Magazine Journal intime

La poursuite du voyage

Par Hbpro

Jeudi 5 mai Séance n°29 (plus que 4)

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On sent que l’on approche de la fin de ce long, très long voyage sur la route des rayons.

On commence à percevoir un changement subtil dans la qualité de la lumière et l’air n’a plus tout-à-fait la même odeur.

C’est un peu comme on sent que l’on s’approche de la côte bien avant de commencer à voir la mer.

Sauf que ce n’est pas l’iode des embruns marins que nous commençons à sentir. C’est quelque chose de beaucoup plus insolite.

Si vous avez déjà vécu ou travaillé à proximité d’une brasserie ou d’une raffinerie de pétrole, vous savez certainement le genre d’effluves auxquelles je fais allusion – par moments cela peut être presque agréable et le lendemain, vous allez trouver cela nauséabond.

C’est l’odeur du pays de l’incertitude.

Au cours de ces sept semaines où nous avons marché sur la route des rayons, la vie nous a paru d’une incroyable simplicité. On se lève tous les matins, on met ses chaussures et on marche. Les visites quotidiennes à l’hôpital deviennent fatigantes – parfois, cela peut paraître monotone et déprimant, mais au moins, on sait où on va et ce qu’on a à faire.

Nous savons maintenant que lorsque nous arriverons au sommet de cette dernière crête, juste devant nous, à l’extrémité de la route des rayons, nous découvrirons un nouveau paysage, totalement différent.

Mais nous avons l’habitude de voyager au pays de l’incertitude. Toute personne atteinte d’un cancer passe le plus clair de son temps à arpenter ce pays – un pays imprévisible, fait de sables mouvants et de brumes tourbillonnantes.

C’est un pays où l’on se déplace, à l’aveuglette, de test sanguin en test sanguin, d’un scanner à l’autre, de consultation en consultation.

Dans mon cas, il faudra attendre la fin du mois de juin avant de savoir si le traitement a été efficace.

Même quand Schwarzy aura tiré sa dernière salve, mercredi prochain, ses assauts radioactifs vont continuer à faire leur effet pendant plusieurs semaines. En fait, la radioactivité dans votre corps atteint son maximum après la fin du traitement avant de diminuer progressivement.

On m’a donc averti qu’à cause de cela, la sensation de fatigue risquait de connaître un pic au cours des deux semaines suivant la fin du traitement.

Plus tard, quand la biochimie sanguine sera stabilisée, viendra le moment de faire le premier test PSA et d’affronter la première consultation post radiothérapie pour entendre « Le Verdict ».

Je suis résolument convaincu que ce verdict sera positif.

Et puis commencera le jeu de l’attente. Trois mois, si j’ai la baraka, un mois, si jamais il y a un doute.

Plus on se rapproche du prochain test plus l’incertitude va augmenter. Et l’on regagnera la confiance à hauteur du nombre de bons résultats consécutifs que l’on réussira à aligner.

Mais il suffit d’un seul mauvais résultat pour que tout s’écroule et que l’on se voit relégué dans la zone de la peur et de l’anxiété.

Je me souviens encore, avec la boule au ventre, de la sensation odieuse que j’ai éprouvée à l’automne dernier, neuf mois après ma prostatectomie, quand mon taux de PSA est soudain monté en flèche.

Mais je fais confiance à Schwarzy. C’est une machine à tuer sans états d’âme. Je sais qu’il va traquer chacune de ces maudites cellules cancéreuses jusqu’à la dernière et les exploser avec son fusil à pompe de la mort.

On ne peut pas lui échapper.

Nous vivons tous avec une certaine dose d’incertitude. La différence, c’est que nous, les survivants du cancer, nous en sommes peut-être plus conscients que les autres.

Mais dans un sens, et c’est là le paradoxe, nous avons en fait une certaine chance. Nous ne nous leurrons pas à chercher une certitude dans les possessions matérielles ou les croyances dogmatiques.

Nous adoptons l’incertitude et nous apprenons aussi à savourer son odeur particulière. Nous ne prenons rien pour acquis. Nous apprécions chaque journée, au jour le jour.

Nous buvons le calice doré de la vie, puis nous le posons avec fracas sur la table et réclamons qu’on nous le remplisse encore.

Et c’est fou comme c’est bon !



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