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Babylone, de Yasmina Reza

Publié le 17 octobre 2016 par Francisrichard @francisrichard
Babylone, de Yasmina Reza

Aux rives des fleuves de Babylone nous nous sommes assis et nous avons pleuré, nous souvenant de Sion. Ce premier verset du psaume 137 éclaire d'une lumière insolite le titre, Babylone, du dernier roman de Yasmina Reza. C'est en effet un psaume dans lequel les Juifs exilés à Babylone expriment leur refus de danser et de chanter pour leurs vainqueurs.

Jean-Lino Manoscrivi est petit-fils d'immigrés juifs italiens. Quand il était enfant, son père ouvrait le livre des psaumes, toujours à la même page, et lui lisait ce verset de l'exil. Comme il n'avait pas d'instruction religieuse, il ne retenait de ce passage que le grondement pluriel des fleuves, la solitude et le repli de ceux qui, assis sur leurs rives, pleuraient.

La narratrice, Elisabeth Jauze, née Rainguez, rouvre The Americans, le célèbre livre de photos de Robert Frank publié en 1958. Ce livre, le plus triste de la terre, lui inspire cette réflexion désabusée: on est quelque chose dans le paysage jusqu'où jour où on n'y est plus. Sans doute parce que les héros de ces photographies donnent l'impression de n'avoir personne.

Elisabeth et Jean-Lino, tous deux sexagénaires ou presque, habitent le même immeuble de Deuil-l'Alouette. Ils sont devenus amis après qu'il l'a invitée le jour de ses soixante ans à elle aux courses à Auteuil. Ce jour-là elle a compris qu'il était seul, comme elle au fond, et qu'ils étaient des exilés sur terre, même si Jean-Lino vit avec Lydie Gumbiner, et elle avec Pierre. 

Deux ans plus tard, Elisabeth décide d'organiser chez elle une fête de printemps. Elle a besoin de chaises supplémentaires. Pierre lui suggère d'en emprunter aux Manoscrivi:

- Sans les inviter?

- En les invitant. Elle pourrait même chanter !

Le couple Manoscrivi n'intéressait pas Pierre, mais tant qu'à faire il trouvait Lydie plus marrante que Jean-Lino.

Ni Pierre ni Elisabeth ne peuvent se douter que l'aboutissement de cette petite fête entre bobos, la plupart repentis, sera la survenance d'un irrémédiable, qui bouleversera l'existence des habitants de leur immeuble, et plus particulièrement celle d'Elisabeth, et davantage encore celle de Jean-Lino, à partir d'une petite cause, un rire impudent, qui aura de gros effets...

Un meurtre va en effet être commis et va révéler la vraie nature des protagonistes. Dans cette histoire qui les dépasse, ils apparaissent comme des héros bien empruntés, soucieux de leur respectabilité. Pathétiques, ils gravitent dans un monde qui leur est étranger et que dépeint avec beaucoup de noire acuité Yasmina Reza, aussi à l'aise dans la satire que dans le burlesque. 

Francis Richard

Babylone, Yasmina Reza, 224 pages Flammarion

Un livre précédent chez le même éditeur:

Heureux les heureux (2013)


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