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[Cinemania 2016] Ma Loute – Joyeux bordel

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Je ne m’y attendais vraiment pas. Pantoute (comme on dit en québécois). En fait, je m’attendais à tout sauf à ça. Un craquage cinématographique de cette ampleur, ça ne court pas les rues, loin de là.

Jours de tournage, production de réalité virtuelle (présentée au dernier FNC) que j’avais eu la chance d’expérimenter, n’avait d’ailleurs, sur ce plan, rien dévoilé, rien laissé filtrer. Il est vrai que pareille folie ne peut réellement se sentir et se déployer qu’en laissant du temps au récit.

Ce qui surprend encore davantage, c’est que Ma Loute ait pu être sélectionné en Compétition Officielle à Cannes. C’est décidé : plus jamais je ne les qualifierai de « culs serrés » ! Quoiqu’au vu du cérémonieux des lieux, le film de Bruno Dumont a sûrement dû en choquer, et pas qu’un peu.

À tous points de vue, Ma Loute ne répond en rien aux canons du genre. Enfin, plutôt des genres. Ou alors dans leurs formes originelles, faites d’exagérations, d’absences de mesure, de totale décomplexion.

Comédie brute, mais pas que. Film de cannibales (!), un peu. Satire sociale (par les temps présents, c’est toujours heureux). Récit sur le genre, critique de la morale.

Ma Loute brasse ainsi beaucoup : beaucoup de thèmes, surtout.

Le plus surprenant dans l’entreprise, c’est d’avoir perpétuellement l’impression d’assister à un joyeux bordel totalement contrôlé. Pas à un paradoxe près, Ma Loute se permet en outre le luxe de posséder de nombreux temps faible, sans que le plaisir de visionnage ne s’en voie pour autant affecté.

La force de s’en tenir l’essentiel en toutes circonstances : chercher à faire rire, pour le meilleur et (parfois) le pire.

Aussi, lorsque Fabrice Luchini entre en scène, l’étrange ne tarde pas. Avec sa démarche bondissante, sa gestuelle grandiloquente, sa moue et ses yeux tombants, on se demande déjà ce qui nous attend. D’un autre côté, connaissant le personnage, rien de vraiment étonnant.

En revanche, voir Juliette Binoche et Valeria Bruni Tedeschi se mettre au niveau, et elles-aussi lâcher totalement les chevaux, j’avais peine à y croire tellement c’était gros.

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Passés la sensation d’inquiétante étrangeté et le fait d’avoir été à ce point désarçonné, j’ai quand même dû me rendre à l’évidence : mes zygomatiques n’y ont pas résisté.

Oui, Ma Loute est surprenant, trop tout, sur tout et beaucoup de rien, mais le film est aussi et surtout une bonne frange de rigolade ! Voilà bien longtemps que le cinéma français n’avait pas enfanté pareille poilade.

Bien aidé il est vrai par un jeu assez savoureux autour de l’accent ch’ti (bien sûr popularisé par Dany Boon), ici utilisé avec une dimension grinçante et mordante jubilatoire, qui fait mouche et plaisir à voir.

En somme, le film est réellement drôle, très drôle, et c’est en soi déjà tout un exploit !

Bien sûr, tous ses personnages ne se valent pas, problème davantage dû à un souci d’écriture que de jeu pur. Ceux de Christian (Jean-Luc Vincent) et d’Aude (Juliette Binoche) Van Peteghem, notamment, n’ont pas le coffre de leurs deux frères-soeurs-cousin(e)s, André (Fabrice Luchini) et Isabelle (Valeria Bruni Tedeschi), au demeurant bien plus attachants.

Rien de grave pour autant. Car ces derniers, bons comme plus effacés, ne pèsent finalement pas grand-chose face à LA belle réussite du film, personnage-somme au départ secondaire, autour duquel vont pourtant finir par se cristalliser l’ensemble des thématiques portées : Billie, cette fille-garçon ou garçon-fille tout sauf genrée.

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À l’instar du commissaire Machin (Didier Desprès, impayable en gros lourdaud un rien bêta), beaucoup seront sûrement troublés par cette jeune femme s’habillant en garçon, ou l’inverse, c’est selon. Une ambiguïté poussée dans le moindre aspect, des dialogues (sa mère, Aude Van Peteghem, dit bien à un moment donné « mon garçon ») jusqu’au générique de fin, où l’actrice sera créditée sous le pseudonyme neutre de « Raph ».

Un procédé malin, totalement à dessein.

Car derrière un élément scénaristique qui pourrait relever du simple procédé, Bruno Dumont en fait au contraire le pivot de son intrigue, tout autant que de son plaidoyer contre l’hypocrisie de notre société.

Dans Ma Loute, les bourgeois se marient et se reproduisent entre eux (de préférence dans la même famille, c’est mieux), les « petites gens » tuent ces derniers pour manger, la folie la dispute aux sains d’esprits, le beau s’entiche du laid, le laid s’entiche du beau… jusqu’à être rattrapé, lui-aussi, par une homophobie mal dégrossie.

Chaque personnage possède un secret, cache souvent une atrocité inavouable dont on ne prendra connaissance qu’au détour d’un échange souvent anodin, faussement dilettante, toujours sous couvert d’un burlesque aux vertus, alors, assez inquiétantes.

Sous ses airs bonhommes, Ma Loute n’hésite ainsi absolument pas à mettre les pieds dans le plat, à dynamiter la bienséance et nous renvoyer au visage, avec le sourire, ce que l’Homme peut (en partie) faire de pire.

L’antithèse absolue de Bienvenue chez les Ch’tis, volontiers méchante, poil-à-gratter, qui ne manquera pas de désarçonner. Mais soyez-en assurés : vous allez bien rigoler !

Quant à moi, le reverrais-je ? Peut-être pas. Un visionnage, aussi savoureux fut-il, est sûrement suffisant. Dans le même temps, le recommanderais-je ? Ça, oui, définitivement !

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