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Le voyage à Duino, d'Éric Masserey

Publié le 22 septembre 2016 par Francisrichard @francisrichard
Le voyage à Duino, d'Éric Masserey

Duino est une petite ville italienne au bord de l'Adriatique, tout près de Trieste, où le poète Rainer Maria Rilke a composé de célèbres élégies, dans le château du lieu, propriété alors de la comtesse Marie Taxis. Le lecteur peut donc s'attendre à ce que le Voyage à Duino, le roman d'Eric Masserey, soit un voyage poétique.

Et cette attente n'est pas déçue non seulement parce que l'âme du poète plane sur l'histoire, mais parce que l'auteur trouve des accents poétiques pour relater ce bref voyage d'amour entre Eve et Charles, qui ont tous deux la cinquantaine et ont tous deux eu une fille la même année, ce qui était au fond pour eux comme avoir une famille commune.

L'amour transforme tout, y compris les noms des personnages. Eve L. devient Eva Bird et Charles Dormond devient Carlo d'Ormondo, et même Ormundo tout court, pour les besoins de l'idylle, qui n'excède pas trois jours et n'en est pas moins intense et mémorable pour ces deux êtres, qui se connaissent depuis des lustres.

Car Eva et Ormundo se sont connus adolescents. Bien que ressentant une attirance l'un pour l'autre, ils ont vécu leur vie, ont continué à se voir, à se parler, à se regarder vivre, sans pour autant franchir la distance qui les séparait. Jusqu'à ce que l'occasion se présente d'aller ensemble sur les traces du poète de Duino.

Le voyage du couple éphémère commence à Milan où, avant de prendre ensemble le train pour Duino, ils font l'amour une première fois, alors qu'ils ont fait l'amour pendant trente ans ailleurs. Toutefois ils ne vont pas jusqu'à dormir ensemble: ils ne peuvent pas encore partager [leur] intimité dans le sommeil...

A Duino, Ormundo, l'architecte, et Eva, la directrice artistique de la Fundacion Liminales, sont réunis. Ils occupent la même chambre à la Dama Bianca. Ils font pourtant récit à part quand il s'agit de raconter cette histoire d'un amour, qui ne dure pas toujours et que traversent les mêmes personnages rencontrés à Duino.

Dans leurs deux récits apparaissent ainsi l'enfant Höld Erdmond, que ses amis appellent plus simplement Hellmond, qui joue avec lui aux pierres-mondes et avec elle aux oiseaux de papier; sa mère, Thaïs, qui les a entendus quand ils faisaient l'amour; son père, Ontorius; Giorgio, le pêcheur immobile.

Apparaissent aussi dans leurs deux récits le grand-père de Charles, Leon Battista d'Ormondo, architecte de la Scala piccola, et Laylat, qui est la nuit et qui non seulement trahit Leon mais possède l'autre, Matteo Latran, le représentant du Vatican. Eva imagine Ormundo en Battista et s'imagine en Laylat...

Ce qui a définitivement emporté Eva, c'est cette phrase sibylline d'Ormundo, dite quand ils sont sortis du Dôme de Milan, plein de diables: Un moineau se sentirait à l'étroit ici, mais un couple d'aigles n'épuiserait pas un seul vers de Rilke. Il ne pouvait viser plus juste son coeur qu'en évoquant le poète de Duino.

Le lecteur ne saura qu'à la fin pourquoi cette parenthèse de trois jours qui s'était refermée sur des souvenirs éblouis, doit se rouvrir dans d'autres circonstances, plus tragiques, qui sont le lot des existences humaines: Eva voit en elles des cycles non répétitifs et Ormundo des sillages lisibles, comme ceux des bateaux dans la mer...

Francis Richard

Le voyage à Duino, Éric Masserey, 184 pages Bernard Campiche Éditeur


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