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Captain America : le point sur la polémique HYDRA

Par Cosmos @midnight_peanut

Le 25 mai 2016 sortait le premier chapitre de Captain America: Steve Rogers, avec une révélation de taille : en fait, Steve Rogers appartient à l’HYDRA, une organisation cristallisant tout ce contre quoi il se battait depuis le début.

Un flash-back laisse penser que c’est en réalité le cas depuis toujours et, dès la sortie du chapitre, le scénariste Nick Spencer balayait les interprétations les plus évidentes dans une interview :

Ce n’est ni un clone, ni un imposteur, ni du contrôle mental, ni quelqu’un d’autre agissant par l’intermédiaire de Steve. Il s’agit vraiment de Steve Rogers, Captain America lui-même.

Sans surprise, cette révélation a créé une immense controverse, avec des réactions pas toujours très bien informées des deux côtés. Défrichons un peu.

Je propose de commencer par le plus simple. Si votre réaction à cette révélation ou sa controverse est :

  • d’envoyer des menaces de morts à l’auteur, à l’éditeur ou au chat de James Gunn ;
  • à l’inverse, de dire « alors j’ai pas vraiment lu les critiques mais je comprends pas comment on peut avoir cette réaction, les gens qui twittent #SayNoToHYDRACap ne lisent sans doute pas de comics, n’ont rien d’autre à faire de leur vie ou <insérez ici le cliché condescendant de votre choix> ».

Alors. Vous. Avez. Un. Problème.

On peut critiquer ce twist ET avoir déjà lu des comics

Je ne reviens pas sur les menaces de mort parce que ça me semble vraiment évident. Précisons d’ailleurs qu’Ed Brubaker – un précédent scénariste des aventures de Steve Rogers – a également été la cible des fans agacés, alors qu’il ne travaille même plus pour Marvel depuis des années :

It’s nice I’m now getting abuse from lunatics about Captain America, a comic I haven’t worked on for over five years.

— Ed Brubaker (@brubaker) 26 mai 2016

Cependant, ce n’est pas parce qu’une partie des critiques dépasse les bornes qu’il n’y a pas une sincère indignation au cœur de tout ça et qu’on peut se permettre de toutes les balayer d’un revers de la main en se disant « nan mais les gens qui disent ça n’ont sans doute jamais ouvert un comics de leur vie ». Comme pour la couverture alternative de Batgirl #41 avec le Joker, il semble plus facile de croire que la controverse n’a tout simplement pas lieu d’être, au lieu de faire l’effort de vraiment lire les arguments d’en face et d’essayer de les comprendre, sans forcément être d’accord.

Car – SURPRISE ! – les critiques peuvent être très au courant des ficelles utilisées par les comics, comme ici la révélation-choquante-de-fin-de-chapitre-qui-suscite-le-buzz. Et être notamment agacés par leur utilisation lorsqu’elle ternit l’image d’un super-héros créé par deux auteurs juifs pendant la seconde guerre mondiale et qui collait une mandale à Hitler lors de sa première apparition. Pour certains lecteurs, le souvenir des horreurs perpétrées contre des membres de leur famille pendant la seconde guerre mondiale est encore vif, ce qui influe sur leur réaction.

Un propos on ne peut plus d’actualité…

L’HYDRA peut cependant être utilisée pour dresser des parallèles plus généraux. Plus qu’une sorte de version fictive du nazisme, l’HYDRA est une organisation fasciste qui peut incarner des discours de propagande très actuels. Une séquence de ce chapitre #1 montre d’ailleurs un de ses leaders en train de convertir ses prochaines recrues, principalement des hommes blancs issus de milieux défavorisés :

Steve Rogers: Captain America #1

Difficile de ne pas faire un rapprochement avec le discours actuel de Donald Trump quand celui-ci est un candidat sérieux aux élections présidentielles aux Etats-Unis. Ou de ne pas voir l’allusion à la montée en puissance des idées d’extrême droite en Occident. Des idées auxquelles le scénariste a déjà commencé à s’attaquer depuis quelques mois.

Sam Wilson: Captain America #1

Sam Wilson a aussi sa série – Sam Wilson: Captain America – écrite par le même Nick Spencer

En effet, la série s’appelle Steve Rogers: Captain America parce qu’il y a actuellement deux personnages qui portent ce titre : Steve mais aussi Sam Wilson, précédemment Falcon. Lorsque le premier avait été privé de son sérum de super-soldat et était devenu un vieillard, il avait en effet confié son bouclier à Sam. A présent qu’il est à nouveau jeune et fringant, Sam garde le bouclier mais les deux partagent le titre.

Comme ce n’était pas la première fois qu’un autre personnage prenait le titre de Captain America ou qu’un héros blanc était remplacé par un personnage issu d’une minorité ethnique, plusieurs fans avaient accueilli la nouvelle de façon assez tiède. Sam allait sans doute être Cap pour un temps, avant qu’une histoire ne le fasse redevenir Falcon et que Steve soit réaffirmé comme Le Vrai Captain, ohlala quelle surprise mes amis.

Le chapitre #1 avait d’ailleurs déjà fait parler de lui. Sam s’attaquait en effet aux Sons of the Serpent, un groupe raciste qui patrouillait à la frontière mexicaine pour stopper l’immigration clandestine, ce qui avait choqué l’émission Fox & Friends.

Avec ce retournement de situation et ces deux Captain, Nick Spencer confirme qu’il a bien des plans pour ces personnages et continue à s’en servir pour faire un commentaire sur la situation actuelle des Etats-Unis. Jeter le doute sur les motivations du porte-drapeau des Etats-Unis, blond et blanc, au top de sa notoriété grâce aux films Marvel Studios a en effet bien plus d’impact et de résonance que réutiliser une énième fois un Red Skull laid et grimaçant, immédiatement connoté « méchant ».

…mais critiquable sur la forme

Dans un excellent billet sur Tumblr, Tea Berry-Blue critique cependant la façon dont ce message est formulé (je ne cite qu’un passage, mais je vous recommande vraiment d’en lire l’intégralité, pour la finesse de son argumentation et la façon dont elle dissèque l’ensemble de ce qui nous a été présenté, à la fois le chapitre en lui-même mais aussi sa promotion et les interviews données à ce sujet) :

[Dans les interviews,] il y a toute une conversation sur la surprise de découvrir que des personnes apparemment bonnes sont des suprémacistes blancs. On a l’impression que Brevoort et Spencer veulent parler de l’horreur de découvrir que leurs amis sur Facebook soutiennent Trump, sans réaliser que la majorité d’entre nous ne peut se permettre de vivre dans un monde où nous serions parfaitement inconscients de cette haine jusqu’à ce que quelqu’un la témoigne de façon très flagrante. Ils semblent penser qu’il disent quelque chose de nouveau à leurs lecteurs, sans réaliser comment ce message est reçu par des gens qui doivent subir cette haine ancrée dans les politiques autour de l’identité.

Oui, il y a eu d’autres histoires où Steve était méchant. Où il était un nazi/membre de l’HYDRA. D’un côté, il est important de reconnaître que ce n’est pas vraiment nouveau, mais d’un autre tout le battage autour de cet événement est d’assez mauvais goût. Et ces histoires n’ont pas été crées à un moment où la haine raciale était déjà élevée comme récemment, spécifiquement pour parler de sa montée en puissance. Il y a des gens aux Etats-Unis qui doivent supporter en ce moment même les répercussions bien réelles de groupes de propagande haineuse bien réels. Leur réaction viscérale et passionnée est tout à fait valide. Ils en ont le droit. C’est très bien que des personnes privilégiées qui reconnaissent un problème utilisent leur moyen d’expression pour éduquer d’autres personnes privilégiées. Mais ils doivent penser à la façon dont cela affecte profondément ceux qui n’ont pas autant de privilèges, qui font également partie de leur public et qui ne peuvent pas échapper à ces choses dans la réalité. Là encore, la façon de dire les choses est importante.

Un catalyseur de la discussion sur les fans et leurs exigences

Cinq jours après la sortie de Steve Rogers: Captain America #1, Devin Faraci publiait un article appelé Fandom is Broken, qui a énormément tourné sur les réseaux sociaux. Dans celui-ci, il pointait du doigt l’exigence grandissante des fans sur les réseaux sociaux, qui sembleraient attendre des créateurs qu’ils satisfassent toutes leurs demandes, que ce soit lorsqu’ils appellent à davantage d’inclusion (#GiveElsaAGirlfriend) ou… à la haine (toute la campagne contre le prochain reboot de Ghostbusters avec un cast féminin).

Bien qu’il ait touché une corde sensible, cet article a aussi été très critiqué, pour l’amalgame qu’il faisait entre une campagne haineuse et le désir d’une partie du public de ne plus se voir ignorée continuellement dans la fiction. Comme avec les réactions citées en haut de page, on en revient à une minorité qui témoigne de la blessure qu’elle a ressentie et se retrouve commodément mise dans le même sac que des comportements haineux et/ou réduite à cela, notamment pour la faire taire. De plus, les critiques rappelaient aussi que des firmes comme Disney/Marvel exploitent des licences : s’il y a une part de création indéniable, la satisfaction des consommateurs et la réalisation des meilleurs bénéfices possibles font partie intégrante de leurs objectifs et il serait naïf de l’oublier.

Sur la sphère comics de Twitter plus spécifiquement, les échanges se sont envenimés (étant arrivé après la bataille, je ne peux pas / souhaite pas rentrer dans les détails) mais a eu le mérite de susciter une autre discussion, sur les frontières bien plus floues qu’il n’y paraît entre fan, critique et créateur. Un sujet à suivre…


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