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Rotavirus, un vaccin a risques

Publié le 24 janvier 2016 par Dominique Le Houézec

La famille des Rotavirus représente le principal agent viral responsable des gastro-entérites infantiles. Cette infection est un passage obligé avec la survenue d'épidémies hivernales annuelles. Afin de tenter de minimiser l'impact sur la santé publique de ces épidémies et les nombreuses hospitalisations parfois nécessaires, une vaccination par voie orale a reçu une autorisation de mise sur le marché français depuis 2006. Quel en est le bénéfice, quel en sont les risques ?


Petit rappel des données du problème


Ces données ont été abordées de façon détaillée dans un autre article de ce blog, "Le Rotavirus, c'est quoi ?" auquel on peut donc se reporter. Quels sont les points essentiels à retenir :
- La famille des Rotavirus comporte une trentaine de souches dont cinq sont surtout rencontrées en France. Cette multiplicité des sérotypes et leurs modifications possibles expliquent l’impossibilité technique de prétendre éradiquer ces virus dont la contamination est un passage obligé chez tout individu et ceci à plusieurs reprises. La première rencontre de l'enfant avec le rotavirus est la plus intense mais confère un effet protecteur ultérieur partiel et donc des rechutes à tout âge.- L'incubation est courte (1-3 jours). Le virus peut être retrouvé dans le selles avant les premiers troubles digestifs et peut y persister une semaine après (avec son corollaire de contagiosité que l'on imagine facilement). La transmission du rotavirus est facilitée dans les crèches et les collectivités de jeunes enfants.- Cette contagiosité est en effet très importante par les biais des mains, du portage à la bouche, de l'alimentation et accentuée par la grande résistance du virus au milieu extérieur.- Les Rotavirus représentaient en France, chez les enfants de moins de 3 ans, un peu moins d'un tiers des gastro-entérites pour lesquelles un virus avait été isolé, lors de l'épidémie de l'hiver 98/99 [1]. Chez l'enfant hospitalisé de moins de 5 ans, en 2009, un Rotavirus est retrouvé dans 36% des cas dans la zone européenne selon les données de l'OMS [2].- Il existe un pic épidémique chaque hiver (décembre/janvier) occasionnant de nombreuses consultations médicales (150.000) et des hospitalisations (14.000) à une période où d'autres maladies infectieuse infantiles (bronchiolites virales, grippes...) co-existent.

Rotavirus global disease burden

Incidence des décès/100.000 enfants de moins de 5 ans dans le monde (OMS)

- Le risque vital des gastro-entérites est représenté par la survenue d'une déshydratation liée aux pertes d'origine digestive. Il est surtout le fait de jeunes nourrissons et d'enfants de petit poids avec une réhydratation orale difficile ou mal appliquée. Les décès par gastro-entérites virales d'enfants de moins de 5 ans varient entre 0 et 5 par an en France, comptabilisées grâce aux données 2000-2012 du Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc), dont la moitié attribuable au Rotavirus. En 2005, les données de l'INSERM estiment le taux brut de mortalité des infections à rotavirus à 2,1 pour 100 000 enfants de moins d’un an [3]. Le Haut Conseil de Santé publique (HCSP) estime ce nombre de décès entre 5 et 13 par an pour les saisons 2007-2010 [5]. Les pays en voie de développement (Afrique noire, Inde) sont les plus largement touchés par ces décès liés à ces infections intestinales virales du fait de mauvaises conditions d'hygiène, du problème de l'accès à l'eau potable et de la rareté des centres de soins permettant de mettre en place des traitements de réhydratation.

La solution vaccinale, les prémices


Un premier type de vaccin vivant, quadrivalent, contre le Rotavirus avait été commercialisé aux USA en 1998 sous le nom de Rotashield. Celui-ci fut retiré du marché moins d'un an plus tard, mis en cause dans la survenue d'au moins 112 cas d'invagination intestinale aiguë (IIA) parfois mortelles  survenant surtout dans la semaine qui suivait la prise orale du vaccin. Une étude cas-contrôles démontra à posteriori un risque majoré par 37 de déclencher une invagination entre 3 et 7 jours après l'absorption du vaccin [3].

La solution vaccinale, bis repetita.


Deux nouveaux vaccins oraux sont commercialisés en France en 2006, sous les noms de Rotarix et Rotateq, utilisables dès l'âge de 6 semaines, mais sans être initialement recommandés par les instances officielles.
En 2009, l’OMS recommande d’inclure le vaccin antirotavirus dans tous les programmes nationaux de vaccinations. Les zélateurs de la vaccination universelle pensent qu'une couverture vaccinale élevée entraînerait une immunité de groupe aboutissant à une diminution des consultations et hospitalisations pour diarrhée. Ceci reste plus qu'hypothétique du fait des difficultés techniques à généraliser une telle vaccination, l'efficacité moindre du vaccin dans les pays du tiers-monde, l'interaction évidente d'un vaccin vivant administré par voie orale avec les anticorps du lait maternel et l'émergence de souches non-vaccinales sélectionnées par ces vaccins vivants.

En 2011, seuls 27 états membres de l’OMS sur 193 ont débuté cette vaccination. En mai 2010, le HCSP (Haut conseil de santé publique), ne se prononce pas pour la généralisation de cette vaccination chez le nourrisson français pour des raisons économiques ainsi que le peu d'impact possible sur la mortalité très faible des gastro-entérites dans notre pays, ainsi que l'existence d'un "signal" concernant un sur-risque possible d'invagination intestinale dans les jours suivants la première prise orale [4]. De plus, la découverte fortuite de particules contaminantes de circovirus porcins dans les deux vaccins avait rendu prudents les membres du HCSP, même si ce virus n'est pas connu comme étant pathogène chez l'homme. Il est malgré tout décrété que "par précaution, ces vaccins doivent désormais être exempts de ces virus"... c'est le moins que l'on puisse demander à un responsable de la fabrication d'un vaccin de ne pas être contaminé par des particules étrangères.
En conclusion, "le groupe de travail recommande la mise en œuvre de mesures destinées à améliorer la prise en charge d’une gastro-entérite aiguë chez le nourrisson et les pratiques sur la réhydratation orale."

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Taux de vaccination en Europe (2014)

Cependant, grâce à un lobbying important des autorités pédiatriques, le HCSP finit par céder et conseiller, deux ans plus tard en novembre 2013 [5] une vaccination systématique de tous les nourrissons, sans que celle-ci soit pour autant remboursée par l'assurance maladie.
 L'argument économique est mis en avant en parlant alors de "fardeau du coût des gastro-entérites" pour le système de soins, confondant ainsi la santé publique et le coût des soins.
Le HCPS minimise parallèlement les risques d’effets indésirables de ces deux vaccins, en parlant pour l'invagination d'un "risque bien évalué", ce qui s’avérera rapidement caduque.Un suivi de pharmacovigilance concernant la fréquence des invaginations avait été mis en place dès 2012 et a été renforcé et centralisé au niveau du centre de Tours, parallèlement à cette nouvelle recommandation.
Une alerte concernant une sommation de complications graves est lancée un an plus tard, en décembre 2014, par ce centre de Tours [6]

Sur la période 2012-2014, un nombre de 210 effets indésirables graves, pour environ un million de doses vendues, est recensé (soit 41 cas graves pour 100.000 nourrissons vaccinés) : - quelques cas de fausse route lors de la prise du vaccin oral-  6 cas d’urticaire- 47 gastro-entérites sévères- 15 rectorragies (saignements digestifs)- 47 invaginations intestinales aiguës (IIA) apparues dans le mois suivant une prise vaccinale, totalisant une incidence d'environ 9 cas /100.000 vaccinés. Ces IIA post-vaccinales identifiées durant ce suivi national semblent plus sévères que les IIA spontanées puisque 4 observations plus graves ont nécessité une prise en charge en réanimation donnant lieu au décès de deux enfants. (A signaler que l'un de ces décès survenu en 2012 n'avait été signalé à la pharmacovigilance qu'en 2014, illustrant les aléas de la sous-notification). Parmi ces 47 IIA, 33 sont apparues après la première dose, dans un délai moyen de 8 à 10 jours.

Les données mondiales des effets indésirables recensés après l'utilisation de 269 millions de doses distribués sur huit années, objectivent une incidence de 15,5 cas graves/100.000 nourrissons vaccinés.
- 1594 cas d'invagination intestinale post-vaccinale sont enregistrés soit une incidence située entre 0,4 à 1,2/100 000 doses vaccinales, avec une vingtaine de décès.
- 8 cas d'entérocolite 
- 75 observations de maladie de Kawasaki

La solution vaccinale en rétropédalage


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Le Canard enchaîné (1er avril 2015) 


Tenant compte de ces nouvelles données de pharmacovigilance objectivant un sur-risque d'invaginations observé avec ces vaccins, le HCSP publie un avis dans lequel il suspend ses recommandations émises en 2013 : " Du fait de l’évolution défavorable de certains cas rapportés d’IIA (décès, résections) probablement liée à une prise en charge tardive et ne pouvant exclure que de telles situations se reproduisent, le HCSP suspend la recommandation de vaccination des nourrissons contre les infections à rotavirus en population générale. " [7]
La reconnaissance de la gravité des invaginations post-vaccinales est expliquée par "le retard au diagnostic", cette explication permettant de dédouaner le vaccin et de plutôt mettre en cause les médecins de terrain et les familles.
Cet avis passe par ailleurs sous silence les autres pathologies pouvant être en lien avec cette vaccination comme les maladie de Kawasaki, affection inflammatoire grave, atteignant de façon exceptionnelle la tranche d'âge des 3 premiers mois de vie. Si aucun cas n’a été rapporté dans le suivi national, il faut rappeler qu’un signal avait été identifié durant le développement clinique du vaccin Rotateq. 
Les responsables de la santé publique se défaussent donc de toute responsabilité en ne recommandant plus une vaccination systématique, mais en ne retirant pas non plus l'autorisation de commercialisation d'un vaccin, toujours non remboursé, et que chaque médecin pourra proposer à titre individuel. Nos responsables spécifient quand même, pour se dédouaner encore plus, que "le médecin doit informer la famille de l’enfant vacciné du risque d’invagination intestinale aiguë et des manifestations cliniques devant motiver une consultation en urgence."


Quels sont les effets collatéraux de la solution vaccinale ?


L'invagination intestinale aigue (IIA) déclenchée par le rotavirus vaccinal parait rester le risque essentiel de ce vaccin vivant atténué.
Sans vaccination préalable, l'incidence annuelle de l'IIA chez le nourrisson a été estimée en Allemagne lors d'une étude épidémiologique réalisée en 2006/2007 [8]. Lors des 3 premiers mois de vie, une IIA peut survenir chez 19/100.000 enfants. Elle devient beaucoup plus fréquente chez les enfants âgé de 6 à 8 mois, avec un chiffre de 98/100.000. En Grande-Bretagne, l'incidence globale de l'IIA pour toute la population infantile a été estimé à 34/100.000 durant l'année 2009 [9]

Une autre étude allemande récente [10] a repris les cas d'invagination recensés entre 2006 (année du début de la commercialisation des vaccins dans ce pays) et 2010, en les comparant au nombre de cas attendus. Le faible nombre d'IIA comptabilisées (27) donne une faible puissance statistique à ce papier. Il n'existe globalement pas d'excès de cas recensés chez le nourrisson de moins d'un an. Par contre, lorsque l'on se focalise sur la tranche d'âge 3-5 mois, il apparait alors un excès de cas dans la fenêtre des 7 jours qui suivent la première prise d'un vaccin Rotarix (risque relatif = 4,6) ou Rotateq (risque relatif = 5,8).En Australie, l'estimation de sur-risque d’IIA montre une majoration par un facteur de 6.8 dans les 7 jours après l’administration de la première dose de Rotarix et de 9,9 pour le Rotateq. Le sur-risque global d'invaginations attribuables pour chacun des deux vaccins a été évalué à 5,6 cas pour 100.000 enfants vaccinés [11] à partir du recueil très significatif de 306 observations d'invaginations sur 3 années. 

Au Japon, le report spontané des cas d'IIA post-vaccinales sur le courant de l'année 2013, a mis en évidence un sur-risque de 2,95 de cas survenus par rapport au nombre de cas attendus durant les 7 jours suivant une première dose [12].
Une étude des données du système de déclaration passive de pharmacovigilance Etatsunien (VAERS) sur la période 2008/2014 met en évidence un risque relatif significativement majoré (7,5) de survenue d'une IIA lors de la période de 3 à 6 jours après la première dose [13].
Une méta-analyse publiée en 2015 [14] confirme ce sur-risque d'IIA post-vaccinale. A partir des données de 5 études antérieures, les auteurs retrouvent un risque relatif augmenté dans les 7 jours qui suivent la première prise du vaccin, que ce soit pour le Rotarix (5,4) comme pour le Rotateq (5,5). Après une seconde ingestion, le risque est moins élevé pour les deux marques de vaccin (1,8 et 1,7).

Et si l'on favorisait d'autres moyens de prévention des gastro-entérites chez le nourrisson que la solution vaccinale?


Les responsables de l'OMS restent sur leur positions initiales, estimant que les bénéfices de cette vaccination généralisée dépassent les risques de complications qui sont décrits comme faibles : "D’une manière générale, les conclusions restent rassurantes, confirmant que le risque d’invagination dû aux vaccins antirotavirus actuels reste faible par comparaison aux avantages de la prévention de la diarrhée sévère et de ses conséquences." [15]

Il existe cependant des mesures préventives bien démontrées, efficaces et qu'il ne faut pas négliger au prétexte qu'un vaccin est commercialisé, conseillé et a démontré également son efficacité certaine dans la réduction des observations et des hospitalisations.
Les mesures d'hygiène de base comme le lavage fréquent des mains (au savon plutôt qu'avec le solutés hydro-alcooliques ou des lingettes) doivent être sans cesse rappelées et faire partie de la vie quotidienne.
L’accès à une eau potable, aisé dans les pays industrialisés, reste bien sûr un problème essentiel pour de nombreuses contrées du tiers-monde. 
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Un "cocooning" qui rendrait possible la présence de tous les nourrissons à côté de leur mère (et/ou du conjoint) durant les 6 premiers mois de leur vie devrait être instauré par principe. Et c'est un minimum car la place normale et naturelle d'un bébé de 3 mois n'est pas de le mettre dans une crèche ou une garderie, au contact direct d'autres enfants malades, ni de le réveiller à 6 H du matin pour l'emmener chez sa nourrice. Pourquoi des congés de maternité de 56 semaines sont possibles en Suède, 50 au Canada ou 35 en Grande-Bretagne alors que la France n'accorde chichement que 16 semaines. Sur le plan économique, ce type de mesure se traduirait obligatoirement par une réduction importante des épidémies hivernales de gastro-entérites, bronchiolites et autres rhino-pharyngites. Tout le monde y gagnerait (sauf les laboratoires commercialisant les vaccins contre les rotavirus bien sûr).
Enfin bien évidemment, l'allaitement maternel reste et restera le "vaccin" naturel, indolore, gratuit, le plus efficace contre toutes les infections digestives du jeune enfant. Le premier facteur associé à la survenue d'une infection à rotavirus est en effet l'absence d'allaitement maternel [16]. La promotion d'un allaitement maternel prolongé (au minimum 6 mois lorsqu'il est possible), devrait être l'un des objectifs de santé principal que tous les responsables de la santé publique devraient favoriser de façon active et continue.  

Dominique LE HOUEZEC


1. CHIKHI-BRACHET R. et coll. Virus diversity in a winter epidemic of acute diarrhea in France. J Clin Microbiol. 2002;40(11):4266-72.2.  OMS : Relevé épidémiologique hebdomadaire. No. 18, 2011, 86: 173–176 
3. INSERM – CepiDC in : Drees. L’état de santé de la population en France. Objectif 40. Maladies diarrhéiques. Rapport 2008.3. CDC. Intussusception among recipients of rotavirus vaccine United States, 1998-1999.MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 1999;48(27):577-81
4. HCSP Avis du 28 mai 2010 relatif à la vaccination contre les rotavirus des nourrissons de moins de 6 mois
5. HCSP Avis du 29.11.2013 Vaccination des nourrissons contre les infections à rotavirus. Recommandations
6.Comité technique de pharmacovigilance de l'ANSM du 10 février 2015. Suivi national de pharmacovigilance des vaccins ROTARIX® et ROTATEQ® :
7 HCSP Avis du 21 avril 2015 relatif à la vaccination des nourrissons vis-à-vis des gastroentérites à rotavirus
8. WEISS S. Incidence of intussusception in early infancy: a capture-recapture estimate for Germany. Klin Padiatr. 2011;223(7):419-23.
9. SAMAD L. National hospital data for intussusception: Data linkage and retrospective analysis to assess quality and use in vaccine safety surveillance. Vaccine. 2016 12;34(3):373-9
10. OBERLE D. Rotavirus vaccination: A risk factor for intussusception ? Bundesgesundheitsblatt Gesundheitsforschung Gesundheitsschutz. 2014;57(2):234-241.
11.  CARLIN J.B. Intussusception risk and disease prevention associated with rotavirus vaccines in Australia’s national immunisation programm. Clin Infecti Dis 2013; August 30.
12. BAUCHAU V. Post-marketing monitoring of intussusception after rotavirus vaccination in Japan. Pharmacoepidemiol Drug Saf. 2015 Jul;24(7):765-70.
13. HABER P. Intussusception after monovalent rotavirus vaccine-United States, Vaccine Adverse Event Reporting System (VAERS), 2008-2014. Vaccine. 2015: 11;33(38):4873-7
14. ROSILION D. Risk of Intussusception After Rotavirus Vaccination: Meta-analysis of Postlicensure Studies. Pediatr Infect Dis J. 2015 Jul;34(7):763-8.
15. OMS : Global Advisory Committee on Vaccine Safety, 11–12 December 2013. WER. No. 7, 2014, 89, 53–60
16. STRINA A. Factors associated with rotavirus diarrhoea in children living in a socially diverse urban centre in Brazil. Trans R Soc Trop Med Hyg. 2012 Jul;106(7):445-51

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