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Découvrons Reynaldo Hahn, avec l’aide éclairée de Nicolas Vardon

Par Artetvia

Aujourd’hui, j’ai la joie d’accueillir Nicolas Vardon qui va nous parler de Reynaldo Hahn (1874-1947). Nicolas est professeur agrégé de musique à Saint-Jean-de-Passy. Il est l’auteur de travaux reconnus sur ce compositeur.

Bonjour Nicolas, Reynaldo Hahn est assez peu connu, quelques-unes de ses œuvres – beaucoup plus nombreuses qu’on ne le croit- sont diffusées sur les radios dites classiques, mais ne laissent pas toujours un souvenir impérissable. Et on ne pense pas toujours que Ciboulette («  Nous avons fait un beau voyââge… ») est de lui. Peux-tu nous brosser en quelques traits le portrait de ce compositeur ?

Reynaldo Hahn a une personnalité très intéressante et une œuvre aussi riche que méconnue. D’abord, le fait de n’être pas né Français a eu de grandes répercussions sur sa vie et son œuvre. Il est né à Caracas, au Venezuela, d’un diplomate juif hollandais et d’une mère vénézuélienne. A l’âge de cinq ans, il débarque à Paris, mais n’obtient la nationalité française qu’en 1912. Il s’attachera donc toute sa vie à être plus « français » que beaucoup de Français, y compris en demandant sa mobilisation, à 40 ans passés, pour aller se battre sur le front pendant la première guerre mondiale.

Ensuite, c’est un personnage qui, toute sa vie, a baigné dans la « haute société » française, et ce dès le plus jeune âge. Sa famille habite rue du Cirque, à deux pas de l’Elysée, dans un grand appartement et, encore enfant, il joue du piano dans les salons mondains de l’époque. Il va ainsi côtoyer quantité d’artistes et d’intellectuels : écrivains (Leconte de Lisle, Henri de Régnier, José-Maria de Heredia, Marcel Proust) peintres, ambassadeurs, académiciens et se créer ainsi ce que nous appellerions maintenant un grand réseau de relations.

Enfin, ce qui caractérise le personnage, et qui influence profondément son œuvre, c’est l’attrait de la littérature. Reynaldo Hahn est un compositeur du verbe. N’oublions pas qu’il a été pendant longtemps critique musical, à la plume parfois acerbe. Il est aussi l’auteur de carnets, aux aphorismes ciselés. On ne peut pas comprendre sa musique si on n’a pas cela à l’esprit : c’est un homme de lettres !

J’ajouterai également qu’Hahn possède un esprit classique, dans sa vie, comme dans ses œuvres. Alors qu’il vivait à une époque post-romantique où Wagner était très couru et les roucoulades des grandes cantatrices très appréciées, il préfère la retenue, la simplicité, et non l’emphase. Il aime Rameau (pourtant peu à la mode). Il est à l’inverse de l’image qu’il peut donner, celui d’un dandy à la Robert de Montesquiou.

Et ses compositions principales reflètent-elles cette personnalité ?

Reynaldo Hahn
Indéniablement ! Il est surtout connu pour ses mélodies accompagnées au piano, à partir de textes littéraires. A 16 ans, il met en musique des poèmes de Verlaine. En les écoutant, le vieux Verlaine en en aurait eu les larmes aux yeux. Reynaldo Hahn n’était pas forcément un pianiste virtuose, mais il a utilisé toutes les possibilités de l’instrument en tant qu’accompagnement d’une mélodie. Pour lui, la mélodie et la phrase musicale sont tout ; il travaille moins sur l’harmonie ou l’orchestration par exemple. Son esprit classique lui faisait détester la musique américaine qui commençait à arriver à Paris, faite de syncopes et de rythmes sans âme, de même que le vibrato des cantatrices d’opéra.

Dans les années 1920, il a commencé à écrire des opérettes – la plus connue étant Ciboulette. Il a également composé un opéra, à partir du Marchand de Venise de Shakespeare. Dans les années 1930, il a surtout écrit des critiques musicales et moins composé. Il faut dire qu’une époque était révolue et qu’un monde avait disparu. Ses maîtres et nombre de ses amis sont morts : Camille Saint-Saëns, Marcel Proust, Maurice Barrès, Anatole France… Heredia, Huysmans et Gounod les ont précédés. Il écrit alors dans le Figaro, avec une plume parfois acérée.

C’était un homme exigeant ?

Sur le plan artistique, clairement oui. C’était un travailleur perfectionniste qui n’admettait pas la médiocrité. Il refusait ce que nous nommerions « la starification » des chanteurs qui était pour lui un artifice : l’essentiel est la musique, et la rigueur permet de s’y concentrer, sans avoir à faire de l’esbroufe. Bien faire les choses, simplement, ce qui est loin d’être… le plus simple. Son écriture n’est pas forcément insurmontable techniquement, mais elle requiert une sensibilité importante, et une compréhension fine du texte De même, il préférait les voix moyennes (mezzo et baryton, donc pas de basse profonde russe, ni de ténor italien), qui permettaient de faire ressortir la mélodie et le texte avant tout.

Et finalement, Hahn était-il vraiment le modèle de Vinteuil dans la Recherche ?

Justement non, il était l’opposé de Vinteuil. La personne et l’œuvre d’Hahn ne correspondent pas du tout aux personnages de la Recherche, assez décadents, dans un monde qui s’achève et il faut le dire assez dépourvus de profondeur. Il y avait une réelle opposition esthétique entre Proust et Hahn.

Pour finir, quelles œuvres conseilles-tu d’écouter ?

Celles-ci !

 Un extrait d’un concerto retrouvé dans les années 1990 à Caracas.

 Un extrait de son opérette Ciboulette.

Merci beaucoup Nicolas !


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