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L’enjeu du contrôle des plateformes et ressources pétrolières dans la Mer de Chine méridionale

Publié le 23 février 2016 par Infoguerre

L’enjeu du contrôle des plateformes et ressources pétrolières dans la Mer de Chine méridionaleActeurs dans des conflits multiséculaires permanents, les désormais République Socialiste du Viêt Nam et République Populaire de Chine (RPC) connaissent depuis plusieurs décennies un litige territorial patent, concernant les archipels Paracels et Spratly en Mer de Chine méridionale. Ces îles révèlent une réalité géostratégique sous-marine par la présence de ressources halieutiques et énergétiques – gaz et pétrole – que chaque Etat revendique comme au sein de leur Zone Economique Exclusive (ZEE). Les Paracels, au nombre de 130 îlots, couvrent alors une surface de 15.000 kilomètres carrés. Les Spratly, pour lesquels se disputent la Chine, le Viêt Nam, le sultanat de Bruneï, la Malaisie et les Philippines, recensent plus de 750 îlots et englobe une ZEE équivalente à la superficie de la Suède. Selon les estimations de l’Agence d’information sur l’énergie (EIA) en 2013, ces réserves maritimes renfermeraient l’équivalent de 11 milliards de barils de pétrole. De plus, la région se situe à proximité du détroit de Malacca, axe maritime très fréquenté entre le Pacifique nord et l’océan Indien (entre 20 et 25% du trafic maritime mondial).

Un conflit asymétrique opposant deux « frères ennemis »

Alors que le pays n’est pas encore réunifié, juste au lendemain du retrait des Etats-Unis sur son territoire, le Sud-Viêt Nam envoie ses forces navales contre la marine chinoise le 19 janvier 1974, qui s’est emparé des îles Paracels, situées en Mer de Chine méridionale. Saigon proteste contre la souveraineté de l’Empire du Milieu pour reconquérir les terres qui appartenaient aux colons français un demi-siècle auparavant. Nonobstant, c’est la Chine qui remporte la bataille des Paracels et qui exerce donc sa gouvernance et son contrôle sur l’archipel. Le 14 mars 1988, une autre bataille navale attise ce rapport de force opposant le Viêt Nam désormais unifié et la Chine, avec pour épilogue le décès de 64 marins vietnamiens et la perte de trois navires.
Depuis l’été 2012, le groupe énergétique public chinois China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) ouvre à l’exploration des blocs pétroliers se situant dans la ZEE vietnamienne. Mais le litige s’envenime véritablement en mai 2014, lorsque la plateforme pétrolière offshore d’exploration chinoise Haiyang Shiyou 981 (HD-981) s’apprête à forer dans la ZEE vietnamienne illégalement. Les Vietnamiens ont alors envoyé 3 chalutiers en direction de la plateforme gérée par la CNOOC pour contester sa présence dans leurs eaux territoriales. Après avoir été aspergés par des canons à eau chinois, puis suite à la collision contre un chalutier vietnamien, trois mois de virulentes manifestations s’ensuivent contre l’ennemi héréditaire, tolérées par Hanoï et encouragées par des Organisations Non Gouvernementales (ONG). Le peuple vietnamien s’en prend directement aux ressortissants chinois, aux usines, tout en dénonçant également son propre gouvernement, accusé de trop courber l’échine face à la pression de Pékin. En situation de guerre économique et géostratégique, Chine et Viêt Nam ont chacun leurs propres stratégies pour contrôler la zone maritime disputée tout en contrecarrant les stratégies ennemies.

La Chine recherche une hégémonie régionale

La Chine, premier extracteur et producteur pétrolier de l’Asie orientale, contiendrait 1.1% des réserves mondiales soit une estimation de 18,5 milliards de barils de pétrole selon la revue statistique de British Petroleum (BP) de juin 2015.
Le réel enjeu économique pour le pays aux 1,37 milliard d’habitants reste la diversification de son approvisionnement en pétrole, afin de limiter sa dépendance énergétique à l’égard du Moyen-Orient, Pékin important à ce jour 60% de ses besoins totaux. Les opérations d’investissements des compagnies pétrolières chinoises (CNOOC, SINOPEC, CNPC Petrochina) en Afrique assurent déjà la Chine non seulement d’avoir un poids international sur le marché, mais aussi d’importer ces ressources (soit 70% des importations depuis l’Afrique). De fait, la Chine voit en les îles Paracels et Spratly l’opportunité de concrétiser une de ses stratégies de puissance en exploitant ses propres gisements parallèlement à desserrer l’étreinte du Golfe arabo-persique.
En outre, le rapprochement avec la Russie, fournisseur universel de matières premières, permet à Pékin d’avoir non seulement un soutien stratégique et un appui énergétique, mais aussi de former un front anti-américain influent. Derrière ces relents de Guerre Froide, la Russie, elle,  perçoit la coopération chinoise comme une aubaine pour avoir accès aux réserves d’or noir.

Le Viêt Nam utilise la diplomatie pour limiter l’emprise de la Chine

Le Viêt Nam est un petit producteur pétrolier : il représente 0.3% des réserves mondiales soit une estimation de 4,4 milliards de barils de pétrole selon la revue statistique de BP. Le Viêt Nam est exportateur de pétrole brut, qui représente 20% des revenus du commerce extérieur et 17.9% de la production d’énergie primaire en 2012 (AIE). A contrario, Hanoï se voit contraint d’importer des produits pétroliers suite à l’augmentation de ses besoins pour subvenir à son développement économique de puissance émergente. A l’instar de la Chine, les îles Paracels et Spratly constituent une véritable région stratégique pour le Viêt Nam, constituant un enjeu économique non négligeable. C’est aussi pourquoi les multinationales Exxon ou Chevron engagent des partenariats avec l’entreprise nationale régulatrice de l’industrie : PetroVietnam.
Mais depuis la résurgence de l’instabilité maritime par la Chine, le gouvernement vietnamien multiplie les conférences et les déplacements internationaux, pratiquant un soft power pour trouver des alliés de poids. Il est en effet difficile pour le Viêt Nam d’échapper à l’influence de son voisin compte tenu de ses puissances économique, démographique et militaire. Et Hanoï l’a bien compris : renforcer le lien avec ses voisins permet stratégiquement de pallier à ses faiblesses et comporte une réduction du risque de guerre ouverte, par jeu d’alliances. Par conséquent, seules des puissances relativement équivalentes peuvent fournir un contrepoids stratégique pour empêcher une phagocytose économique et énergétique.
De fait, le Viêt Nam consolide ses relations avec l’Inde, également en conflit territorial avec la Chine. En septembre 2014 se conclut un accord selon lequel le Viêt Nam autorise l’explorateur et producteur d’hydrocarbures ONGC Videsh à réaliser ses activités dans les eaux vietnamiennes (EIA). Le Viêt Nam renforce ses liens de défense avec le Japon et les Etats-Unis, surtout depuis que la Chine revendique les îles Senkaku en Mer de Chine orientale. Il s’unit avec les Philippines qui, eux aussi, se réarment en réponse à la montée en puissance de la Chine et à la menace grandissante sur les îles Spratly.
Autres partenaires, les Russes renforcent leur coopération avec le Viêt Nam en participant à sa remilitarisation, notamment en lui vendant deux patrouilleurs multitâches de type Svetlyak et des corvettes lance-missiles de type Tarantul depuis 2001, ainsi que la signature d’un contrat en 2009 pour l’achat de six sous-marins russes de classe Kilo. Les deux Etats échangent aussi techniques et expériences de combat. Ainsi, le développement d’une force navale vietnamienne serait l’illustration d’une puissance militaire défensive, capable de contrecarrer efficacement les attaques des sous-marins et/ou navires ennemis, couplé avec le soutien des flottes alliées. Moscou peine à dissimuler ses intentions derrière sa stratégie d’alliance, l’accès à la Mer de Chine méridionale en vue d’une exploitation conjointe des réserves via leurs compagnies pétrolières étant en ligne de mire.  Le double jeu que contrôle le Kremlin avec à la fois la Chine et le Viêt Nam fait de la Russie un acteur influent prépondérant dans la zone géostratégique, mais qui ne tire toutefois pas trop sur la corde sensible de ses deux alliés.
Le Viêt Nam est membre de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) depuis 1995. Cette organisation, promouvant l’intégration économique sud-est asiatique, est un outil diplomatique servant à tempérer les relations sino-vietnamiennes houleuses, d’autant plus depuis que la Chine a violé la Déclaration de conduite des parties en Mer de Chine du Sud, signé en 2002 avec les pays membres de l’ASEAN, notamment avec l’incident HD-981.
Cependant, le Viêt Nam n’a aucun intérêt à avoir un conflit ouvert avec son rival limitrophe car le manque d’échanges commerciaux bilatéraux, même asymétriques, représenterait une perte de 28 % des importations totales vietnamiens en 2014, et causerait un ralentissement significatif dans son développement économique.

Les Etats-Unis contrent la stratégie d’influence grandissante de Pékin

Le rapport de force sino-vietnamien se place au centre des préoccupations des Etats-Unis, qui cherchent à conserver leur influence régionale et ce, en se rapprochant des états mitoyens de la Mer de Chine méridionale, inquiets de la posture dominatrice chinoise. En effet, le retour des Etats-Unis au Viêt Nam est effectué au printemps 2012, lorsque Hanoï leur a accordé des facilités militaires dans le camp de Cam Ranh, en échange de l’acquisition de systèmes d’armement américains. Les Etats-Unis ont en effet tout intérêt à conserver leur influence sur la Mer de Chine méridionale, et plus particulièrement le détroit de Malacca.
De plus, le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) est un traité signé le 5 octobre 2015 garantissant la libéralisation des économies entre les Etats-Unis et 11 pays bordant le Pacifique, dont le Viêt Nam. Il s’agit de la plus grande zone de libre-échange mondiale pèse non moins de 40% du PIB mondial. Ce traité scelle le résultat d’une politique étrangère américaine tournée vers l’Asie à l’avenir, mais aussi pour surveiller les activités de la Chine et les contrecarrer.
Pour illustrer, la récente confrontation entre les deux puissances fut lorsque le destroyer américain USS Lassen s’est approché à quelques milles nautiques d’une île artificielle chinoise dans les îles Spratly le 27 octobre 2015. Cet événement n’améliore en rien les relations diplomatiques déjà tendues entre Washington et Pékin car la Chine dénonce à juste titre cette intrusion et condamne fermement cet affront impérialiste, qu’elle qualifie d’irritable et de provoquant.

Conclusion

Ce rapport de force inclut Etats et organisations internationales qui tempèrent la tension palpable entre le Viêt Nam et la Chine, n’affectant pas pour autant les échanges commerciaux, et encouragent leurs négociations. La Chine continue de considérer la quasi-totalité de la Mer de Chine méridionale comme partie intégrante de son aire d’influence, en réfutant tout arbitrage international potentiel sur l’aspect territorial. Cette dernière conserve son contrôle sur les îles Paracels et donc sur les plateformes offshore et réserves pétrolifères sous-marines. En parallèle, le Viêt Nam, ayant obtenu gain de cause contre l’intrusion de la plateforme HD-981, développe des partenariats avec d’autres puissances – Russie, Inde, Etats-Unis – pour modérer l’accroissement de puissance de la Chine aux échelles régionale et internationale. Les Etats-Unis, quant à eux, se mêlent dans le rapport de force sino-vietnamien quitte à provoquer ouvertement la Chine en pénétrant dans sa ZEE par voies aérienne et maritime.

Flavien Chastanet


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