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Les journalistes français sont de gauche : c'est vous qui le dites !

Publié le 21 juin 2008 par Roman Bernard
J'ai décidé de publier aujourd'hui le résultat du sondage que j'avais effectué ici-même, invitant mes lecteurs à dire si les journalistes français sont majoritairement de gauche ou de droite.
Plus nuancé que celui réalisé en 2002 par le journaliste Eric Brunet, de droite celui-là, selon lequel 94% des journalistes français se définissent spontanément comme étant de gauche, mon sondage fait néanmoins apparaître un résultat assez net : vous êtes 68,18 %, sur 66 suffrages (soit 45 votes contre 21) à considérer que les journalistes français sont pour la plupart de gauche.
Ce sondage ne prétend bien sûr à aucune scientificité, et quoique toute personne qui connaît un peu les médias de l'intérieur sache que les journalistes sont majoritairement de gauche car ils se considèrent majoritairement comme tels, son enseignement principal réside dans la distorsion entre l'idée que les journalistes se font de leurs propres sensibilités idéologiques et celle, divergente donc, que les internautes en ont, plus équilibrée.
Le principal reproche que l'on pourrait faire à ce sondage est qu'il clive un corps professionnel entre deux ensembles antagonistes, la "gauche" et la "droite". Ce clivage est pourtant une nécessité politique. Quel que soit le mode de gouvernement d'un régime démocratique, apparaissent toujours deux pôles, cohérents sinon totalement distincts. Leur existence conditionne évidemment les rapports de force dans le monde de l'entreprise, surtout dans un domaine, les médias, où le fait politique est d'autant d'importance. Le déséquilibre qu'il peut y avoir au profit de la gauche chez les journalistes, les enseignants, les magistrats, et de la droite chez les artisans, les commerçants, les chefs d'entreprise n'est pas sans conséquence sur le rapport qu'entretiennent ces corps professionnel avec le corps social et politique en général.
Je ne m'épuiserai pas, comme la dernière fois, à prouver que la possession de groupes de presse par des magnats proches du pouvoir et la volonté manifeste d'instrumentaliser les médias par le premier des hommes politiques français n'augure en rien de la coloration idéologique des journalistes. Pas plus, du reste, que la proximité de certains chroniqueurs, éditorialistes, présentateurs et animateurs, avec le bleu bien délavé du centre-droit, fussent-ils à des heures de grande écoute, ne signifie que les médias auxquels ils collaborent adhèrent à leurs idées, si tant est qu'ils en aient. D'autant que, répétons-le, l'essentiel du contenu d'un média est réalisé par des journalistes inconnus du grand public.
Il faut au surplus bien comprendre, pour éviter tout contresens, que les notions de "gauche" et de "droite" sont fonctions des rapports de force existant entre les formations politiques. Ainsi, les victoires relatives qu'enregistre la droite républicaine depuis quelque temps ont fort logiquement déplacé le centre de gravité du spectre politique vers la droite, comme l'avait fait dans le sens contraire la victoire de François Mitterrand en 1981.
Pour certains esprits ultra-conservateurs assez aliénés pour se prétendre révolutionnaires, ce clivage n'a pas changé, et l'acceptation par la gauche de l'économie de marché obtenue au forceps par le même François Mitterrand dans les années 1980 signifie la simple "droitisation" de la gauche. Et, donc, tous les journalistes de tendance sociale-libérale, la plus manifestement majoritaire dans le traitement de l'actualité, sont pour ces esprits "vigilants" à l'égard de tout sauf de ce qui est réellement dangereux, des "convertis" à la droite.
Une paranoïa alimentée, attisée, exaspérée par un site dont j'ai à plusieurs reprises dénoncé le sectarisme ici, Acrimed. Il est d'ailleurs amusant de noter, en l'occurrence, que la critique des médias, orchestrée par des universitaires, de simples syndicalistes mais aussi nombre de journalistes anciens ou actuels, penche très nettement à gauche, et même au-delà, bien plus que ne le font les journalistes en exercice. Acrimed, auquel se rattache le fameux Plan B, est le bras armé d'ATTAC et de la LCR dans le domaine de la critique des médias. Arrêts sur Images, moins virulent mais plus moralisateur grâce au talent en don de leçons de Daniel Schneidermann, se situe clairement à gauche.
Il en va de même de l'essentiel de la nébuleuse des critiques des médias, du site communautaire Rezo.net au blog d'Eric Mainville, Crise dans les médias. Certains médias, comme Rue 89 ou Mediapart, qui se veulent "indépendants" à l'égard de la classe politique et des grands groupes de presse, et qui ne se privent pas de critiquer vertement leurs homologues des médias classiques, sont aussi, curieusement, clairement ancrés à gauche.
La critique des médias a donc d'autant plus tendance à fustiger la droiture supposée des journalistes qu'elle l'appréhende à l'aune de son propre référent idéologique, qui se situe à la gauche de la gauche. Pas étonnant, donc, que pour de mauvais émules de Pierre Bourdieu comme Serge Halimi, les journalistes soient de droite puisqu'ils sont, c'est un fait que je concède bien volontiers, moins à gauche qu'ATTAC, la LCR, le PCF et José Bové.
La seule critique des médias tendant à la neutralité a été réalisée par le journaliste Jean-Pierre Tailleur, dans son ouvrage Bévues de presse, qui donne bien plus à réfléchir sur les médias que ne le font les idéologues mal assumés d'Acrimed et consorts. Il est amusant que ce livre, dont la lecture est pourtant passionnante pour un journaliste, ait été quasi-boycotté par les médias, comme Jean-Pierre Tailleur s'en expliquait sur Stalker, le blog littéraire de Juan Asensio, lequel n'est certes pas à proprement parler "de gauche". Mais, et je terminerai là-dessus, il n'est pas anodin de constater que c'est sur un site clairement classé à droite que l'on peut prendre connaissance d'un livre bien plus authentiquement critique pour les médias que ceux, de gauche ou d'extrême-gauche, qui ont bénéficié d'une plus grande promotion dans ces mêmes médias. Ainsi, si les journalistes sont de droite comme le prétendent les critiques des médias, revendiqués de gauche, on peut se demander pourquoi c'est davantage à droite que l'on trouve les critiques les plus constructives des médias.
Roman Bernard

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