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Agile

Publié le 21 janvier 2016 par Rolandlabregere

Pour faire mouche, rien de tel que de faire sortir les mots de leur habituel usage. Une fois sorti du bois et de ses contextes traditionnels, le mot prend son essor, butine les médias et se met à plaire. Alors, les professionnels des mots et merveilles vont s’acoquiner avec eux et vont se livrer à d'habiles œillades pour faire sous-entendre qu’il y a là quelque chose de nouveau. De vraiment nouveau.

Soit le code du travail. Depuis des lustres, d’éclairés réformateurs ont envie de le réformer. Les plus timorés parlent de le toiletter. La souplesse est alors de rigueur. Quand le droit du travail est souple, le licenciement est facile. Au salarié de se bouger pour trouver un nouveau job et de faire preuve de souplesse d’esprit. Elle lui sera utile pour rebondir vers d’autres opportunités. Voilà que dans le cadre de la macronisation de l’esprit d’entreprise, le Medef se met à rêver d’un « contrat de travail agile ». D’agile, on connaissait le lapin du même épithète, cabaret de la butte Montmartre où Aristide Bruant fit ses classes avant la Grande Guerre. La bohême a changé de style. C’était mieux avant disent les néos réacs. En tout cas, c’est un beau lapin, actif et nerveux qu’il faut maîtriser des deux oreilles que le Medef sort de son chapeau. Il faut reconnaître que la formule est bien trouvée. Il y a de la beauté dans l’agilité. Un petit côté artistique qui met à distance les mots du contentieux. Et puis, voilà qui fait moderne. On ne va pas se fâcher pour un contrat de travail. Le contrat de travail agile rend au salarié la liberté de son temps, celle qui fait le bonheur. Misère !

Le mot est lancé. « Agile » gagne du terrain. Les activités économiques se doivent d’être agiles. Lorsqu’il ne fait pas référence au tonus musculaire ou à la pensée fulgurante, « agile » est un terme du monde informatique. Il est apparu dans les années 1990 pour désigner une méthode innovante de développement de projet. Les objectifs à court-terme mettent le retro-planning sur la touche. Désormais, les managers sont sommés d’emprunter une défroque de « leader agile ». En entreprise, le changement agile qui s'appuie sur des démarches valorisant l'expérience supplante les déjà anciennes pratiques instrumentales du changement. Des stages d'initiation au prêchi-prêcha d'ambiance sont indispensables pour progresser.  De là, les emplois se multiplient. Le directeur de Procos, une fédération qui rassemble 260 enseignes de commerce spécialisé (Le Monde, 12 janvier 2016), explique que l’installation de kebabs dans les centres des villes moyennes n’est pas responsable de la désertification des cœurs historiques car « il s’agit d’un commerce agile qui s’adapte à toutes les situations ».

Le mot sort des emplois confidentiels. Gageons que l’année 2016 qui s’annonce soit toute entière « agile ». A surveiller, au cas où certains pourraient chercher dans de rhétoriques contorsions à montrer que la survie dépend de l’agilité. Sans surprise et sans propos lestes, une carte de bons vœux est arrivée. Elle souhaitait « une année généreuse et agile ». Bienvenue en 2016, en toute agilitude !


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