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Rencontre malgache au Centre Wallonie-Bruxelles

Par Gangoueus @lareus
Rencontre malgache au Centre Wallonie-Bruxelles
Depuis plusieurs années, le festival Francophonie métissée est un temps intéressant de la rentrée culturelle à Paris. Il offre, le temps d’une semaine, d’entendre les voix francophones dans leur diversité, de voir en images et en danse des artistes venant des quatre coins des lieux où on parle français. Ce festival organisé par le Centre Wallonie Bruxelles de Paris (entendez par là le grand centre culturel belge à Paris) ne bénéficie cependant pas de l’écho qu’il mériterait. J’aurai envie de disserter sur le peu d’engouement que Paris accorde à sa « périphérie culturelle ». Triste héritage d’un jacobinisme bien portant. Mais, je pavoise. Parlons de la rencontre extrêmement intéressante sur la littérature malgache qui convoquait trois hommes de auteurs importants de la grande Ile de l’Océan Indien : Raharimanana, Franco Clair et Michèle Rakotoson.
Le projet de cette rencontre est avant celui d’une découverte des oeuvres de ces trois auteurs dont l’animateur a observé deux caractéristiques singulières : - La pluridisciplinarité - Le propos et les regards de ces créateurs sur la post-colonie, la mondialité de la Grande île, la post-dictature
Michele Rakotoson : 27 ans loin de Madagascar. J’ai découvert le travail de cette romancière malgache il y a peu. Et l’un des atouts de ce genre de rencontre est de pouvoir recoller les morceaux, d’avoir plus de clés sur le travail d’un auteur. D’une auteure. Michèle Rakotoson est à l’image du personnage de son livre  Madame à la campagne. Ces rubriques drôles sur le regard de cette femme qui a vécu loin de son pays et qui - au travers de chroniques proposées au journal l’Express de Tananarive - narrait l’indicible, l’incompréhensible, le courage des petites gens de cette ville. Je l’ai déjà dans ma chronique,  le ton m’avait étonné. 
Rencontre malgache au Centre Wallonie-Bruxelles
Elle a posé tout de suite la responsabilité de l’écrivain dans la société malgache et la difficulté de la charge d’écrire en reprenant une maxime malgache qui l’influence depuis qu’elle écrit. 
« On s’excuse de ne pas  savoir porter la parole ». 
J’ai trouvé très intéressant cette approche, cet aveu qui souligne une prise de conscience humble - une affirmation reprise par Raharimanana - que l’écriture ne saurait être un acte anodin et nourrissant une autosuffisance et une auto-thérapie. Cette arrière-pensée alimente aussi un désir plus personnel de Michèle Rakotoson sur l’impact de la prise de parole : 
« Ce qui m’a excité longtemps : si je parle, qu’est ce qui se passe ? »
A la question des imaginaires et des influences, j’ai noté la remarque de l’écrivaine : « Comme toute bonne littéraire, j’ai une bonne bibliothèque. Je sais pas vivre sans le livre ».  Mais, on sent dans son propos que la première influence est cette oralité malgache, cette langue chantante qui imprime un autre rythme, une autre note mélodieuse dans l’échange et qui modifie la forme de l’écriture.
En effet, la romancière qui est rentrée sur la terre des origines voit sa prise de parole. Il est intéressant de noter que pour Raharimanana qui évolue loin de la grande île, cette question de l’influence de la tradition orale est importante. Il y revient  avec une forme de nostalgie, rappelant les programmes radiophoniques où des contes étaient narrées sur les ondes malgaches. Mais ses souvenirs remontent plus loin, à sa grand mère, conteuse. «  Je veux apprendre à conter grand-mère «  lui demande-t-il, gamin.  «  Apprends à te taire, alors « . Raharimanana, obéissant a appris donc le silence et l’écoute, l’acuité sur le propos ambiant qu’offre cet état d’esprit.  Se faire oublier, absent… 
« En apprenant à me taire, j’ai appris à écouter… » 
Chez Raharimanana, les influences sont également multiples. L’oralité malagasy naturellement pour ne pas dire malgache (puisque le son « ch » n’existe pas). Les poètes surtout Louise Labé, François Villon. Puis le choc Césaire. Aimé Césaire dont la poésie est moins extérieure à sa réalité, évoque un imaginaire qui lui ait proche. Malcolm de Chazal, Jean-Joseph Rabearivelo aussi et bien d’autres. Raharimanana évoque aussi la cité ou le quartier de Tananarive où adolescent, il évolue avec sa classe d’âge et des artistes étonnants qui construisent son univers. Il est le conteur et le porte voix de cette «  génération »  comme on dit en Côte d’Ivoire.
A la question des influences, le retour du BDiste Franco Clerc apporte un regard différent. Il est le plus jeune de ces intervenants passionnants. Lui, fait de la bande dessinée. Lui est basé à Madagascar. Il a d’ailleurs toujours dessiné. Adolescent timoré, il se raconte ses propres histoires en les dessinant et se nourrissant des BD italiennes qu’on achète aux librairies « par terre », les makoki. Puis il s’abreuve de mangas et de comics. J’ai beaucoup apprécié le détachement de ce jeune auteur qui ne vit pas son travail avec la même approche sacerdotale que ses aînés. Mais raconte à sa manière Madagascar dans des BD sombres où il met en scène son pays, la corruption, les dysfonctionnements, les croyances manioc-religieuses tenaces.
L’animateur a orienté les échanges autour justement de la création artistique et les points de vue ont été très intéressants. J’ai évoqué Madame à la campagne de Michèle Rakotoson. C’est une dame très intéressante à écouter et j’ai parfaitement reconnu dans sa prise de parole son personnage exigeant et très drôle. Pourtant le rire ne constitue pas la forme définitive du regard qu’elle veut porter sur ses proches, son peuple. Le rire introduit quelque chose, autre chose. Il est l’occasion de parler des petites gens, de leur courage, de leur débrouillardise. Car si Madagascar est un pays pauvre, l’hardiesse de sa population mérite un arrêt sur images. Naturellement, il est aussi question d’interpeler les dirigeants et par de là, certaines idéologies sclérosantes. La négritude en fait partie et mériterait d’être interrogé. Sur le même thème, Raharimanana porte son analyse sur les images et clichés sur Madagascar et sa population. Des clichés qui ont la peau dure mais qui mérite une relecture : 
« Nous sommes les otages de certaines images. L’Asie. L’Afrique. L'identité malgache. Les imaginaires qu’on ne veut pas quitter pour affronter le réel. Est-ce que l’image que nous nous faisons de nous même correspond à la réalité de la situation. Ayons le courage d’ouvrir les yeux sur nous mêmes ».  
Le roman Za est un poste d’observation du travail original de Raharimanana. Il incarne le travail de relecture que s’impose l’homme de lettres sur certaines représentations. Un travail de reconstruction après le martyre de l'élève Raharimanana par une de ses professeurs de l’école primaire à tenter de saisir de sons et des prononciations contre nature malgache. Comme le « ch » et le « u » qui n’existent pas dans les langues de la Grande Île. L’ancien écolier s’est pris dans la délicieuse protestation contre ces sons étrangers en écrivant un roman sans « ch » et sans « u ». Son personnage choisissant de zézayer en un français bousculé. Réaction. Au delà de l’exercice littéraire pur, la prouesse se poursuit aussi dans le personnage de Za extrait de l’oralité et le conte malgache. 

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