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Gérard-François Dumont : «L’architecture des quartiers est l’illustration contemporaine de la laideur»

Publié le 17 décembre 2015 par Lecriducontribuable

enquêtes du contribuable politique de la villeGérard-François Dumont nous a accordé cet entretien, que nous diffusons ici dans son intégralité, dans le cadre du nouveau numéro des Enquêtes du contribuable «Politique de la ville : les racines du mal», décembre 2015/janvier 2016. En kiosque. Disponible également sur notre boutique en ligne.

➜ La politique de la ville a englouti près de 100 milliards d’euros en 40 ans sans résultat. Quelles sont les causes de cet échec ?

Il faut d’abord revenir sur les causes de ce problème, à savoir l’hérésie urbanistique des années 1960, une période où l’on s’est mis à construire de grands ensembles en référence à la charte d’Athènes rédigée en 1933 sous l’égide de Le Corbusier. Selon cette charte, il fallait faire du passé table rase sur un plan architectural et construire des barres et des tours d’immeubles, porteuses d’avenir et de progrès social, et éloignées des quartiers plus anciens, considérés comme désuets.

Le résultat que l’on peut, par exemple, observer à Clichy-Sous-Bois, à Mantes-la-Jolie, aux Mureaux, à Chanteloup-les-Vignes, à Nancy ou à Nîmes, a conduit à créer de grands ensembles sans lien géographique avec l’ancien tissu urbain, totalement enclavés. Cette erreur due à une idéologie urbanistique ne pouvait qu’engendrer de graves conséquences.

➜ Que pensez-vous de l’architecture de ces grands ensembles ?

Cette architecture est la définition contemporaine de la laideur. Contrairement, par exemple, à l’urbanisme du XIXe siècle, les immeubles ont été construits tels des clones sans aucune recherche esthétique et en essayant de faire des économies à court terme. Cela s’est avéré ruineux. Par exemple, le plus souvent, le fait de ne pas mettre de volets aux fenêtres a occasionné des surcoûts de chauffage importants. Et le manque d’identité de leur quartier n’a guère encouragé les habitants à l’entretenir.

L’isolement géographique et esthétique des « quartiers » s’est combiné avec un isolement fonctionnel, avec des difficultés pour les habitants de trouver et d’accepter des emplois engendrant de fortes contraintes dans les déplacements domicile-travail.

➜ Pourquoi la France concentre-t-elle autant de difficultés avec ces grands ensembles ?

https://www.catalis.hldis.com/catalisac/multicouche/maq/428/000
C’est en France et dans les pays du bloc communiste que l’idéologie de la charte d’Athènes a été la plus dominante. En France, l’un des arguments utilisés pour justifier la construction de ces grands ensembles était qu’ils permettraient d’obtenir une excellente densité urbaine. C’est totalement inexact ! La densité obtenue dans les quartiers de barres et de tours est quatre fois inférieure à celle de l’habitat haussmannien et même inférieure à celle d’un quartier d’habitat en maisons de ville.

 ➜ Le changement de population qui est intervenu dans les années 1970 a-t-il accentué les problèmes rencontrés dans les quartiers ?

Dans les années 1960, les grands ensembles ont surtout été occupés par des personnes issues de l’émigration rurale venant travailler dans des industries localisées dans les villes. Ils acceptaient la mauvaise qualité de leur cadre de vie car elle était temporaire. L’augmentation de leur niveau de vie, dans cette période des Trente glorieuses, leur permettait de choisir, quelques années plus tard, un autre logement dans des quartiers plus agréables.

Puis, à partir du milieu des années 1970, la décision des pouvoirs publics d’arrêter l’immigration de travail a abouti à un résultat paradoxal. L’immigration « de noria » s’est trouvée remplacée par une immigration de peuplement.

En effet, dans les années 1950 et 1960, les immigrés qui venaient travailler en France repartaient dans leur pays d’origine au bout de quelques années pour être remplacés par un frère, un cousin, un ami ou un voisin. La fermeture de la porte à l’entrée s’est automatiquement doublée d’une fermeture pour la sortie. Les travailleurs immigrés ont compris que s’ils partaient, un de leurs proches ne pourrait plus venir à leur place. Ils sont donc restés et ont recouru à la procédure du regroupement familial pour faire venir leurs femmes et enfants. La sociologie des « quartiers » en a été d’autant plus affectée que beaucoup de travailleurs immigrés ne parlaient pas le français. On l’a oublié, mais à l’époque lorsque Renault recrutait une quinzaine de travailleurs en Algérie, il n’y en avait souvent qu’un parlant notre langue, chargé de traduire les consignes aux autres.

➜ Si les choses continuent selon la logique actuelle, comment voyez-vous les banlieues d’ici 20 ans ?

Plusieurs scénarios sont possibles, mais la situation actuelle n’incline pas à l’optimisme. Les pouvoirs publics ont privilégié quasiment un seul objectif, la rénovation de l’habitat dégradé pour régler le problème des banlieues. Même si la qualité des logements s’en trouve améliorée, on reproduit les mêmes erreurs en reconstruisant, sauf exception, au même endroit, et sans rompre l’isolement des quartiers malgré parfois quelques améliorations dans les transports urbains.

Par ailleurs, le taux de chômage est, en moyenne deux fois plus élevé dans les « quartiers » que dans le reste du pays. Cette situation résulte notamment, dans ces banlieues, du niveau d’éducation des jeunes dont un pourcentage élevé quitte l’école sans diplôme. L’urgence serait de faire baisser le taux d’illettrisme en fin de CM2. Si un élève quitte le primaire sans savoir lire et écrire, il se trouve lourdement handicapé pour la suite de sa formation. Or l’État, dont ce devrait être la priorité, ne fait rien de crédible pour remédier à cette situation.

➜ La réforme des collèges va-t-elle améliorer la donne ?

La réforme des collèges ne peut pas améliorer la situation puisque c’est sur le primaire qu’il faut porter tous les efforts. Le taux d’illettrisme en fin de CM2 concerne en moyenne un cinquième des élèves, mais est plus élevé dans les banlieues. Les méthodes pédagogiques « modernes » sont l’une des causes de cette catastrophe (voir à ce sujet, notre numéro « École : nos enfants en péril » (octobre 2015), NDLR). Il faut un enseignement fondé sur des méthodes éprouvées, le primaire devant se consacrer à apprendre aux élèves à écrire, lire et compter.

➜ Quelles sont les trois mesures à prendre d’urgence pour tirer les banlieues de l’ornière ?

Outre la nécessité d’améliorer le niveau d’éducation des élèves, assurer la sécurité dans les quartiers est un point crucial. Il ne peut y avoir d’attractivité économique sur un territoire où la sécurité est absente. En troisième lieu, il faut enfin désenclaver les quartiers tout en réfléchissant, lors de la destruction de barres et de tours, à la bonne localisation des reconstructions, sans oublier la nécessité de réinventer la maison de ville.

➜ Les mesures que vient d’annoncer Manuel Valls en matière de logement social vont-elles dans le bon sens ?

Les mesures annoncées par le Premier ministre le 26 octobre 2015 aux Mureaux relèvent d’une attitude jacobine selon laquelle il faut appliquer les mêmes mesures à l’ensemble du territoire alors qu’il faudrait faite montre de souplesse, de pragmatisme compte tenu des diversités géographiques de la France.

En accusant les collectivités locales de ne pas construire suffisamment de logements sociaux, le gouvernement cherche des boucs émissaires. Ainsi, parmi les 36 communes pointées du doigt par le ministère de la Ville, certaines, comme Maisons-Laffitte ou Saint-Maur-des-Fossés n’ont pas les réserves foncières nécessaires pour appliquer à la lettre la loi. Si la loi SRU (relative à la solidarité et au renouvellement urbains) de décembre 2000 était la solution aux problèmes du logement, ces derniers seraient moindres aujourd’hui, ce qui n’est nullement le cas.

 Propos recueillis par Didier Laurens

Gérard-François Dumont, 67 ans, est démographe et géographe. Il est l’inventeur des expressions « Europe ridée » et « hiver démographique ». Il est l’auteur en 2015, avec Pierre Verluise, de « Géopolitique de l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural », éditions PUF – 26 €. « La France en villes » est paru sous sa direction en 2010, aux éditions Armand Colin/CNED/SEDES – 28 €.

enquêtes du contribuable politique de la ville
Nouveau numéro ! « Politique de la ville : les racines du mal »Les Enquêtes du contribuable #14, décembre 2015/janvier 2016. En kiosque. Vous pouvez commander en ligne ce numéro : 5,50 €€ (port compris).


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