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Toujours l’hystérie du poème : le spectre de Mahmoud Darwich

Publié le 25 juillet 2016 par Gonzo
tombDarwichLa tombe de Mahmoud Darwich à Ramallah.

ايها المارون بين الكلمات العابرة
آن ان تنصرفوا
وتقيموا اينما شئتم ولكن لا تقيموا بيننا
آن ان تنصرفوا
ولتموتوا اينما شئتم ولكن لا تموتو بيننا
فلنا في ارضنا مانعمل
ولنا الماضي هنا
ولنا صوت الحياة الاول
ولنا الحاضر،والحاضر ، والمستقبل
ولنا الدنيا هنا…و الاخرة
فاخرجوا من ارضنا
من برنا ..من بحرنا
من قمحنا ..من ملحنا ..من جرحنا
من كل شيء،واخرجوا
من مفردات الذاكرة
ايها المارون بين الكلمات العابرة

Vous qui passez parmi les paroles passagères
il est temps que vous partiez
et que vous vous fixiez où bon vous semble
mais ne vous fixez pas parmi nous
Il est temps que vous partiez
que vous mouriez où bon vous semble
mais ne mourez pas parmi nous
Nous avons à faire dans notre terre
ici, nous avons le passé
la voix inaugurale de la vie
et nous y avons le présent, le présent et l’avenir
nous y avons l’ici-bas et l’au-delà
Alors, sortez de notre terre
de notre terre ferme, de notre mer
de notre blé, de notre sel, de notre blessure
de toute chose, sortez
des souvenirs de la mémoire
ô vous qui passez parmi les paroles passagères

couvminuit

En avril 1988, quelques mois après le déclenchement de la première intifada, Ytzhak Shamir était monté à la tribune de la Knesset pour dénoncer ce texte qu’il se refusait à lire devant le Parlement pour ne pas lui « accorder l’honneur de figurer dans les archives ». Selon le Premier ministre israélien de l’époque, Passants parmi les paroles passagères (عابرون في كلام عابر dans une traduction d’Abdelatif Laâbi) était « l’expression exacte des objectifs recherchés par les bandes d’assassins organisés sous le paravent de l’OLP ». Comme l’écrivait alors Mahmoud Darwich dans un article pour Al-youm al-sabee (اليوم السابع) intitulé L’hystérie du poème (et repris dans un volume publié aux éditions de Minuit sous le titre Palestine mon pays, « les Israéliens ont été surpris de découvrir que le peuple palestinien n’aim[ait] ni l’occupation ni les occupants ».

Douze ans plus tard, un autre Premier ministre, Ehud Barak, avait dû désavouer un de ses ministres, Yossi Sarid, qui avait souhaité, en 2000, qu’un manuel scolaire officiel propose quelques extraits du poète palestinien. Menacé par une motion de censure déposée par le Likoud, Ehud Barak avait alors déclaré que « les conditions [n’étaient] pas encore réunies pour enseigner Darwich dans les écoles ».

Trente ans après la première « affaire du poème » et huit ans après la mort du poète à la suite d’une opération cardiaque aux États-Unis, Mahmoud Darwich continue à faire scandale en Israël, à propos d’un texte écrit il y a un demi-siècle ! Publié en 1964, Inscris, je suis arabe ! (سدل أنا عربي) clôturait en effet Awrâq al-zaytûn (أوراق الزيتون), un des premiers volumes publiés dans son pays natal par le jeune poète. Dans sa version en hébreu, donnée par le traducteur en personne, Inscris je suis arabe ! était tout récemment au programme de la Radio militaire israélienne dans le cadre d’une émission pédagogique intitulée « Un texte israélien fondateur »…

Largement de quoi susciter la fureur de l’actuel ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, qui a convoqué le responsable de ladite radio pour « une affaire grave impliquant quelqu’un qui a écrit des textes contre le sionisme, qui sont utilisés jusqu’à présent pour encourager des actions terroristes contre l’État d’Israël ». Dans l’esprit de ce politicien ultra-nationaliste « controversé en raison de son vocabulaire violent et de ses positions anti-arabes » comme l’écrit poliment Wikipédia, on peut considérer qu’« avec cette logique, l’héritage complet du mufti al-Husseini ou les mérites littéraires de Mein Kampf pourraient aussi avoir été inclus dans le programme » !

Miri Regev, ministre de la Culture (et des Sports) dans l’actuel gouvernement israélien, se devait de ne pas être en reste : « Darwish n’est pas Israélien, ses écrits ne sont pas israéliens, et sont fondamentalement en opposition à toutes les valeurs cruciales de la société israélienne » a-t-elle ainsi déclaré. Juridiquement, on peut considérer qu’elle a tort puisque le poète, né en Galilée en 1941, avait fini par obtenir un statut légal en Israël où sa famille était rentrée clandestinement après avoir fui les combats en 1948. En même temps, il est vrai que le poète avait perdu ses « droits » nationaux après son départ de son pays natal en 1970. Les autorités israéliennes, qui n’ont autorisé sa présence qu’à de très rares reprises (voir ce billet de 2007), ont d’ailleurs refusé que sa dépouille mortelle soit enterrée (autre billet) dans son village natal, près de Haïfa (autre billet sur la position à ce sujet de sa famille).

Comme l’écrit fort bien Gideon Levy dans le quotidien Haaretz, tant que l’occupant persistera à nier son « péché originel », celui qu’il a commis à l’encontre des Palestiniens lors de sa guerre d’indépendance, le fantôme de la grande voix poétique des Palestiniens « va continuer à hanter Israël ».


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