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Hans Hartung. Créer, alors que la mort guette…

Publié le 16 septembre 2016 par Les Lettres Françaises

catagall2016_1« Le nom d’Hartung », écrit le critique d’art Pierre Restany dans la revue internationale d’art contemporain Prisme des arts en 1956, « s’auréole d’une légende colportée un peu partout : ce fils d’un chimiste de Leipzig, du toit de la maison paternelle cherchait à lire son destin dans les étoiles : le lycéen de Dresde jetait dans ses cahiers, d’instinct rapide et sûr, les lignes étranges, premier chaînon d’une relation nouvelle entre l’homme et le monde ; le soldat de la liberté préférait enfin la Légion étrangère à l’asile new-yorkais et payait du prix du sang l’attachement qu’il porte à la patrie qu’il s’est choisie ».

L’exposition Beau geste, Hans Hartung peintre et légionnaire, que la ville d’Aubagne a  consacrée du 16 avril au 28 août derniers à l’artiste d’origine allemande, naturalisé français en 1946,  considéré comme le maître de l’abstraction lyrique, est particulièrement intéressante car elle donne un nouvel éclairage sur l’œuvre et sur l’homme, disparu il y a plus de 25 ans.

Elle met en lumière  « un homme de l’action et du geste, de l’engagement physique et moral, un homme à l’immense appétit de la vie », comme l’écrit Fabrice Hergott, directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris et commissaire général. Et présente dans un double espace, les nouvelles installations du Musée de la Légion étrangère,  et  le superbe écrin du Centre d’art Les pénitents noirs situé sur les hauteurs de la ville, deux moments forts de la création de l’artiste confronté à la mort.

Des années sombres de la guerre durant lesquelles, engagé à deux reprises dans la Légion étrangère aux côtés de la France et contre son propre pays, il sera blessé au Front, devra endurer deux opérations et sera  amputé de la jambe droite, aux années solaires d’Antibes, un demi-siècle s’est écoulé. Il y a pourtant comme le souligne Thomas Schlesser, directeur de la Fondation Hartung-Bergman, qui a prêté l’intégralité des œuvres de l’exposition,  dans ces deux temps  un tropisme commun : l’urgence de créer, alors que la mort guette. Il s’agit en effet, pour Hartung,  de surpasser son handicap, de trouver de nouvelles manières de créer.

La première partie de l’exposition regroupe au Musée de la Légion étrangère, outre un certain nombre d’archives,  un ensemble d’œuvres, tantôt abstraites, tantôt figuratives  datant de la période  1939-1945. Des dessins réalisés au crayon ou au pastel, au fusain qui proposent une grammaire visuelle simple où le trait griffonné, vrillé, saccadé  rencontre  des zones colorées sans contours.

Une vingtaine de papiers crayonnés et d’encres relèvent d’une expérimentation graphique quotidienne, au cours de laquelle l’artiste substitue, par exemple,  à sa signature  son nom d’emprunt de 1943, Gauthier,  son nom de légionnaire Berton, ou encore se réinvente une identité autour de nouveaux noms. Tout un vocabulaire graphique et phonétique que l’on retrouve parfois dans des œuvres esquissées ou (et) réalisées, se fait jour, donne naissance à des personnages, et ouvre dans les créations « un empire de sensations dans lesquelles tout notre être est impliqué par le cœur et l’intellect », comme l’écrit Léon Degand, dans Les Lettres françaises de 1948. Et le critique de poursuivre « A aucun moment (Hartung) ne tombe dans le décoratif gratuit. Il répugne à l’accessoire. Il s’engage résolument jusqu’à l’extrême de ses facultés – et des nôtres ».

Six huiles sur papier datées 1943 et 1945 sont peu connues ou présentées pour la première fois. Réalisées sur des matériaux de fortune, papier récupéré et peinture destinée normalement à des revêtements de bâtiments, ces œuvres « fragiles » sont particulièrement émouvantes.

La série des « têtes » anonymes datent essentiellement de 1940. Elle forme un ensemble singulier d’inspiration picassienne. Tourné vers la droite ou vers la gauche, les profils réalisés  à l’huile, au pastel, au crayon, à la gouache sont uniques dans la production de l’artiste. Elles offrent des formes colorées acérées et d’une forte intensité visuelle.

A ces créations de taille modeste de la période de guerre font écho les œuvres ultimes de l’artiste présentées au Centre d’art Les Pénitents noirs. Réalisées dans le grand atelier d’Antibes entre le 11 et 16 juillet 1989, – l’artiste à 85 ans,  il décèdera le 7 décembre de la même année,  ces 17 acryliques sur toile s’épanouissent au contraire dans des formats imposants – 5 m sur 3 pour certaines d’entre elles. Nouvelle échelle et  nouveau procédé technique comme l’emploi de la sulfateuse qui permettent  de libérer une formidable énergie tout en conservant une étonnante maitrise du procédé créatif. Hartung, de son fauteuil roulant traduit en jets de couleur virtuose  un monde intérieur que toute une existence est venu façonner. Beau geste, cet « au-delà du corps et de la peinture » n’en finit pas de nous fasciner.

Urgence de créer parce que la mort guette ! « Ce plaisir de peindre, disait Hartung, c’est le plaisir de vivre. On ne peut s’arrêter. »

Marc Sagaert

Beau Geste, Hans Hartung, peintre et légionnaire. 
Ouvrage-catalogue publié sous la direction de Fabrice Hergott. 
Textes de Pierre Assouline, Alexis Neviaski, Laurence Bertrand Dorléac 
et Pierre Wat. Paris, Gallimard, Fondation Hartung-Bergman.
2016, 140p, 160 illustrations, 29 euros.


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