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[Important] Urbanisme : le Conseil d'Etat précise les conditions de retrait du permis de construire provisoire délivré sur injonction du juge des référés

Publié le 12 octobre 2016 par Arnaudgossement

La décision de section n°395211 du 7 octobre 2016 du Conseil d'Etat est d'une particulière importance pour le contentieux de l'urbanisme et du permis de construire. La Haute juridiction, par un arrêt de section, vient en effet de préciser la valeur juridique exacte d'un permis de construire délivré sur injonction du juge des référés ainsi que les conditions dans lesquelles ce permis de construire provisoire peut être retiré. Analyse.

Notre cabinet a été confronté, à plusieurs reprises, à la question de droit relative à la valeur d'un permis de construire délivré sur injonction du juge des référés. Dans deux dossiers éoliens récents, nous avons ainsi obtenu, devant les juges des référés des tribunaux administratifs de Strasbourg et Toulouse, une injonction de délivrance des permis de construire refusés par les préfets.

Les requérants ne savent, en effet, pas toujours, qu'ils peuvent, non seulement demander la suspension en référé d'une décision de refus de permis de construire mais, en outre, demander à ce que le juge enjoigne l'administration, soit de procéder au réexamen de la demande de permis, soit, directement, de délivrer ledit permis de construire. A la suite de cette décision du Conseil d'Etat, il est possible que la demande d'injonction soit bien plus souvent présentée devant le Juge des référés saisi d'une demande de suspension de l'exécution d'un refus de permis de construire.

Toutefois, lorsque l'administration délivre, pour l'exécution d'une ordonnance du juge des référés, un permis de construire, la question de la valeur juridique exacte de cette autorisation était jusqu'à présent (très) débattue car le juge des référés ne peut, en effet, ordonner que des mesures provisoires.

La présente décision de section du Conseil d'Etat apporte d'utiles précisions. Certaines questions restent toutefois à traiter comme nous le verrons plus loin.

I. Le juge des référés ne peut ordonner que des mesures provisoires

Premier élément important de cet arrêt : le rappel d'une règle bien connue. A savoir : le juge des référés ne peut, à la différence du juge du fond, n'ordonner que des mesures provisoires :

"3. Considérant, d'une part, que le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 précité, ne peut, sans excéder son office, ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant la décision administrative contestée ;"

Ce considérant est classique et procède d'une règle bien connue ainsi que d'une jurisprudence constante. Le juge des référés ne peut préjudicier au principal et ne peut prendre des mesures qui revêtiraient un caractère définitif.

II. Le permis de construire délivré pour l'exécution d'une ordonnance du juge des référés revêt un caractère provisoire

Deuxième élément important de cette décision du Conseil d'Etat : la confirmation du pouvoir du juge des référés d'ordonner à l'administration le réexamen d'une demande de permis de construire. Laquelle injonction peut contraindre l'administration à délivrer ce permis. Ce dernier revêt alors un caractère provisoire :

" 4. Considérant, d'autre part, que si, eu égard à leur caractère provisoire, les décisions du juge des référés n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée, elles sont néanmoins, conformément au principe rappelé à l'article L. 11 du code de justice administrative, exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires ; qu'il en résulte que lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d'une décision administrative et qu'il n'a pas été mis fin à cette suspension - soit, par l'aboutissement d'une voie de recours, soit dans les conditions prévues à l'article L. 521-4 du code de justice administrative, soit par l'intervention d'une décision au fond - l'administration ne saurait légalement reprendre une même décision sans qu'il ait été remédié au vice que le juge des référés avait pris en considération pour prononcer la suspension ; que, lorsque le juge des référés a suspendu une décision de refus, il incombe à l'administration, sur injonction du juge des référés ou lorsqu'elle est saisie par le demandeur en ce sens, de procéder au réexamen de la demande ayant donné lieu à ce refus ; que lorsque le juge des référés a retenu comme propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de ce refus un moyen dirigé contre les motifs de cette décision, l'autorité administrative ne saurait, eu égard à la force obligatoire de l'ordonnance de suspension, et sauf circonstances nouvelles, rejeter de nouveau la demande en se fondant sur les motifs en cause ;" (nous soulignons).

Aux termes de ce considérant :

  • d'une part, le Conseil d'Etat souligne que le juge des référés peut enjoindre l'administration de réexaminer la demande de permis de construire à la suite de la suspension du refus initialement opposé au pétitionnaire ;
  • d'autre part, l'administration ne peut rejeter une nouvelle fois cette demande pour un motif qui a pu être retenu par le Juge comme étant affecté d'un doute sérieux quant à sa légalité. Ce qui signifie que, dans certains dossiers, l'administration sera en réalité tenue de délivrer le permis de construire refusé et non pas seulement de réexaminer la demande. Plus l'ordonnance du juge des référés sera précise, plus les motifs d'illégalité de la décision de refus de permis de construire seront nombreux et plus l'administration sera appelée à délivrer le permis de construire demandé.

Pour être tout à fait précis, il convient cependant de noter que le Conseil d'Etat encadre ici le pouvoir de décision de l'administration à la suite, non pas d'une demande, par le juge des référés, de délivrance du permis de construire mais d'une demande de réexamen de la demande. Il convient toutefois de souligner que plusieurs juges des référés se sont reconnus le pouvoir d'enjoindre directement la délivrance du permis de construire sans réexamen préalable de la demande. Pouvoir à notre sens tout à fait justifié dés l'instant où il est évident que l'administration est tenue de délivrer le permis de construire demandé, aucun motif ne permettant de le refuser légalement.

Le permis de construire ainsi délivré, à la suite d'une ordonnance du juge des référés, revêt alors un caractère provisoire :

" 5. Considérant, enfin, qu'une décision intervenue pour l'exécution de l'ordonnance par laquelle le juge des référés d'un tribunal administratif a suspendu l'exécution d'un acte administratif revêt, par sa nature même, un caractère provisoire jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours en annulation présenté parallèlement à la demande en référé ; qu'il en est notamment ainsi lorsque l'administration décide, à l'issue du réexamen faisant suite à la décision de suspension d'un refus prise par le juge des référés, de faire droit à la demande ; qu'eu égard à son caractère provisoire, une telle décision peut être remise en cause par l'autorité administrative ;" (nous soulignons)

Le Conseil d'Etat prend ici soin de préciser qu'en raison de son caractère provisoire, le permis de construire délivré pour l'exécution d'une ordonnance de référé peut faire l'objet d'un retrait par l'administration.

III. Les cas de retrait du permis de construire provisoire, délivré pour l'exécution d'une ordonnance du juge des référés

Troisième élément notable de cette importante décision du Conseil d'Etat : la précision au septième considérant des conditions dans lesquelles l'administration peut retirer un permis de construire provisoire, délivré pour l'exécution d'une ordonnance de référé :

"7. Considérant qu'un permis de construire délivré à la suite du réexamen ordonné en conséquence d'une mesure de suspension prise sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative et pour l'exécution de l'ordonnance du juge des référés revêt un caractère provisoire ; qu'un tel permis peut être retiré à la suite du jugement rendu au principal sur le recours pour excès de pouvoir formé contre la décision initiale de refus sous réserve que les motifs de ce jugement ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à ce que l'administration reprenne une décision de refus ; que cette décision de retrait doit toutefois intervenir dans un délai raisonnable, qui ne peut, eu égard à l'objet et aux caractéristiques du permis de construire, excéder trois mois à compter de la notification à l'administration du jugement intervenu au fond ; qu'elle ne peut en outre être prise qu'après que le pétitionnaire a été mis à même de présenter ses observations ; qu'il en est de même lorsque le bénéficiaire du permis se désiste de son recours en annulation, mettant ainsi un terme à l'instance engagée au fond, auquel cas le délai court à compter de la notification à l'administration de la décision donnant acte du désistement ; qu'il en va également ainsi s'il est mis fin à la suspension par une nouvelle décision du juge des référés dans les conditions prévues à l'article L. 521-4 du code de justice administrative ou du fait de l'exercice d'une voie de recours contre la décision du juge des référés ;"

Ainsi, le permis de construire provisoire peut être retiré dans les conditions et hypothèses suivantes :

Premier cas : le permis de construire peut être retiré à la suite du jugement au fond.

  • Le juge du fond peut en effet rejeter le recours tendant à l'annulation de la décision de refus de permis de construire. Dans ce cas, l'administration peut décider d'engager le retrait du permis de construire délivré sur ordonnance du juge des référés.
  • Il peut être retiré dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement au fond à l'administration
  • Le pétitionnaire doit avoir été à même de présenter ses observations sur le projet de décision de retrait du permis de construire provisoire

Deuxième cas : le permis de construire peut être retiré à la suite d'un désistement du requérant

En cas de désistement du requérant de son recours au fond, le délai de retrait du permis de construire provisoire court à compter de la notification à l'administration de la décision donnant acte du désistement

Troisième cas : le permis de construire provisoire peut être retiré lorsque le juge des référés met fin à la suspension de l'exécution du refus de permis de construire ou lorsque cette ordonnance est annulée à la suite d'un recours.

Du point de vue stratégique, le demandeur du permis de construire examinera au cas par cas s'il est préférable d'attendre le jugement au fond -au risque que son recours en annulation soit rejeté - ou s'il convient de se désister dudit recours au risque que l'administration estime qu'il lui est possible de reprendre une décision de retrait et de refus dans le délai de retrait ouvert à compter de la notification de la décision de désistement. On observera cependant que le désistement peut parfois permettre de faire courir plus tôt le délai de retrait de trois mois.

IV. L'autonomie du régime juridique de retrait du permis de construire provisoire

Quatrième élément important de cette décision du Conseil d'Etat : le délai de retrait du permis de construire n'a pas pour fondement juridique l'article L.424-5 du code de l'urbanisme :

" 8. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme : " (...) Le permis de construire, d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut être retiré que s'il est illégal et dans le délai de trois mois suivant la date de cette décision. Passé ce délai, le permis ne peut être retiré que sur demande explicite de son bénéficiaire. " ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent que ces dispositions, sur lesquelles s'est fondé le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux pour suspendre l'exécution de l'arrêté du 8 octobre 2015 mettant fin au permis de construire provisoire délivré à la société X, ne sont pas applicables au retrait, dans les conditions rappelées ci-dessus, d'un permis de construire délivré à titre provisoire ; que, par suite, la commune de Bordeaux est fondée à soutenir qu'en estimant que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté attaqué, le juge des référés a commis une erreur de droit ; qu'il suit de là, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la commune de Bordeaux est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque ;"

Ainsi la règle de retrait du permis de construire énoncée à l'article L.424-5 du code de l'urbanisme n'est pas celle qui est applicable au retrait du permis de construire provisoire.

Cette décision du Conseil d'Etat sera sans doute très commentée par les juristes en droit de l'urbanisme. Elle sera sans doute suivie d'autres décisions sur le régime juridique du permis de construire provisoire. Car de nombreuses autres questions se posent Il en va ainsi de la question du point de départ du délai de recours par le bénéficiaire ou par les tiers contre le permis de construire délivré à la suite d'une ordonnance du juge des référés. Il en va également des questions liées à l'articulation des procédures d'urbanisme et d'environnement.

Cabinet Gossement Avocats


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