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Marseille, métissage et fraternité à l’honneur

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

Marseille, métissage et fraternité à l’honneur

Kad Merad, qui n’a pour ainsi dire que très peu de lien avec Marseille, hormis qu’il y possède une résidence secondaire depuis quelques années, s’est entiché de réaliser un film à la gloire de la capitale européenne de la culture. Largement inspiré de la vie de Patrick Bosso qui a collaboré au scénario, Marseille est une surprise agréable, aux accents de cinéma guédiguianesque, mettant en avant le cosmopolitisme fraternel de cette ville aux racines ouvrières profondément méditerranéennes.

Paolo (Kad Merad que l’on a vu dans Disparue en hiver, Bis et entendu dans Hôtel Transylvanie 2) est un Marseillais en exil au Québec depuis une vingtaine d’année. Lorsque son frère Joseph (Patrick Bosso) lui annonce que leur père Giovanni (Venantino Venantini que l’on a vu dans Un + Une) est au seuil de la mort, il quitte son Canada adoptif pour rentrer au pays. L’occasion pour lui de renouer avec sa famille et de réparer les erreurs du passé.

Marseille, métissage et fraternité à l’honneur

Elena (Judith El Zein que l’on a vu dans Papa ou maman), Joseph (Patrick Bosso) et Paolo (Kad Merad)

Marseille est un exemple de plus qui mène à penser que les bandes-annonces sont une idiotie à fuir comme la peste. Nous sommes allés voir le film par défaut, parce qu’on avait le temps et sûrement pas grâce à la bande-annonce qui laissait entrevoir une comédie lourdingue imprégnée de clichés. Nous voilà pris à revers, le dernier film de Kad Merad, s’il distille quelques blagues de-ci de-là, est avant tout une tendre comédie dramatique sur le retour aux origines, sur les liens familiaux et sur le pardon. En première lecture, Marseille met en avant une famille unie malgré la distance. Les deux frères semblent immédiatement complices. Pourtant, peu à peu, les non-dits émergent, et l’on prend conscience que la situation est émotionnellement plus compliquée que celle-là. Si Joseph n’a guère de rancune, Paolo est rongé par la culpabilité autant que par la nostalgie d’un paradis perdus. Même si l’on avait guère apprécié le fond de Disparue en hiver, on avait reconnu à Kad Merad, un certain charme dans le jeu dramatique. C’est une opinion que nous réitérons à nouveau. Le trublion est ici à nouveau tout à fait crédible et convaincant. Face à lui, Patrick Bosso étonne également tandis que la prestation juste et poignante de Venantino Venantini détonne. Le vieil homme déambule comme une âme en peine, silencieuse, dont les yeux seuls, emplis d’une humanité généreuse, peuvent donner la mesure du malheur qui l’accable. Marseille déroule une galerie de personnages, tous attachants, dont l’histoire qu’ils taisent finit par être le ciment de leur réconciliation. Pour rendre sa mémoire à son père, Paolo devra d’abord accepter tous les aspects de la sienne.

Marseille, métissage et fraternité à l’honneur

Paolo (Kad Merad) et Stéphane (Louis-Do de Lencquesaing que l’on a vu dans Bon rétablissement ! et Francofonia, le Louvre sous l’occupation)

Par bien des aspects, Marseille rappelle le cinéma de Robert Guédiguian, cinéaste de l’Estaque, réalisateur des sans-voix, des prolétaires marseillais. Après tant de mauvaises presses, la cité phocéenne a bien besoin, loin des clichés de violence permanente, que l’on rappelle sa tradition fraternelle qui reste encore ancrée malgré les assauts assassins de l’uniformisation culturelle. Loin de la droitisation idiote qui pousse une partie de l’électorat pied-noir vers l’extrème-droite, véritable dénie de mémoire et d’identité, signe d’une terrible aliénation, Marseille montre ce qui rassemble et non ce qui divise. À l’image de ce port depuis toujours carrefour des immigrations méditerranéenne, sa culture est métissée. Peu importe leur origine, tous les Marseillais se rassemblent derrière des symboles d’unités notamment à travers le sport et l’Olympique de Marseille. Ainsi, Giovanni est un immigré italien qui a adopté et a été adopté par Marseille. Cultivant ses racines, on comprend qu’il a toujours eu à cœur de les faire partager, initiant ses enfants tous en les laissant se construire une identité propre à l’Occitanie. De la même manière, Marseille met en scène des jeunes de cités désœuvrées et une famille de gitan qui tous, finissent par raviver la flamme dans les yeux du vieillard à qui, tout autant que les paysages colorés de ses Cinque Terre natales, parlent les rythmes tziganes et les balètis au bord des calanques. De cette jeunesse désenchantée, Marseille ne livre pas la vision eschatologique des médias anxiogènes dont la peur est devenue le gagne-pain mais en montre le potentiel de solidarité pour peu qu’on l’insuffle à nouveau dans les esprits. Prolongeant ce constat, Marseille ne manque pas de rappeler comment les maladies professionnelles sont la triste récompense des ouvriers de la marine ni avec quel cynisme les salaires ont stagné ces vingt dernières années. Symbole de la reproduction sociale et de la part toujours grandissante confisqué au travail par le capital, la petite troupe de peintre que sont les amis de Joseph est le symbole encore vivant d’une camaraderie que les puissants s’attachent à déboulonner pour mieux nous exploiter. Actuellement, le « projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » n’est qu’un des multiples coup de boutoir que subit le mouvement ouvrier depuis les années soixante-dix, véritable usage de la novlangue capitaliste. Il n’appartient qu’à nous de réaffirmer haut et fort que le métissage culturel est un bienfait et que l’on ne cédera plus de terrain face à la réaction. Parce que nous ne sommes pas des chiffres de tableaux comptables, parce que l’on vaut mieux que ça.

Marseille, métissage et fraternité à l’honneur

Giovanni (Venantino Venantini)

Reprenant des thématiques qui nous sont chères comme la solidarité prolétarienne et affirmant que connaissant sa propre culture, on ne peut qu’être davantage à même de s’enrichir des autres, Marseille est aussi une émouvante histoire d’amour filiale de deux fils prêt-à-tout pour sauver leur père de l’amnésie. Car perdre la mémoire, c’est aussi s’effacer, disparaître et confisquer au monde ce que nous n’avons pas encore eu le temps de mettre en commun. Marseille pourrait-être un beau moment à partager en salle.

Boeringer Rémy

Pour retrouver la bande-annonce, parce que malgré, il y a des gens qui aiment être déçu, c’est par là : 


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