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Sur les traces du judaïsme marocain - 1970

Publié le 06 janvier 2016 par Feujmaroc
Sur les traces du judaïsme marocain - 1970

Casablanca 1970.

L'été, période de migrations et de pèlerinages. Apres une longue absence, me voici de nouveau sur le sol marocain. Les amis, juifs et musulmans, m'entourent de leur exquise et traditionnelle hospitalité. Le pays a beaucoup évolué : dans les grandes villes, des immeubles neufs, un trafic automobile impressionnant, partout une croissance continue de la production industrielle, de la mécanisation agricole. Parmi les Etats sous-développés, le Maroc est l'un des rares qui mérite l'appellation, mieux prisée, de " pays en voie de développement ". Puisse-t-il maîtriser sa croissance démographique, seule capable d'annihiler tous les efforts d'amélioration du niveau de vie !

Dans ce cadre, la plupart des 40.000 juifs marocains contribue par un travail acharne à l'expansion du pays, dans tous les domaines. Mais il semble que la position médiane qui était celle des juifs avant et immédiatement après l'indépendance marocaine ait disparu au profit d'une situation... sur laquelle tous ne sont pas d'accord. D'un côté, certains ont le net sentiment d'être des " dhimmis ", des citoyens de second ordre. D'autre part, les juifs faisant partie des élites intellectuelles et industrielles entretiennent des relations d'amitié avec leurs pairs musulmans, souvent devenus personnalités officielles de l'Etat. Comme nous le verrons plus loin, les uns et les autres ont raison : les relations personnelles et de voisinage entre juifs et musulmans ne posent pas de problème (sauf exception comme ailleurs). Mais les rapports avec l'administration semblent parfois très difficiles. Ceci explique pourquoi les notables juifs appelés a aplanir les difficultés, préfèrent souvent ne pas exercer de responsabilités communautaires.

Cela n'empêche pas les communautés d'être structurées ni d'avoir une organisation centrale représentative sur le plan national.

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Cimetière juif de Fés.

A travers l'ensemble du pays un nom revient, l'Alliance israélite universelle, appelée maintenant "Ittihad", qui en maintenant les traditions juives, a assuré l'éducation générale et française de presque tous les juifs marocains. Ceci n'enlève évidemment rien au mérite d'autres organisations juives, qui depuis la fin de la deuxième guerre mondiale notamment, ont œuvré et œuvrent encore sur le plan éducatif, social et professionnel.

La communauté juive du Maroc a terriblement changé : sa pyramide sociale s'est vidée par le centre, la grande majorité des classes moyennes a quitté le pays pour Israël ou la France, plus rarement l'Amérique du Nord ou du Sud. Seuls demeurent aux pôles opposés de l'édifice social, une minorité très pauvre, et une majorité fortunée relayée par la classe aisée.

Presque partout il semble que la ville juive c'est le cimetière, où les morts de la dernière génération dépassent en nombre les vivants qui restent. C'est un témoignage de la force passée que l'on vous montre, après la visite furtive de synagogues désaffectées. Bien sûr, elles ne le sont pas toutes... mais leur maintien s'avère difficile et les ouvertures de nouvelles deviennent très rares, malgré l'attitude bienveillante du gouvernement. Toutefois, cette attitude ferme, et qui donne à nos coreligionnaires un sentiment assez profond de sécurité, est modéré par une administration subalterne souvent franchement hostile.

Sur les traces du judaïsme marocain - 1970
Sur les traces du judaïsme marocain - 1970

Commerces juifs de la médina de Marrakech.

Marrakech : dans la médina, une muraille intérieure et un portail délimitent ce que fut le quartier juif : le mellah. L'aspect extérieur des ruelles étroites en arcade avec balcons typiques et fenêtres closes ornées de ferronneries caractéristiques ne diffère pas du reste de la ville ancienne.

Sur les quelque 20 mille juifs que comptait Marrakech il y a vingt ans 15 mille environ vivaient là, sur un espace limité. C'était le plus souvent une existence difficile, menée dans une grande pauvreté, égayée seulement par les fêtes de famille ou du calendrier religieux. 2 a 3.000 juifs vivent encore à Marrakech, mais seules quelques dizaines de familles habitent le mellah. Les autres demeurent dans les appartements ou les villas de la cité moderne, qui ne cesse de s'étendre. Cependant, plusieurs dizaines de boutiques et d'entrepôts de grossistes juifs se trouvent encore dans leur ancien quartier, dont l'animation ne le cède en rien à celle des autres rues commerçantes de la ville. Et la clientèle reste pour la plupart fidèle.

Nous visitons une synagogue désaffectée, puis une en activité, puis une autre. Et là, au milieu du quartier-souvenir, nous voici surpris par la psalmodie d'une centaine d'enfants apprenant la Thora. A travers cet unisson mai accordé, la vie d'une communauté dispersée redevient brusquement une image vivante.

A Fès nous faisons connaissance d'un promoteur immobilier à la fois très fier de ses réalisations et pleinement satisfait de sa situation. Cet ancien militant de l'indépendance marocaine qui ne cache pas sa sympathie pour l'Etat d'Israël pense que les juifs qui ont quitté le Maroc ces dernières années ont commis une grosse erreur d'appréciation. II admet qu'un juif n'a aucune chance de faire carrière dans l'administration, mais croit que les hommes entreprenants peuvent connaitre au Maroc un succès proportionnel à leur apport à la construction et au développement du pays.

Lors de la visite d'une importante usine, le directeur du personnel qui m'accompagne me présente son chef d'entretien, Monsieur Lévy, " qui aura certainement des choses personnelles à vous dire". II nous ménage alors un tête-à-tête de cinq minutes. Monsieur Levy me confie que son avancement professionnel étant entravé par sa situation de juif, il se prépare à quitter le Maroc. Me sachant juif de France, il demande en toute simplicité qu'elles seraient les conditions d'établissement en France ou en Israël ? Me sentant embarrassé par cette question à laquelle je n'étais pas préparé il me demande de lui écrire à ce sujet à mon retour à Paris.

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Bijoutiers Juifs

Au Maroc, les bijoutiers et les joailliers étaient juifs depuis des temps immémoriaux. Depuis leur départ du sud marocain et des petites villes de province, le métier s'est dégradé, mais subsiste pour répondre aux besoins de la population. Toutefois, les nouveaux bijoutiers marocains ignorent tout de l'origine et des différentes significations des motifs d'ornementation qu'ils utilisent sans se soucier de leur contenu.

Deux jeunes universitaires français ont entrepris une vaste enquête sur ce sujet parmi les bijoutiers et joailliers juifs originaires du Maroc, établis en France et en Israël.

Une chose frappe le visiteur juif des musées marocains : agréablement aménagés, ils présentent assez souvent parmi leurs collections des objets rituels juifs : lampes de Hanoucca, luminaires pour le Chabbat, lampes de synagogue etc...

Mais la plupart du temps ces objets portent la simple mention " lampe à huile " sans préciser qu'il s'agit d'objets juifs.

Il convient également de mentionner le commerce, extrêmement répandu dans tous les bazars et souks des villes touristiques du Maroc, de copies, bien souvent grossières, de ces mêmes objets juifs.

Plus rarement, l'amateur trouvera chez tel ou tel marchand un objet original qui peut être aussi bien le simple texte de la mezouza, qu'un rouleau entier de la Thora. Le marchand ne sachant pas toujours ce qu'il vend, demandera un prix extravagant, quitte à céder l'objet pour le cinquième de la somme initialement demandée.

Dans la mosaïque des villes marocaines, Meknès est une exception remarquable : il y a trente ans, et afin d'offrir à ses juifs une vie meilleure que celle du mellah insalubre, les responsables ont construit un " nouveau mellah", un peu à l'écart de l'ancien. Toute une petite bourgeoisie juive y vit encore, autour des deux " grandes " synagogues. L'esprit communautaire y est très vivace ; le voisinage avec les musulmans semble, comme partout ailleurs, sans problème.

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Synagogue Eliahou Elia Casablanca

Le soir des élections le pacha d'une grande ville donne une réception aux notables. L'un d'entre eux me présente à un industriel juif travaillant pour l'exportation. Un peu plus tard, le président de la chambre de commerce me demande : " X ", vous a-t-il raconté son histoire ? Sur ma réponse négative, il explique :

Dans la profession de " X ", sur 40 usines actives au Maroc, une dizaine appartenait à des juifs. Toutes ont été revendues à des musulmans à l'exception de celle dont M. " X " est propriétaire. Au Maroc, les exportations passent obligatoirement par l'intermédiaire d'un organisme d'Etat, qui délivre les autorisations nécessaires. L'usine de M. " X " n'a pu écouler qu'une partie de son stock, par suite des difficultés bureaucratiques et de retards administratifs. Ces écarts de l'administration ne sont pas des faits politiques, mais causent beaucoup de torts, affirme le président de la chambre du commerce.

En effet, les juifs finissent par se décourager et vendent leurs affaires. Mais rares sont les autochtones capables de maintenir le même rythme de production et surtout de vendre autant en dehors des frontières du Maroc. Certains établissements produisent et vendent la moitié seulement de ce qu'ils faisaient avant d'être " marocanisés". Le maintien d'un chiffre de 65 à 75% est estimé très honorable. Le résultat est une augmentation du chômage et une diminution des rentrées des taxes municipales et des recettes fiscales.

Dans une autre ville, nous visitons un établissement hospitalier moderne et remarquablement agence. Le médecin chef qui nous reçoit est un homme jeune et sympathique, âgé de 35 ans. II vient de prendre son poste il y a seulement quinze jours. Avant, cet hôpital était administre par un médecin juif à qui l'on a expliqué que quels que soient ses mérites, reconnus de tous, et malgré sa citoyenneté marocaine, il était préférable pour lui de laisser la place " dans le cadre de la marocanisation ".

On lui accorde le salaire et les avantages dont il jouissait en tant que médecin chef.

Interrogé, il refuse de parler de ce sujet.

Cette jeune femme juive dirigeait le standard téléphonique de la petite ville où elle est née. Apres un certain nombre d'incidents dus à la désobéissance des jeunes employées musulmanes, son chef de service la fait transférer, avec maintien de salaire, au standard téléphonique de la mairie, Standard qu'elle manipule elle-même. Elle pense qu'à la longue il lui faudra envisager de quitter sa ville et son pays natal.

Dans une des plus vieilles cités du Maroc, nous visitons la maison " à l'ancienne " d'un notable juif : colonnades intérieures en bois de cèdre artistiquement travaillé et carreaux de faïence témoignent d'une aisance qui ne date pas d'hier. Au mur, un cadre représente les principales figures de l'histoire juive ; des lampes en cuivre et en argent de modèle rituel perpétuent le souvenir d'une tradition créatrice. Cet homme, dont les grands-parents possédaient de vastes domaines, est propriétaire de quelques dizaines d'hectares de terre. II y a quelques années, la ville en était encore à quelques kilomètres : maintenant elle s'est rapprochée et les constructions récentes sont à sa porte. L'eau courante, l'électricité, le tout-à-l'égout se trouvent sur place. Mais quand notre homme a demandé un permis de construire, ses terres ont été déclarées par les services d'urbanisme " non aedificandi ". Toutes les entrevues n'ont à présent donné aucun résultat.

Récemment il a vendu 1 hectare de terrain à un musulman. Celui-ci a réussi à obtenir le permis de construire tant convoité et se trouve en situation de lôtir le terrain acquis au sextuple de son prix d'achat.

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Meknès - Le mellah et la synagogue Rabbi Yaacov Toledano.

Dans plusieurs villes du Maroc, il existe encore des quartiers à forte densité de population juive. Mais à l'exception du " nouveau mellah " de Meknès, seule la ville de Casablanca possède une vicinité où les juifs sont majoritaires et où les boutiques d'objets rituels et de denrées "cacher" voisinent avec des restaurants, des pâtisseries et des cafés affichant le panneau hébraïque traditionnel orné d'une étoile de David.

Dans les cafés, les gens commentent sans réticence, les nouvelles du cousin Gaston établi en Israël (reçues par voies indirectes, car le Maroc ne respecte pas la convention de l'Union postale universelle sur l'acheminement du courrier). On rencontre de temps en temps une personne qui a visité ce pays d'Israël, qui d'ici parait presque mythique. Mais après avoir inlassablement œuvré en tant que communauté d'accueil et de transit, le judaïsme casablancais n'est plus aujourd'hui que l'ombre de lui-même.

ARYE BEN MEIR


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