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Chroniques manga : quand on garde le meilleur pour la fin…

Publié le 22 avril 2016 par Paoru

Chroniques Manga-1

Le rattrapage de lecture en retard, voir très en retard, fut  une activité de bon aloi pendant ces vacances d’avril (profitez bien, vous qui y êtes encore) parce que les piles de manga aux allures de tours de Pise me regardaient depuis quelques temps d’un mauvais œil. Ce rattrapage se fit dans une ambiance de renouvellement avec un enchaînement de derniers et de premiers tomes : quatre séries courtes ont raccroché les wagons et sept nouvelles se faisaient une petite place dans mes étagères… Onze mangas au programme sur la trentaine que j’ai lu pendant ces vacances, et ça ne m’étonnerait pas que quelques autres viennent s’ajouter à la liste avant la fin du mois.

Pour éviter l’indigestion, je commence par vous parler de ces 4 fins cette semaine, avant d’attaquer les nouveautés au prochain numéro. Bonne lecture à toutes et tous !

Ah j’oubliais : de nouveauté il était déjà question ce mois-ci, mais ailleurs, car j’ai signé un papier sur la nouvelle génération de super-héros en manga, avec One-Punch Man et My Hero Academia à l’honneur sur Journal du Japon. Allez y jeter un œil ;)

Les inratables… forts en émotions !

Orange 5
Orange #4 & #5  d’ Ichigo TAKANO chez Akata : impossible de passer à coté de la fin tant attendue d’Orange, ce phénomène shôjo 2015-2016 qui a su embarquer des dizaines de milliers de lecteurs… Et pour du shôjo ce n’est pas tous les jours ! Pour ceux qui seraient passés à côté je vous rappelle qu’il s’agit d’une bande d’amis de lycée, aujourd’hui adultes, qui sont rongés par la mort – le suicide, on l’apprend assez vite – de leur ami Kakeru, lui-même hanté par le suicide de sa propre mère. Un peu de science-fiction aidant, ces amis en question parviennent à écrire à leur moi du passé, leur envoyant une lettre chaque jour, et n’ont désormais plus qu’un but en tête : ne pas répéter les erreurs du passé et sauver Kakeru.

Trois garçons, trois filles, un triangle amoureux, les difficultés de communiquer avec autrui, la perte d’un être cher et comment soigner ceux qui souffrent en silence, à côté de vous. : voilà quelques thèmes et ingrédients de cette romance très originale qui, en plus d’un scénario accrocheur, s’est développée pendant cinq tomes en conservant ces deux qualités principales : des émotions à fleur de peau et l’angoisse relative au potentiel suicide de Takeru. Sans parler d’un excellent coup de crayon, pour ne rien gâcher.

Dans cette histoire, Takeru et la jeune et émotive Naho se montrent tous deux très maladroits – ça encore, dans les shôjos, on a l’habitude – mais Ichigo TAKANO amplifient singulièrement la nature des enjeux amoureux, dans la mesure où l’on ne sauve plus seulement une romance mais bel et bien une vie. Pour Naho la pression devient alors de plus en plus grande : il n’est plus question d’un jeu de séduction ou d’avoir le dernier mot, mais de réussir à déverrouiller la forteresse qu’a bâti Takeru autour de son cœur pour le convaincre qu’il a le droit au bonheur. Et c’est une tâche des plus ardus car ce dernier se montre très secret dans ses émotions et il est totalement effrayé par le mal qu’il peut faire à autrui. Ajouter à cela une immense culpabilité vis à vis du suicide de sa mère et on atteint une souffrance telle que les remparts qu’il est capable de dresser autour de lui sont impressionnants.

Rien n’est donc gagné d’avance, et les jours vont s’égrainer petit à petit jusqu’à la date prévue du suicide, faisant vivre de vrais montagnes russes au lecteur : tout semble possible jusqu’à la dernière minute ! Au moment où on a l’impression que le futur n’est pas écrit, le destin vient pour reprendre ses droits, presque à chaque fois, empêchant toute prédiction et nous laissant sur le fil, prêt à chuter dans le drame. De plus, on ne sait même plus quel futur on désire pour Naho car est-ce que son autre prétendant, Ueda, mérite de tout sacrifier pour Takeru, ses sentiments comme un avenir de rêve ? Tout ceci est aussi palpitant que poétique et nous laisse le cœur en émoi jusqu’à la dernière page…

Bilan :  Orange, c’était différent, c’était beau, c’était émouvant. Merci Ichigo TAKANO.

Poison City 2
Poison City 2  de Tetsuya Tsutsui chez Ki-oon : si j’avais rapidement consacré un article au premier tome et même eu la grande chance de rencontrer l’auteur, je ne pensais pas que Tetsuya TSUTSUI parviendrait à conserver l’intensité de son pitch dans ce deuxième et dernier tome. Je me disais qu’en lisant la suite un an après la parution du premier opus, la magie se serait en partie envolée. Mais, un an et un mois après, j’ai finalement retrouvé un titre qui avait encore du répondant. Mikio, le mangaka censuré pour son titre Dark Walker était à la croisée des chemins. Pour continuer d’exercer son métier normalement, il devait édulcorer sa série… Qu’il refuse de s’avouer vaincu je m’y attendais un peu, mais c’est sa descente aux enfers que je n’avais pas prévu !

C’est en effet une seconde tourmente qui attend notre jeune auteur, encore plus violente que la première, où ce n’est plus son oeuvre qui est mise en cause mais lui même, risquant d’être proclamé « auteur nocif » et envoyé en cure de réhabilitation. Carrément, façon Orange Mécanique.

On visualise dans ce second tome ce qu’il pourrait advenir si un un affrontement idéologique de grande ampleur devait avoir lieu… On comprend à quel point un auteur, peu habitué aux joutes publiques, est grandement désarmé lorsqu’il veut faire valoir son droit à l’individualité dans une société de consensus, face à des hommes politiques préparés et qui amènent le débat là où ils le veulent. Ces derniers, méprisables, ont en effet les arguments qui font mouche, mais uniquement parce qu’ils sont bien tournés… Des gigantesques troll contre la liberté d’expression sortent donc de leur bouches méprisantes, révoltant par leur obscurantisme, par leur agressivité – parfois latente, parfois explosive – sous le couvert du respect des bonnes mœurs.

Le « camp » des auteurs tel qu’il est décrit dans Poison City ne manque pas d’argument pour autant et il est loin d’être ridicule, bien au contraire, mais certaines guerres sont plus longues que prévues, et commence parfois par une défaite. La mise en garde de Tetsuya TSUTSUI résonne donc une dernière fois dans ce seinen qui est plus que jamais un indispensable de vos mangathèques, pour rester vigilant.

Bilan : avec ce titre passionnant on nous aura prévenu en tout cas, et plutôt deux fois qu’une !

Les inédits… qui nous avait intrigués

Sangsues tome 5 Casterman
SANGSUES #4 & #5 de Daisuke IMAI chez Sakka : L’éditeur, le sympathique Wladimir Labaere, m’en avait venté les mérites l’été dernier et c’est vrai que le premier tome vous happait avec force, via un pitch peu commun : SANGSUES, c’est l’histoire de Yoko, jeune fille malheureuse qui, suite à un concours de circonstances, est déclarée comme morte. Mais elle est bien vivante, plus qu’avant même, car elle se retrouve dés lors libérée des contraintes de sa vie d’avant. Elle vit désormais comme une sangsue, squattant appartements et maisons inoccupées pendant quelques heures ou quelques jours grâce à des résidents au travail ou en vacances. Une vie sans contrainte ? Pas si sûr…

Dans cette série en cinq  volumes on comprend rapidement que ce mode de vie était partagé par plusieurs personnes, une sorte d’ethnie fantôme avec ses propres lois, souvent celle du plus fort d’ailleurs. Ce qui a donc débuté comme un manga envoûtant, entre rêverie d’une vie sans attache et le phénomène des fameux évaporés au Japon, s’est très rapidement orienté vers un thriller. Notre héroïne déchirée entre cette nouvelle liberté et les attaches « humaines » de sa vie d’avant se confronte à un Japon de l’envers des plus violents, dans un système clanique qui évoque un peu celui des yakuzas.

La discussion n’est donc plus de savoir si une autre forme de vie est possible, loin du matérialisme et de la possession, mais si en sortant du système on doit ou non sacrifier notre humanité et nos sentiments pour revenir à l’état sauvage – et sa camoufler dans la jungle urbaine – ou perdre au contraire toute émotion pour se placer au-dessus des humains et de leurs lois stupides.

La poésie, même si elle est encore présente par petites touches (notamment dans la mise en scène et en page) a donc laissé la place au suspens, à l’action, aux rebondissements de situations, à des êtres finalement dévorés par leur exclusion et leur solitude. L’envoûtement initial s’est donc un peu étiolé lors du second et du troisième volume mais la narration efficace et les personnages secondaires bien campés, crédibles malgré leur grain de folie, font qu’on lit cette aventure inédite et cruelle jusqu’au bout.

Bilan : Un thriller original et bien exécuté, qui changera un peu du lot commun d’un genre plutôt bien fourni. On attend désormais avec impatience le prochain Daisuke IMAI… pour voir où il nous emmènera la prochaine fois.



monde-de-uchu-2-casterman
Le monde selon UCHU #2 de Ayako NODA chez SAKKA: C’est rare des mangas en deux tomes qui me marquent – vous en avez beaucoup dans vos étagères, vous ? – et c’est donc d’autant plus étonnant d’en trouver un deuxième dans cette sélection, après Poison City. Si ces deux histoires parlent toutes les deux de manga dans le manga, c’est vraiment – mais vraiment – leur seul point commun.

Là où le titre de TSUTSUI défend une cause dans un monde proche du notre, Ayako NODA nous projette directement dans un manga où les personnages prennent conscience de leur nature en 2 dimensions. Comme le dis le héros à l’héroïne – Uchu à Alice – « nous sommes dans un manga« . Ils sont alors capables de voir physiquement les bulles mais aussi de sentir qu’ils sont observés (par nous, les lecteurs) et manipulés par un auteur… Sans compter que les dialogues intérieurs, dans d’autres bulles sont dès lors à la disposition de tous puis que toute leur intimité risque bien d’être exposée au grand jour. Tout cela est écrit avec énormément d’ingéniosité et d’humour et m’avait accroché dès le volume 1, comme j’en témoigne dans cet article…

Conscient de cet état de fait le héros tentait, à la fin de cette première itération, de préserver son entourage : il choisissait de s’éloigner de ses amis afin qu’ils ne soient plus sous les projecteurs et qu’ils retrouvent leur vie privée. Mais rien n’est aussi simple car si un personnage disparaît le mangaka a alors une multitude de possibilités… Il peut le faire ré-apparaître de force, il peut changer le héros de son manga, en faire apparaître un second pour des histoires en parallèle, il peut faire bifurquer une romance vers un nouveau duo… Mais, fidèle à son inventivité et à sa capacité à nous surprendre, Le monde selon UCHU s’amuse de ces voies narratives : à peine les a-t-il utilisées qu’il les chamboule pour faire apparaître un personnage inattendu : Ayako NODA elle-même ! Et quand une mangaka se raconte elle-même au milieu de ses propres personnages, plus rien n’est véritablement prévisible.

Heureusement, le récit ne devient pas pour autant un bordel sans nom et on se laisse totalement embarquer par les doutes qui envahissent les protagonistes de ce monde métaphysique, en se posant nos propres questions : est-ce que les personnages guident l’auteur ou est-ce l’auteur qui guide ses créations et leur impose sa volonté ? Après tout on a plus d’une fois entendu un auteur avouer que ses personnages avaient pris vie et avaient modifié les intentions premières de leur créateur…

Mais, alors, comment les personnages de manga peuvent-ils prendre conscience de leur état et s’opposer aux altérations réalisées par l’auteur vu que le résultat de ces dernières ne sont rien d’autre qu’une nouvelle réalité, insoupçonnable ? De plus, même s’ils ont conscience d’eux-mêmes, comment les définir ? Etre ou ne pas être puisqu’ils peuvent être totalement transformés par un simple coup de crayon ?  Je pense donc je suis ne semble pas non plus un adage suffisant ici. Enfin, question toute aussi inquiétante : est-ce que les protagonistes, lorsqu’ils comprendront que l’histoire s’achève au 15e chapitre, pourront raisonnablement penser que leur vie va s’arrêter et qu’ils vont donc, de facto, mourir ?

Psychologie et philosophie se bousculent ainsi dans ce second tome, qui ne perd pas pour autant sa poésie ni son humour (mention spéciale aux yonkomas en début d’ouvrage : savoureux !).

Tout ça pour dire que Le monde selon UCHU est un ovni qui se lit et se relit avec plaisir, bourré de personnages attachant mais aussi de niveaux de lecture. Le cœur du lecteur comme son cerveau ont ainsi de quoi être comblés… Jetez-vous dessus !

Et voilà pour ces lectures… De tous ces titres et d’autres, il en est question, en images et commentaires, sur les réseaux sociaux comme Instagram, Facebook ou Twitter pour des impressions post-lecture à chaud. On finit avec la pile de choses à lire, toujours aussi volumineuse… Y a des choses qui vous intéressent là dedans ?

Chroniques Manga-2

En attendant de faire grossir la pile, rendez-vous la semaine prochaine pour une nouvelle interview éditeur !!


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