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[Avant-première] En secret, le carcan bourgeois pousse-au-crime

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

[Avant-première] En secret, le carcan bourgeois pousse-au-crime

En secret, le premier long-métrage de Charlie Stratton pourrait sortir de manière confidentielle, ce 27 mai 2016, si l’on ne s’évertuait pas, chez nous et ailleurs, à réparer ce genre d’injustice. Cette adaptation assez fidèle et tourmentée de Thérèse Raquin d’Émile Zola fait camper à Elisabeth Olsen, une jeune femme mariée, éperdue d’amour pour un bellâtre, en proie à une culpabilité qui la ronge.

Mariée à son cousin Camille (Tom Felton), un jeune homme chétif, sur l’insistance de sa tante (Jessica Lange que l’on adore dans American Horror Story), Thérèse (Elizabeth Olsen que l’on a vu dans Avengers : l’ère d’Ultron et Captain America : Civil War) a des rêves d’ailleurs. Lorsque son époux ramène à une soirée, Laurent (Oscar Isaac que l’on a vu dans Inside Llewyn Davis et Star Wars – Le réveil de la force), un fringuant jeune homme à l’âme artiste, elle tombe en pâmoison. Peu à peu, les deux amants prisonniers d’une situation incongrue envisage une solution radicale.

[Avant-première] En secret, le carcan bourgeois pousse-au-crime

Camille (Tom Felton) et Madame Raquin (Jessica Lange)

Poussant Elisabeth Olsen a en rajouter un poil trop dans la cabotinerie, flirtant avec l’imagerie d’un cinéma érotique bas de gamme, En secret surprend d’abord dans le mauvais sens du terme. En effet, la jeune femme minaude, joue l’exagération, illustrant une Thérèse proche de l’érotomanie et de la nymphomanie. Si l’on fait l’impasse sur ce choix esthétique hasardeux, l’hystérie contenue qui caractérise le personnage fait effleurer d’autre problématique. En premier lieu, le sort attristant d’une jeune orpheline placé dans une famille bourgeoise, obligée de se marier sans amour, qui plus est avec un jeune homme aux tares congénitales, si simplet qu’il n’a que peu conscience des autres et se retrouve auto-centrer.Sa mère, veuve, elle-même prisonnière du même carcan n’a d’autre but pour combler sa vie vide de sens que de la consacrer à son fils et, dans son entreprise, fait vite preuve d’un égoïsme forcené, ne considérant même pas la souffrance de sa bru. C’est que, chez ces gens-là, on ne cause pas, on compte. Subvenant aux besoins du couple, la mère considère donc avoir fait son devoir. Enfermée sur elle-même dans cet univers mortifère et confinée, Thérèse se fane en son corps et en son cœur. La photographie rappelant les maîtres flamands du clair-obscur est d’ailleurs très bien choisie pour évoquer ce sentiment. Seul l’étincelle amoureuse peut alors réveiller son ardeur. En d’autre temps, des médecins bien attentionnés, reflet de l’arriération de leur époque et du statut bâtard des femmes, l’aurait qualifié d’hystérique, là où ne se reflète finalement que l’aliénation d’une société sclérosée qui nie le désir féminin, et dans certains cas, le plaisir tout coup. Des lors, les deux tourtereaux vont trouver dans l’adultère, pour l’une, la libération de l’esprit, un avant-goût de liberté, et pour l’autre, un but plus noble qu’une vie de plaisir facile.

[Avant-première] En secret, le carcan bourgeois pousse-au-crime

Thérèse (Elisabeth Olsen) et Laurent (Oscar Isaac)

C’est ici que se joue le tournant du film. D’un drame social effleurant la bluette romantique, En secret se mue en polar sombre et prenant où l’on se rend compte que Zola n’aurait rien à envier aux meilleurs scénaristes de notre temps. Sans les condamner publiquement, d’un point de vue social, l’intrigue condamne néanmoins les protagonistes à se battre avec leur propre conscience. La frontière entre anticonformisme libérateur et tabou nécessaire devient alors très floue. Pour le spectateur lui-même, à qui l’on demande d’être très empathique avec Thérèse, pauvre hère victime de son statut de femme sous tutelle, son basculement dans le crime et la folie destructrice qui s’empare du couple fait remettre, non pas leurs intentions, mais leur moyen d’actions en question. Pour autant, le contexte replace le châtiment inévitable comme inhérent aux coupables, seuls réels responsable, face à leurs consciences, de leurs actes. Car non seulement la tante, pourtant aux racines du mal, ne se rend compte de rien, trop heureuse des ornières qu’elle s’est elle-même construite mais le reste de la société, dans son hypocrisie bourgeoise feint de ne rien comprendre et arrive à s’en convaincre pour ne pas déranger son petit confort aristocratique, pour ne pas bouleverser son monde d’étiquette et de faux-semblants. Pour donner l’ampleur du drame intellectuel qui se joue là, le meilleur exemple est certainement celui de l’inspecteur Michaud (John Kavanagh), policier de son état qui avoue ne jamais avoir pénétré dans la morgue, alors même qu’il mène des enquêtes pour homicide. Une manière sans équivoque d’appuyer là où le bât blesse, tout cette petite société refusant de regarder le monde en face, tel qu’il est, avec ce qu’il contient de frustration, de rage et de violence, loin de l’atmosphère feutrée de leurs parties de domino.

[Avant-première] En secret, le carcan bourgeois pousse-au-crime

Thérèse (Elisabeth Olsen)

En secret est une agréable surprise dont on a apprécié la noirceur sans concessions. L’odeur de soufre du roman, pourtant publié en 1867 est toujours aussi prégnante, par instant, vraiment dérangeante. Le signe que certain auteur resteront intemporel pour avoir su capter l’âme humaine et décrire avec une plume acerbe les chemins de traverses de nos sociétés, ceux que les puissants prennent bien soin d’ignorer.

Boeringer Rémy

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