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Alice Munro, « Trop de bonheur »

Par Ellettres @Ellettres

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« Bien des gens qui n’ont pas étudié les mathématiques les confondent avec l’arithmétique et les considèrent comme une science austère et aride. Alors qu’en fait, c’est une science qui requiert beaucoup d’imagination.« 

Sofia Kovaleskaïa

« Trop de bonheur », c’est la vie de Sofia Kovaleskaïa, mathématicienne de génie – et romancière – née et morte dans la deuxième partie du XIXe siècle : une vie qui joue avec les probabilités, déjoue l’équation de l’amour et du mariage, et trace des sinusoïdes entre Russie, France, Allemagne et Suède. Bien que titulaire d’un doctorat et lauréate d’un prestigieux prix de mathématiques, sa possibilité de faire carrière dans le marché universitaire de l’époque frise l’asymptote plus que la rencontre de deux droites. Elle fit un mariage blanc pour pouvoir sortir de Russie et devint finalement l’une des premières femmes, sinon la première, titulaires d’une chaire de mathématiques à l’université (en Suède évidemment). Elle côtoie la littérature (Dostoïevsky demanda sa soeur Anna en mariage) et l’histoire (elle participa au sauvetage d’un célèbre Communard, mari qu’Anna finalement épousa). Cette vie défie toute l’imagination d’un écrivain ! Voilà pourquoi Alice Munro a choisi de la mettre en scène sans rien y ajouter, mais en se documentant beaucoup à partir des lettres de Kovaleskaïa pour nous donner à sentir le for intérieur de la mathématicienne. Munro n’a même pas eu à inventer une chute digne de ce nom pour une nouvelle puisque Sofia Kovaleskaïa la lui a fournie sur un plateau : elle mourut à l’âge de 40 ans, quelques mois avant d’épouser le grand amour de sa vie.

Alice Munro est une nouvelliste canadienne anglophone, célèbre apparemment puisqu’elle a reçu le Prix Nobel en 2013 (mais je n’avais absolument pas suivi). A part « Trop de bonheur » qui donne son titre au recueil, le reste des nouvelles sont des œuvres de fiction qui mettent en scène des personnages plutôt communs au premier abord : des mères de famille, des étudiantes, un bûcheron, un présentateur de radio, une anthropologue, des profs… Ils sont parfois (souvent) mal servis et mal traités par la vie. Ils font des rencontres déterminantes. Tous ont une vie intérieure insoupçonnée, y compris d’eux-mêmes, et qui les conduit à adopter parfois des comportements fort étranges et inexplicables. J’ai en particulier été marquée par « Jeu d’enfants », d’une terrible fatalité, née de l’aversion d’une enfant pour une autre pas comme les autres.

L’écriture de Munro m’a un peu rebutée au départ. Je n’arrive pas vraiment à mettre le doigt dessus, et il semblera peut-être niais que je dise que son style n’est « pas très joli ». Est-ce un défaut de traduction ? Ce sont des phrases qui ne s’enchaînent pas de façon harmonieuse, des phrases à rallonge qui s’arrêtent abruptement. Cela contribue à donner un sentiment de distance et de mystère à l’égard des personnages. J’ai été peu à peu conquise néanmoins par ces récits courts et pourtant vibrants, qui arrivent parfois à embrasser la totalité d’une vie : des raccourcis saisissants.

Bref, je l’ai lue car j’avais lu sur un blog le témoignage d’une personne dont c’était l’écrivain préféré (au point qu’elle avait donné « Munro » en deuxième prénom à sa fille – ça m’avait intriguée : pourquoi pas Alice ?) Je n’ai pas ressenti de coup de cœur à proprement parler, je ne donnerai pas « Munro » en 2e prénom à ma 3e fille (qui n’existe pas encore d’ailleurs), mais je retiens définitivement le nom de Munro comme celui d’une auteur intéressante que je retrouverai avec grand plaisir.

« Trop de bonheur » d’Alice Munro, Ed. de l’Olivier, 320 p.


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