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La « crise de foi » de Jean-Loup Chiflet

Publié le 12 octobre 2016 par Savatier

chiflet_dieuDans son dernier livre, Cher Dieu… (Chiflet & Cie, 160 pages, 15 €), Jean-Loup Chiflet avoue qu’il doute depuis 70 ans. La question de l’existence ou de la non-existence de Dieu l’obsède. Cet ouvrage, s’il avait été publié il y a vingt ans, aurait probablement été considéré comme un OVNI littéraire car le sujet n’entrait guère dans les préoccupations d’une société laïcisée qui se croyait enfin débarrassée des religions. Il en va tout autrement aujourd’hui car, si Nietzsche avait proclamé la mort de Dieu il y a près d’un siècle et demi, un nombre croissant de nos contemporains agissent comme s’ils n’avaient jamais reçu le faire-part. Ecrire ce texte en 2016 n’a donc rien d’incongru, d’autant que l’auteur, s’affranchissant des discours nostalgiques, des confessions assommantes ou des prêches culpabilisants, traite son sujet avec l’humour et l’érudition qui sont depuis longtemps sa « marque de fabrique ».

Certes, il se montre assez lucide pour penser que cette lettre ouverte à Dieu ne recevra jamais de réponse ni d’accusé de réception ; il l’envoie comme on jette une bouteille à la mer. Elle lui offre toutefois l’occasion de dresser un bilan de sa vie, de son éducation religieuse stricte, des lectures débilitantes qui lui furent infligées dans ses jeunes années et ressemblaient beaucoup à une « colonisation idéologique », pour reprendre le mot du pape François (sans doute victime d’une indigestion d’entrefilets intégristes à la sauce Ludovine) au sujet du prétendu enseignement de la théorie du genre dans nos manuels scolaires.

Jean-Loup Chiflet s’interroge sur un clergé dont l’expiation éternelle, la valorisation du dolorisme et la diabolisation de la sexualité constituaient les obsessions. Il souligne les contradictions présentes dans les textes sacrés, s’attarde sur le sens de la Transverbération de Thérèse d’Avila ou la complexité de la Trinité, s’insurge avec raison contre la canonisation par Jean-Paul II du fondateur de l’Opus Dei, questionne la morale chrétienne, le dogme, l’Histoire, la science.

Le dossier ainsi réuni n’a rien d’une instruction à charge. L’auteur mène sa quête, tente d’établir un équilibre, en appelle aux philosophes (Lucrèce, Pascal, Schopenhauer), aux écrivains (Cioran, Camus, Flaubert, Baudelaire), explore brièvement d’autres cultes, se demande si l’on peut concevoir la spiritualité en dehors de la religion – thématique ô combien d’actualité à laquelle on aurait envie d’opposer la question inverse tant ces organisations humaines s’apparentent à des partis politiques, des groupes de pression et des multinationales lucratives : peut-on concevoir la spiritualité dans une religion !

Tous ces sujets, qui pourraient sembler complexes ou rébarbatifs à première vue, sont ici traités avec légèreté, finesse, humour – certaines citations sont tout à fait désopilantes – et parfois même émotion, voire inquiétude. Loin de Lévi-Strauss qui déclarait en 1991 qu’il n’était « rien de plus dangereux pour l’humanité que les religions monothéistes » (constat, mais aussi paroles prémonitoires !), Jean-Loup Chiflet semble épouser la pensée du romancier britannique Julian Barnes lorsqu’il écrivait : « Je ne crois pas en Dieu, mais il me manque. » Et si, finalement, un fragment de la réponse qu’il attend se trouvait dans Pascal : « Douter de Dieu, c’est y croire ».


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