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Annik Mahaim, invitée de Tulalu!?, au Lausanne-Moudon

Publié le 03 octobre 2016 par Francisrichard @francisrichard
Claudine Berthet, Annik Mahaim et Pierre Fankhauser

Claudine Berthet, Annik Mahaim et Pierre Fankhauser

Ce soir, pour sa première rencontre du lundi soir de la saison 2016-2017, l'association littéraire Tulalu!? reçoit Annik Mahaim au Lausanne-Moudon. Et Pierre Fankhauser, son animateur charismatique, pose sa question rituelle à l'invitée: Comment ça va?

Puis, comme à son habitude, mine de rien, Pierre entre dans le vif du sujet en lisant un extrait du dernier livre d'Annik Mahaim, Radieuse matinée, un livre où elle raconte une décennie de sa vie, celle des années 1970, à Lausanne, décennie qui a compté beaucoup pour elle, et pour celles et ceux de sa génération.

Dans cet extrait il ressort qu'Annik Mahaim a été une militante active. Pourquoi a-t-elle tenu à écrire son autobiographie de l'époque? Moins pour raconter sa vie que pour réagir à des propos tenus par Nicolas Sarkozy, qui, décidément, a le don d'en exaspérer plus d'un, de quelque horizon qu'il vienne.

Sarkozy s'en prenait à ceux et celles de sa mouvance et les caricaturaient. Avec son livre, Annik Mahaim a donc voulu rétablir leur vérité et ce n'est pas fortuit qu'elle l'ait dédié à Michèle B., une militante comme elle, de son âge (le mien), morte à cinquante ans. Elle a voulu écrire ce livre à leur mémoire, déformée par un méprisant inutile.

Ecrire cette autobiographie n'a pas été sans mal. Devenue aujourd'hui romancière, il lui a pourtant fallu six ans pour l'écrire. Dans une première version, elle se disait tu ou parlait d'elle, variait les modes narratifs: c'était trop compliqué. Dans la version définitive elle a adopté je, deux je pour être exact: un je de l'époque et un je d'aujourd'hui, sans complaisance pour l'autre.

Il s'agissait donc de ressusciter cette époque où l'espoir en un monde meilleur était plus grand qu'il ne l'est aujourd'hui - Annick Mahaim fait le geste de la main d'un plafond qui s'abaisse - et où il y avait une plus grande joie de vivre, un bonheur public. Car, comme beaucoup de militants d'extrême-gauche d'alors, qui voulait changer le monde, elle a maintenant perdu ses illusions.

A l'époque, rien ne la prédispose à devenir un jour militante de la Ligue marxiste révolutionnaire, LMR. Fille de cardiologue, elle habite Pully, une charmante maison de la banlieue-est de Lausanne...

Seulement elle découvre le surréalisme en lisant Nadja d'André Breton, ce qui bouscule déjà ses conventions. Puis elle lit le Manifeste du parti communiste:

Je découvre l'exploitation de l'homme par l'homme; je découvre l'iniquité des rapports entre le Nord et le Sud. A chaque page une révélation, à chaque page, une compréhension nouvelle des mécanismes économiques et politiques. C'est follement intelligent, magistralement clair.

Elle ajoute: Un voile se déchire, mes yeux se déssillent. Je découvre un pan de la réalité dont personne ne m'a jamais parlé. Surtout j'ai l'impression pour la première fois de comprendre ce monde. C'est à partir de cette lecture qu'elle milite ardemment auprès des trotskystes et que sa vie change.

Claudine Berthet et Annik Mahaim

Claudine Berthet et Annik Mahaim

Dans Radieuse matinée, il y a un mélange de vécu et de reconstitution qu'elle a faite à partir d'une large documentation.

Le vécu, ce sont, par exemple, les moyens de reproduction des textes de l'époque, impensables au temps du numérique. Pour imprimer des tracts, on tape à la machine à écrire électrique sur des stencyls, car les photocopies sont de piètre qualité. On compose de même à la machine les colonnes de La Brèche, le journal de l'organisation.

Le vécu, c'est aussi la pauvreté de style des textes rédigés pour être distribués à la sortie des usines et qu'elle relit aujourd'hui avec un mélange d'amusement et d'affliction... Il faut dire qu'après avoir milité à la LMR, puis au Mouvement de libération de la femme, elle est devenue écrivain et que son écriture se veut artistique plutôt que militante.

Le militantisme et l'art ne font pas bon ménage, dit-elle, comme l'atteste l'art du réalisme socialiste soviétique. Pierre Fankhauser, taquin, lui fait toutefois remarquer que dans son recueil de nouvelles Pas de souci, elle s'en prend aux conditions dans lesquelles on travaille actuellement dans les entreprises. N'est-ce pas cependant aux voix du monde, telles que la sienne, de grossir le trait?

La reconstitution, c'est, par exemple, la chute du Chili d'Allende, le 11 septembre 1973. Claudine Berthet lit avec une sobre conviction le passage qui relate cette chute dans le livre d'Annik Mahaim. A observer celle-ci, on voit que ce récit, qu'elle redécouvre en l'écoutant lu par une autre, ne la laisse pas indifférente, qu'elle est émue et colère. Et le timbre de sa voix s'en ressent quand elle reprend la parole.

Il y a en Annik Mahaim un tel sentiment de défaite et de colère mêlée, qu'il se lit ce soir sur son visage et qu'il s'entend dans sa voix. Et ce sentiment se communique de manière palpable à celles et ceux qui ont partagé ses illusions et qui se trouvent dans la salle. Elle regrette surtout que la société socialiste que construisait Allende, élu légalement à la présidence de son pays, n'ait pas pu voir le jour...

En écrivant Radieuse matinée Annik Mahaim a juste voulu retrouver comment elle voulait changer le monde, changer la vie et elle y est sans doute parvenue, puisque même ceux ou celles qui n'ont pas partagé ses vues, voire s'y sont opposés, peuvent la comprendre, sinon l'approuver, par la magie de l'écriture, cette forme d'art qui, quand il est authentique, exprime l'humanité de celui ou celle qui tient la plume.

Francis Richard

Livres d'Annik Mahaim:

Pas de souci! Plaisir de lire (2015) 

Radieuse matinée Editions de l'Aire (2016)


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