'à pas croire qu'en tant que femme, tu avais des droits et des libertés. Au passage, c'est aussi une réflexion complètement raciste puisque celle-ci implique que les rappeurs (non--blancs) seraient les principaux, voire uniques, vecteurs et responsables du sexisme, ce qui est cohérent avec l'idée que ce sont des animaux, des Autres, des pas comme nous.

-  En quoi consiste exactement le travail de travailleur social auprès des hommes immigrés ?

 Le travail social, globalement, est constitué d'activités visant à permettre aux personnes qui en ont besoin à accéder à l'autonomie. Ces mots là reviennent en boucle, sans qu'on n'en saisisse vraiment le sens. J'ai travaillé dans les foyers de travailleurs migrants pendant plusieurs années. Au quotidien, cela consistait, avec l'aide d'une autre femme travailleuse sociale, à aider les résidents du foyer, tous hommes, tous immigrés (étrangers ou non, sans-papiers ou non, jeunes ou vieux, en bonne santé ou pas) à accéder à leurs droits sociaux - contrairement à l'idée reçue, il est compliqué pour beaucoup d'entre eux et notamment pour ceux qui ont des difficultés avec la lecture et l'écriture de demander leurs droits comme le RSA, le chômage, la retraite, la CMU. Tous ces dispositifs qui sont pourtant destinés aux personnes en difficulté...dont ils font partie. Donc on fait de l'ouverture de droits, qui va de l'accès aux droits universels (lol) comme le RSA ou assurantiels comme le chômage jusqu'à bénéficier de la protection de la police, accéder aux services de santé comme l'hôpital, renouveler ses papiers d'identité, demander un logement social... Ce qu'on fait aussi, c'est d'organiser des activités d'animation qui visent à rétablir les personnes dans leur dignité - bafouée par les employeurs, les agents de l'Etat et les institutions - ce qui consiste finalement à leur demander ce qu'ils souhaitent organiser dans le foyer, coordonner les moyens nécessaires, participer à l'organisation en collaboration avec les résidents et aider à l'animation de l'évènement. Ca veut dire respecter leurs besoins, leurs demandes, leurs envies et mobiliser des moyens pour y répondre. C'était super et vraiment dur à la fois. Réaliser, par les témoignages quotidiens des résidents, l'étendue du racisme et de l'islamophobie institutionnels, la justice à deux vitesses, les contrôles répétés, les humiliations continues, les discriminations, les injustices, c'est dur. Mais ça restait moins dur pour moi, femme blanche pauvre mais diplômée - un tout petit peu -, logée et nourrie que pour les personnes du foyer que j'accompagnais. Aujourd'hui, j'ai changé pour devenir prof et former les travailleuses sociales qui vont accomplir ce travail nécessaire et ingrat. Pour participer, un peu, à la formation de leur éthique professionnelle, qui, je l'espère, sera respectueuse des personnes et surtout non normative.

- A quoi correspond pour toi le féminisme TM et que lui reproches tu ?

 Le féminisme TM, c'est le féminisme considéré comme légitime, blanc, plutôt bourgeois, celui d'OLF, celui de Madmoizelle, celui d'Elle, pour ne citer qu'elles - mais il y en a d'autres. C'est une forme de militantisme blanc mais colorblind (tu apprécieras la nuance), dans le sens qui évacue totalement la question de la race, de la classe et de l'intersectionnalité des oppressions. Elles ne réalisent, j'espère, même pas qu'elles ne sont qu'entre blanches diplômées bourgeoises et qu'elles ne s'adressent par conséquent, qu'à leurs semblables. Ce que vit une femme noire n'est pas strictement la même chose que ce que peut vivre une femme blanche. Il ne s'agit pas de nier les oppressions dont ces dernières sont victimes mais de prendre en compte l'ensemble des rapports de domination que les femmes subissent. Par exemple, en tant que femme blanche, je subis des oppressions visant à limiter ma prise de parole, ma liberté de déplacement et ma sécurité dans l'espace public et ma promotion professionnelle. En revanche, aucun propriétaire ni aucun employeur ne me refusera parce que je suis blanche. Parce que je suis une femme, peut-être, parce que je suis pauvre, surement. Mais c'est un leurre de croire que parce qu'on est des femmes, on est toutes dans le même bateau...qui se trouve être celui du féminisme blanc. Je ne m'y reconnais absolument pas parce que c'est un mouvement qui cherche à me parler à moi, en tant que blanche, supposée hétérosexuelle, valide et de classe moyenne, en tant que représentante de "l'universel", en tant que cible des collants "chair" et du fond de teint "naturel" et qui évacue totalement la prise de parole des femmes racisées, c'est à dire perçues comme non-blanches.  En tant que féministe, j'ai bien plus appris des rencontres avec les Afroféministes et les féministes musulmanes qu'avec des double-pages dans Elle. J'ai appris qu'elles existaient, j'ai écouté leurs expériences, j'ai fermé ma bouche quand ce n'était pas ma place, j'ai réfléchi aux oppressions spécifiques qu'elles subissaient et à celles auxquelles - même à un petit niveau - je participais ou en tous cas ne m'y opposais pas. La condition des femmes en France est à la fois commune et complexe. Je ne peux pas participer à des groupes ou actions féministes qui ne prendraient pas en compte l'ensemble des femmes, dans leur diversité, que celle ci concerne leur état de santé, leur couleur de peau, leur appartenance de classe, leur religion.

- Tu dis que la dignité des personnes dont tu t'occupes est souvent bafouée les personnes par les employeurs, les agents de l'Etat et les institutions , peux-tu nous expliquer en quoi ?

Les résidents des foyers ou j'ai exercé avaient subi et subissaient des discriminations nombreuses et répétées, des humiliations, des agressions, en tant qu'hommes racisés (c'est à dire perçus et traités comme des non-blancs). Il s'agissait bien la d'une question de race sociale perçue par les individus et les institutions et non pas une question de nationalité (nombre d'entre eux étaient devenus français, avec une belle CNI bleue) ou de régularité du séjour. Par les institutions, je me souviens d'un résident français d'origine sénégalaise, âgé de plus de 70 ans, en béquilles. Il s'était fait dérober l'argent liquide contenu dans son portefeuille par le livreur de la mairie qui lui apportait ses repas. Je lui ai donc conseillé de se rendre au commissariat de police pour porter plainte, lui ai remis les documents importants et lui ai expliqué la procédure. Le lendemain, je passe chez lui prendre de ses nouvelles. Il m'explique alors que les policiers ont refusé de prendre sa plainte, lui ont dit que ce n'était pas la peine, etc. Je me suis donc rendue au commissariat avec lui afin d'avoir des explications. Or là, les policiers se rappelaient effectivement très bien du Monsieur et nous ont accueillis à grands renforts de "oh mais il fallait nous dire que vous aviez une assistante sociale, on croyait que vous étiez tout seul". Ca veut tout dire. Pendant le dépôt de plainte, ils ne se sont adressés qu'à moi, alors que Monsieur parlait très bien le français. Autre institution discriminante : la Poste. Je ne compte plus les fois où des frais supplémentaires ont été imputés à des résidents qui avaient à peine de quoi vivre, ou les histoires invraisemblables comme des refus d'ouverture de compte bancaire (contraire à la loi), des suppressions inopinées de livret A, des frais bancaires indus prélevés directement etc. Il y a aussi le Pôle Emploi, la MDPH, l'hôpital (j'avais écrit sur cette assistante sociale d'un service d'oncologie qui m'avait, alors que je ne lui avais rien demandé, raconté pendant de longues minutes de quelle manière elle parvenait, d'un coup d'œil, à distinguer les Kabyles des Arabes, les premiers étant des gens biens, les autres des voleurs invétérés). J'ai eu aussi affaire aux institutions de contrôle des dizaines de fois. Jusqu'à ce qu'un travailleur social de la CAF m'explique que cet organisme ciblait les foyers de travailleurs migrants en particulier, estimant (sur quelle base ?) avoir "plus de chance" de récupérer des indus ou fermer des droits que dans d'autres lieux. Quant aux employeurs, je ne donnerai qu'une seule anecdote : un résident de 59 ans, plongeur dans le même restaurant parisien depuis 35 ans, à qui son employeur a fait signer, alors qu'il le savait analphabète, un document lui expliquant que "c'était pour la mutuelle". C'était en fait une lettre de démission à prise d'effet immédiat, avec renoncement à la prime de licenciement. Pour info, on a attaqué ensemble et on a gagné. Le Monsieur a toutefois du survivre, difficilement, sans revenus ni chômage pendant les 2 ans de procédure. En général, leur dignité en tant que personnes est bafouée : on les appelle "chef", on les tutoie... Il apparait clairement qu'ils ne sont pas traités avec le respect qu'ils méritent.

- Qu'est ce que la colorblindness ?

 La colorblindness c'est l'attitude qui consiste à nier l'existence de la race - en tant que construit social, rien à voir avec les races biologiques, qui elles, n'existent pas. Les personnes qui ont proposé d'effacer le mot "race" de la constitution comme si ça allait miraculeusement faire disparaitre les actes et propos racistes, ceux qui prétendent que parler de races sociales (les testings sur la discrimination à l'embauche ainsi que les nombreuses enquêtes nous démontrent que si la race biologique n'existe pas, les personnes non-blanches ou racisées, n'auront pas les mêmes chances d'être recrutées que les blancs) c'est être raciste, ceux qui ne voient le racisme en France qu'au prisme des résultats électoraux et des succès médiatiques du FN, sont colorblind. Ils ne voient pas les couleurs, soit-disant... sauf que ça n'empêche pas lesdites "couleurs" d'exister pour les personnes concernées et de constituer des freins très sévères à l'emploi, au logement, à la culture et à d'autres domaines de la vie économique et sociale. Une astuce pour les reconnaître : ce sont les premiers à sortir la carte "amie noire" (coucou Nadine) ou à dire "jaune, noir, vert, violet, on est tous humains ! ". Alors, oui, on est tous humains, certes mais se réfugier derrière la négation des races sociales - la colorblindness, donc- ne participe pas à la dénonciation ni à la réduction des inégalités raciales, au contraire. Ce n'est pas parce qu'on ferme les yeux que le problème va disparaître. Il faut prendre ces inégalités au sérieux, écouter (et croire !) ceux qui en témoignent, réfléchir à notre propre positionnement sur la question et tenter d'agir.

- Lorsque tu as commencé à t'intéresser à l'islamophobie, la question de la domination masculine est devenue incontournable, pourquoi ?

J'ai commencé à travailler sur le sujet de l'islamophobie (c'est à dire le rejet à minima, la détestation, voire la haine des musulmans) en 2013, pour mon mémoire de Master 1, puisque j'étudiais le fonctionnement des salles de prière musulmanes des foyers de travailleurs migrants.

J'avais déjà remarqué, au cours de mes lectures, que les garçons arabes et noirs, et particulièrement les musulmans parmi eux, étaient présentés comme des animaux, à la sexualité supposée débridée et impossible à contrôler, à la sauvagerie "naturelle". C'était un premier point : les musulmans seraient "par essence", beaucoup plus sexistes que les non-musulmans. Ils seraient forcément dominateurs, violents, incontrôlables et donc les chantres de la domination masculine.

- Tu parles d'islamophobie, pourquoi ne pas parler de racisme ?

 L'islamophobie est une forme particulière de racisme. Ou plutôt c'est une domination qui fonctionne sur un mécanisme similaire Elle désigne l'ensemble des actions et opinions visant à réduire les musulmans à des caractéristiques qui leur seraient propres, en tant que communauté croyante. L'islamophobie fonctionne sur deux mécanismes : l'essentialisation (réduire une population à certaines de leurs caractéristiques, réelles ou supposées) et "l'altérisation", c'est à dire considérer comme Autres, les membres que l'on assigne à ce groupe.  Quelque part, on pourrait dire qu'il s'agit d'une opération de racialisation des musulmans, qui deviennent une "race", un "peuple", uniquement par l'intermédiaire de leurs croyances religieuses. C'est ce qui se passe lorsqu'on utilise "communauté musulmane" dans les médias : cela soutient l'idée que les musulmans, en France, ont des caractéristiques communes, agissent et pensent en tant que groupe social uni et soudé et ont des objectifs communs.

En France, détester les musulmans et agir pour leur exclusion revient à hair notamment les arabes et les noirs qui pratiquent la religion musulmane. Ce n'est toutefois pas exclusif : certains se réclament islamophobes (ou anti-musulmans, car ils prétendent que le terme islamophobie a été inventé par les mollahs iraniens, ce qui est faux et à été largement contredit, sources à l'appui) mais antiracistes. Ils aiment bien défendre les droits des non-blancs, mais pas des non-blancs musulmans, faut pas abuser. D'autres prétextent le droit au blapshème, à la critique de la religion musulmane et de ses structures, pour déguiser leur islamophobie. La critique de la religion n'est pas en cause et les droits afférents ne reculent pas, contrairement à ce que l'on veut bien en dire. Il suffit de fouiller dans les unes des grands magazines (Le Point, le Nouvel Obs, Marianne...même pas besoin d'aller du coté de Valeurs actuelles) pour constater que la critique de l'islam et des musulmans fonctionne à plein régime et surtout, fait vendre, fait voter des lois, fait progresser des restrictions de libertés. J'attends toujours que quelqu'un me montre la présence soit-disant grandissante et menacante de "l'islam politique" en France, les musulmans qui s'appuient sur leurs croyances pour promouvoir un projet politique, ceux qui tiennent des positions de pouvoir acquis via la revendication de la croyance à l'islam etc. J'ai un stock de popcorn.

La gauche blanche s'en fait une spécialité : ils ne sont pas contre les musulmans, mais contre l'Islam - qui serait LA religion sexiste (nous y revoilà) et oppressive  et dangereuse par excellence. Comme si cette religion était une entité indépendante, vivait par elle-même, dans les limbes de l'idéologie, et non pas via les pratiques, les croyances et la vie quotidienne de milliers d'individus. Cela leur permet d'opérer des raccourcis très pratiques, comme par exemple, comparer la situation des femmes iraniennes à celles des résidentes françaises musulmanes, comparer les victimes des talibans avec les victimes de harcèlement de rue, rappeler que les droits des femmes sont terriblement bafoués dans les pays musulmans pour valoriser le fait que c'est-pas-chez-nous-qu'on-verrait-ça, la preuve qu'ici, tout va bien, l'égalité est atteinte, fin du sujet. Rappelons-nous les réactions violentes des membres de l'extrême-gauche lors de la candidature d'Ilham Moussaid, qui s'est présentée avec son hijab aux élections. Marche arrière toute !

-  Qu'est ce qui te touche spécialement dans les discriminations sexistes ? A quel sujet es-tu le plus sensible ?

Concernant les discriminations sexistes, la question des violences est celle qui me touche le plus. Non pas que j'estime que les questions liées à l'emploi par exemple ne seraient pas importantes, puisque de celles-ci vont découler tout un tas d'autres discriminations (pas d'emploi = pas de thunes =  pas de logement = participation à la vie économique, politique et sociale limitée, matériellement et symboliquement). Mais c'est par la question des violences à laquelle je suis la plus sensible. En tant que femme blanche, pauvre, queer, je pratique l'espace public - entendu comme tout ce qui n'est pas à l'intérieur de la maison - depuis mes 15 ans, trajets banlieue-Paris quotidien, sorties etc. J'y ai été agressée un grand nombre de fois, parce que je suis une femme. Et encore, je ne compte pas les agressions sexistes verbales ( = adressées à la femme que je suis, de manière non physique) parce que c'est tellement fréquent que c'est impossible. Comment compter toutes les mimiques dégueu, les "hum charmante" susurrés à l'oreille, les sifflements et les klaxons alors que je sors en jogging-bonnet-écouteurs un dimanche après midi ?

J'ai commencé il y a quelques mois une enquête en socio, de manière autonome, pour laquelle je rencontre de nombreuses jeunes femmes, franciliennes, utilisatrices des transports en commun et qui fréquentent activement l'espace public en général. Les résultats - même provisoires - sont flippants. Les femmes subissent un nombre d'agressions incroyable, fréquentes, répétées et...passées sous silence. On nous apprend à nous, à ne pas sortir trop tard le soir, à ne pas fréquenter certains lieux, à nous habiller pour éviter les agressions, à nous conduire de manière appropriée pour notre sécurité (ne pas boire, par exemple, ne pas ramener un garçon chez nous, ne pas se conduire en "allumeuse"), à limiter nos déplacements, notre prise de parole. On nous apprend depuis qu'on est petites que s'il nous" arrive quelque chose" (doux euphémisme de si un homme nous agresse), on l'a finalement bien cherché. Parce qu'on est en danger. C'est vrai, mais qui apprend aux hommes à ne pas agresser, harceler, à  ne pas suivre les femmes dans la rue, ne pas les insulter, ne pas prendre un comportement ou une façon de s'habiller pour une "provocation" ou un appel au viol ? Qui leur apprend l'importance cruciale du consentement, même conjugal ? Qui leur dit que quand une fille dit non c'est non ? Pas grand monde. Donc oui, les différentes formes que prennent les discriminations sexistes dans l'espace public, et qui visent finalement à ne nous proposer que deux options (être en danger, assumer le risque et rester à la maison, à subir une autre forme de domination masculine) m'intéresse particulièrement.

- Voudrais-tu rajouter quelque chose ?

C'est un truc que j'essaye de préciser toujours quand je parle race, genre et blanchité, parce que ça ne m'est pas venu tout seul, grâce à la lumière divine, l'expérience perso/pro et Delphy (envers laquelle je suis progressivement devenue plus critique). Ma trajectoire vers la sensibilisation et l'engagement sur les questions raciales et féministes est largement due aux personnes qui m'y ont amenée et qui surtout...en parlent bien mieux que moi (de l'articulation de ces deux axes). Je pense aux blogs et aux comptes-twitter - et aux apéros IRL qui se cachent derriere - de @s_assbague, @ThisisKiyemis, @Mrsxroots, @maayfeelingz, @NegreIneverti, Ms Dreydful, @majnounaaa, le site LMSI et d'autres. Ce sont en grande partie nos échanges et nos rencontres qui ont permis de forger ma réflexion. J'ai lu leurs textes tels quels, en tant que fille-queer-blanche-pauvre qui cherche des réponses sur internet et ça m'a parlé. Lorsque je ne comprenais pas et que j'avais des questions, je les interpellais et on discutait. Je voudrais donc rajouter que tout ce savoir, ces expériences et ces grilles de lecture sont accessibles et indispensables.

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