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S’égarer

Publié le 30 décembre 2015 par Rolandlabregere

Mal inspirés, les communicants qui ont murmuré à l’oreille du premier ministre la formule supposée rabibocher les manitous socialistes autour de lui n’ont fait que mettre un brin d’huile sur les cendres des principes républicains bien mis à mal par le duo aux manettes de l’exécutif. En s’exclamant dans les colonnes du Journal du dimanche qu’une « partie de la gauche s’égare au nom de grandes valeurs», ajoutant pour faire bonne mesure, qu'elle oublie « le contexte, notre état de guerre, et le discours du Président devant le Congrès », le premier ministre trébuche par le fardeau de ses égarements. Parce qu’ils ont l’avantage des mots par médias et réseaux sociaux interposés, les politiques estiment qu’ils peuvent se les approprier et leur faire dire ce que bon les arrange. Ceux qui s’égarent «au nom de grandes valeurs » méritent mieux que de s’entendre dire qu’ils sont sur le point de divaguer. Avant de s'exprimer, le chef de la majorité aurait été avisé d'être prudent à l'égard du langage. Francis Ponge, poète intransigeant de la précision, recommandait de tenir compte des  «microbes que les autres ont laissés sur les mots ».

« S’égarer » appartient à la langue du récit, du conte. Celui qui s’égare ne reconnait plus son chemin et en emprunte un autre, prétexte à toutes les aventures. Quand au milieu d’une forêt, on ne sait plus où l’on est et comment en sortir, on s’est égaré. Pour le grammairien du siècle classique, Gilles Ménage, « s’égarer » vient de la particule privative e, ex et du mot gare qui vient lui-même du vieux teutonique waren qui amène l’idée de se garantir, de se défendre. S’égarer signifie alors être hors d’état de se garantir, ne plus savoir où l’on est, où l’on en est.

De la narration, le sens de « s’égarer » est passé au registre de la psychologie. Celui qui s’égare n’a pas de prise sur ses décisions, sur ses choix. A la différence de celui qui se fourvoie, c’est-à-dire de celui qui sort du bon chemin, celui qui s’égare erre au hasard, sans guide, sans se référer à la boussole du sens et au final se trouve être celui qui est entraîné sur des chemins hasardeux. On ne s’égare que par faiblesse, complète Ménage. Ceux qui s’égarent manqueraient de discernement, voudrait dire le premier ministre. Ils n’auraient donc plus tout à fait leur tête. Ils auraient « les yeux égarés et l'esprit aliéné » selon La Bruyère. Celui qui s’égare s’écarte du bon sens. Est-ce à dire que ceux qui ne partagent pas le point de vue de Matignon doivent être tenus en suspicion comme déviants, comme des égarés dont il faudrait se méfier car porteurs d’une compréhension différente de la situation ?

Dans le contexte actuel d’hystérisation, de dépolitisation et de simplification, la diffusion de consignes aux députés PS, c’est à dire d’éléments de langage à suçoter sans relâche pour défendre la déchéance de la nationalité (Le Huffington Post, samedi 26 décembre), confirme que ce gouvernement s’égare dans un espace de réflexion qui devrait lui être étranger. Ces roues de secours argumentatives semées par la Rue de Solférino sont une curieuse allusion à celles du septennat précédent. On ne se fourvoie pas à l’affirmer.


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