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(note de lecture) Antoine Choplin, "Tectoniques", par Laurent Albarracin

Par Florence Trocmé


CouvTectoniqueEssai1-page001-550x701Faut-il parler de géopoétique dès qu’il est question d’un paysage dans un poème ? Il semble en tout cas que le mot est pertinent s’agissant d’Antoine Choplin et de ce livre. Non pas pour la mauvaise raison que celui-ci véhiculerait un discours écologique ou une conception géopoétique (c’est-à-dire grosso modo la reconsidération privilégiée de la Terre – la majuscule ici concernant autant la planète que le coefficient d’importance qu’on lui accorde – dans le rapport au monde établi par le poème) mais pour la « bonne » raison qu’ici géographie et poésie dialoguent à fond et s’échangent en quelque sorte ce qui fait leur particularité commune, à savoir une rythmique.
   Sans doute le poème, pour ce qui est de parler d’un paysage, peut beaucoup. Autant et peut-être même plus que la prose, au sens où la concision du poème favorisera la concaténation, le concassage, la densité, l’extrême resserrement des masses qui s’opère dans les images poétiques. Il se trouve que les paysages évoqués dans le livre sont principalement ceux de la montagne, près de laquelle vit l’auteur. Sans être strictement une description de paysages montagnards, le vocabulaire et les réalités qui sont traités s’y rapportent largement. Sommets, cimes, promontoires, pentes, falaises, chutes, considérations minéralogiques (tel schiste ou telle dolomie ocre) ne cessent d’affleurer dans le poème, de travailler la langue comme une géologie active, en quelque sorte ultra-rapide. Le poème excelle à dire une violence arrêtée, celle de la montagne dont les reliefs escarpés se tiennent fébrilement et comme hiératiquement au bord du vide.
Ce qui se tord
hurle
et resplendit
Il n’y a sans doute que la formulation poétique pour dire ainsi deux choses en une, deux réalités perceptives – beauté, douleur – ressenties devant (et imputées à) tel amas rocheux particulièrement torturé. Les qualités contraires qu’on est enclin à attribuer à un paysage, surtout si celui-ci est accidenté ou simplement pittoresque, quoi de mieux pour les exprimer que le poème qui ne craint ni la contradiction ni le vertige. Il y a à l’œuvre dans le poème une textonique, un jeu de tensions et de failles, la rencontre de grandes plaques sémantiques qui ne manquent pas de soulever la surface du sens. Voyez comme le charnel et le géologique ici s’étreignent pour faire jaillir le bon jus de leur rencontre :
Au bout des écorces en luttes
dans le giron des volcans bleus
les paumes se pressent au cul des pyramides
en faveur de l’enfouissement des pointes
blanchies à force de fouiller
les sangs crémeux
suint depuis les surplombs
et bouches goulues de la pisse des dieux

   Car bien évidemment il y a une érotique de la montagne et Antoine Choplin ne se prive pas d’exploiter et de faire glisser l’un dans l’autre les deux registres du féminin et du géologique, comme s’il cherchait précisément dans une ligne de fracture « le point de baiser des versants ». Allant parfois jusqu’à une sorte de mariage sacré (une hiérogamie) du corporel et du cosmique, dans une sorte de délire ourano-chtonien, délire qui garde néanmoins une délicatesse de vision certaine :
l’horizon ouvre l’œil
comme une soie qu’enflerait
un souffle d’entrailles

   Si la montagne est en soi poétique, c’est qu’elle offre le grandiose et en même temps l’accidenté, qu’elle n’est pas avare de cassures, failles et défaillances par où s’engouffre toute la belle ambivalence du monde. Or l’écriture d’Antoine Choplin, à bien des égards classique jusque dans son lyrisme très souvent plein d’heureuses trouvailles (« un coup porté / dans le foie des nuages »), rend à merveille cette sensation de fragilité qui accompagne le spectacle de la beauté.
Laurent Albarracin

Antoine Choplin, Tectoniques, Dessins de Corinne Penin, Éditions le Réalgar (collection l’Orpiment), 2016, 74 pages, 14 €


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