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Les Morues de Titiou Lecoq

Par Rambalh @Rambalh
Mon ancienne coloc m'avait beaucoup parlé de ce livre, partout : dans ma chambre, dans la sienne, dans le salon, la cuisine, le jardin... Et sur le forum A&M; aussi ! Et pour le Challenge A&M; Vide ta PAL, j'ai enfin craqué !
Les Morues de Titiou Lecoq

Quatrième de Couverture
C'est l'histoire des Morues, trois filles - Ema, Gabrielle et Alice – et un garçon – Fred –, trentenaires féministes pris dans leurs turpitudes amoureuses et professionnelles. Un livre qui commence par un hommage à Kurt Cobain, continue comme un polar, vous happe comme un thriller de journalisme politique, dévoile les dessous de la privatisation des services publics et s'achève finalement sur le roman de comment on s'aime et on se désire, en France, à l'ère de l'Internet. C'est le roman d'une époque, la nôtre.
Trépidant dans son volet polar, sensible lorsqu’il raconte l’énergie dépensée par les femmes pour préserver leur indépendance, Les Morues dresse le portrait insolent d’une époque sans mode d’emploi. Un excellent premier roman. Be.
Bien écrit en un savant négligé, voilà un premier roman épatant, drôle et instructif. Le Canard enchaîné.
Mon avis
Ema est une journaliste typiquement parisienne, qui mène une vie tout sauf rangée, refusant de se laisser enfermer dans un train-train quotidien bien rodé et dicté par la société. Quand son amie d’enfance, dont la vision de la vie diffère de la sienne sur le sujet, se suicide, Ema part doucement en vrille… Et se lance dans une enquête complètement barrée parce que, franchement, non, Charlotte n’a pas pu se suicider. Et encore moins avec un flingue.
Et c’est ainsi qu’on plonge dans le quotidien d’Ema, à travers son boulot où, moyennant quelques articles « people » elle réussit à glisser quelques articles plus creusés, à travers ses amis et, surtout, le trio féministe qu’elle forme avec Gabrielle et Alice. Au fil d’anecdotes sans lien apparent entre elles, on se glisse dans la vie d’Ema, on savoure la prose de Titiou Lecoq et ses idées sur le monde actuel. Un pan de vie où, finalement, l’enquête menée sur la mort de Charlotte finit par passer au second plan pour qu’on touche le but réel du roman : faire évoluer Ema, lui permettre de comprendre qu’elle peut avoir ses convictions tout en empruntant des chemins pseudo-conventionnels.
Car c’est bien toute la question soulevée par Les Morues : les cases sont réductrices mais rien ne nous empêchent de nous y glisser pour déplacer les parois et les adapter à ce que l’on est, sans se perdre. Après tout, ces cases sont des repères sociétaux qui ne veulent rien dire si on décide d’en faire ce que l’on souhaite.
Les personnages sont intéressants, ils ont tous un petit quelque chose qui fait qu’on a envie de les suivre, de les comprendre et de les épauler dans leur épopée (parce que, oui, on peut parler d’épopée quand il s’agit d’un chemin de vie d’abord !). Une chose m’a particulièrement dérangée : le côté très parisien du livre. La provinciale que je suis ne peut s’identifier complètement à ces personnages. Il y a un réel clivage entre Paris et le reste de la France, un clivage que l’on sent bien dans ce livre. Il ne m’a pas empêchée d’apprécier pleinement ce roman mais il m’a encore rappelé à quel point les Parisiens sont différents du reste des Français. Je ne saurais même pas expliquer en quoi, c’est réellement un ressenti global. Les mentalités ne sont pas les mêmes, tout est dans le paraître, la course à la vie sociale la plus intéressante et la plus fun, le besoin de connaître les lieux branchés, de se sentir comme une personne libérée… Je me demande si c’est une question de pression, si c’est vraiment typique de Paris de devoir montrer qu’on est quelqu’un à travers tout ce que l’on fait. Oui, vous me direz, chaque être humain se définit à travers le regard de l’autre… Mais, vraiment, dans ce roman, il y a le côté « vie parisienne » très marqué pour définir une identité. Je pense qu’il faut le vivre pour le comprendre et, évidemment, de mon Sud natal, c’est compliqué. Quoi qu’il en soit, ce détail est devenu bien mineur au fil des pages.
Et d’ailleurs, on tombe parfois dans le cliché très à la mode du « celui qui travaille pour le capitalisme rate sa vie ». Les personnages qui travaillent pour les grosses boîtes à des postes importants sont mal lotis dans le roman, là où ceux qui ont un boulot différent semblent être vus comme des personnes qui s’épanouissent plus facilement. Je ne dis pas que c’est faux mais je ne pense pas que cela soit vrai : le roman est un peu trop dans le tout noir ou tout blanc sur ce point et c’est dommage.
Titiou Lecoq a une plume agréable. Ce n’est pas à travers des envolées lyriques qu’elle s’exprime mais à partir d’un phrasé très actuel et qui pourtant fait mouche. Elle réussit à mettre les mots justes sur ce qu’elle cherche à transmettre. On est loin de la plume des grands auteurs classiques mais, finalement, on est pile poil dans une écriture qui parle très bien au lecteur et, en fouillant un peu, on trouve du très beau dans quelque chose qui semble simple au premier coup d’œil.
On retrouve complètement le style de la journaliste dans ce roman : ceux qui ont déjà fait un tour sur ses articles ou sur son blog retrouveront ce qui fait le charme de son écriture.
Au-delà des préoccupations quotidiennes de nos personnages, Titiou Lecoq soulève des questions plus profondes, comme la privatisation de la culture ou le féminisme. La privatisation de la culture est un sujet intéressant mais c’est du féminisme (et non, ce n’est pas un gros mot) que je préfère parler. Les Morues, c’est le trio initial formé par Ema, Gabrielle et Alice, un trio dont le but est d’établir une charte du féminisme basé sur les expériences de chacune… Et c’est important. Aujourd’hui, trop nombreux sont les gens qui ne comprennent pas que le féminisme n’est pas une notion figée. Le féminisme, c’est ce que chacun (et oui, pas chacune parce que ce n’est pas réservé qu’aux femmes) décide d’en faire pour lui. Ema, Gabrielle et Alice adapte des idées générales à leurs envies, leurs expériences et c’est là que j’aime Titiou Lecoq : elle rappelle que le féminisme c’est avant tout vouloir mettre les femmes au même niveau que les hommes de la façon dont elles le souhaitent. Le sexe ? C’est comme tu veux : dans tous les sens avec tout le monde ou en missionnaire avec la seule personne que tu as connue dans ta vie. Le couple ? C’est comme tu veux : engagement précis ou limite floue. Ta tenue ? C’est comme tu veux : que tu portes des talons de 15cm malgré la douleur parce que tu te sens bien ou que tu te balades avec ton vieux fute qui a fait la guerre et qui a un aspect douteux. Le féminisme, c’est ça, c’est pouvoir faire, dire, penser comme tu le veux sans qu’on te dise « mais t’es une femme, tu peux pas faire ça » ou pire « tu peux faire ça mais… il y a des conséquences ». Et ça, Titiou, elle nous l’écrit noir sur blanc et ça fait du bien. Nos trois héroïnes féministes doutent parfois de leur engagement avant de se rappeler que, merde, c’est bien parce qu’elles font ce qu’elles veulent qu’elles sont féministes, et pas parce qu’elles suivent un concept. Elles écrivent leur charte mais la modifie au grès du fil de leur vie. Et ça, les enfants, c’est le point important que je veux garder de ce livre si je ne dois en retenir qu’un. Qu’on soit Parisien ou Provincial, qu’importe : faisons ce qu’on veut, quand on veut sans que notre genre ne soit une limite imposée par des personnes qui osent penser qu’un sexe implique une différence entre deux individus.
Au final, ce livre, c’est un peu comme le blog de Titiou Lecoq : une tranche de vie, à travers différentes situations mais qui permettent aux personnages de se construire, d’avancer, de vivre. Et pour tout ça, je ne peux que le recommander. Il se lit rapidement, détend mais fait aussi réfléchir. Ce n’est pas le roman du siècle, ce n’est pas ce que j’ai lu de meilleur mais j’ai passé un bon moment. J’ai apprécié chaque page malgré les petits défauts, malgré certains clichés qui m’ont fait lever les yeux au ciel, et je suis sûre que d’autres sauront aussi apprécier.
Les Morues de Titiou Lecoq

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