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MOI, DANIEL BLAKE, Ken Loach (2016) Ken Loach ou le ciném...

Par Quinquin @sionmettaitles1

MOI, DANIEL BLAKE, Ken Loach (2016)

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Ken Loach ou le cinéma social et engagé. Ken Loach ou le cœur militant, la pensée à gauche et le poing levé. Mais aussi Ken Loach, le réalisateur – soi-disant à la retraite – qui s’égare, se fourvoie et s’emmure dans un film qui mérite – pardonnez-moi – une bonne paire de taloches… En effet, voyez-vous, il s’agit ici d’un long métrage tourné en réaction à la politique d’austérité menée par David Cameron… Jusqu’ici, très bien, je ne pouvais qu’applaudir bien fort. Mais, si j’étais David Cameron, cette œuvre ne m’aurait fait ni chaud ni froid. Si j’étais David Cameron, elle m’aurait simplement fait sourire. Sourire de voir un cinéaste qui s’agite inutilement. Sourire de constater qu’un artiste partisan, plutôt que de vilipender ouvertement l’exécutif, caricature le peuple sans même, a priori, s’en apercevoir. Ce même peuple qu’il entend défendre et croit encore comprendre. Ces mêmes classes laborieuses qu’il tient à soutenir et qu’il ne fait que ridiculiser au travers de portraits figés dans la glaise du tropisme. Sourire même avec ce brin de pitié condescendante sous-entendant : « Brave Ken Loach, laissons-le s’amuser avec sa petite caméra, pendant ce temps il nous fout la paix »… Sauf que je ne suis pas David Cameron, que David Cameron n’est plus (politiquement parlant) et que, personnellement, ce film ne m’a pas fait sourire mais a déclenché en moi une déferlante de colère…

Car, et je vais tenter de peser mes mots, non seulement Moi, Daniel Blake est une œuvre purement et simplement ratée (scénario faible et outrageant, réalisation asphyxiée, acteur principal au jeu mécanique et récitant) mais, de plus, il a retenu l’attention de tout un parterre de personnalités à la vie dorée et aux poches bien garnies qui, comme pour se donner bonne conscience, lui a décerné une Palme d’or à Cannes (Ô jury aux larmes « crocodilesques », auréolant son joli mouchoir brodé à 184 euros pièce !… le salaire minimum en Bulgarie). Dans des costards somptueux et des robes non moins hors de prix, et tandis que tout coulait à flot – le champagne, les petits fours et les millions – il fallait tout de même que leur conscience s’avérât terriblement torturée pour en arriver à refiler à Danny le plus prestigieux des prix. Il fallait qu’au milieu du faste, de l’opulence et des gavages indécents, (rappelons qu’une semaine de festival de Cannes représente ce que gagnent quarante Smicards dans toute une vie – et je suis gentille… parce que je suis nulle en calcul) leur élan bien dégoulinant de démagogie s’accordât fort bien à un cinéma va-nu-pieds qui prend un malin plaisir à utiliser, à des fins douteuses et comme un contre-sens à ce qu’il voudrait et devrait renvoyer, une partie conséquente et non moins miséreuse de la population. À croire que, sous prétexte que l’on parle de pauvres, il fallait que le film le soit également. Le pauvre ne mérite de toute façon pas mieux. Alors autant dévider un navet à son image…

L’image, justement, sale et grumeleuse ; la réalisation, aussi dynamique qu’un escargot anémique ; les dialogues, creux et insipides – oui, le pauvre ne sait que parler de ses problèmes, s’il était drôle ça se saurait ; des « plans jumeaux », des « scènes miroirs » déroulés mollement, de sorte que l’on a le sentiment que l’histoire se répète à l’infini, comme un hamster cavale dans sa boule de plastique, sans jamais trouver le moyen d’en sortir… Le courroux enclenché n’ayant plus de limites, je tiens également à décerner la Palme du mauvais goût au scénariste Paul Laverty : a-t-on déjà vu intrigue aussi vide (en dehors de l’horrible Toni Erdmann), aussi poussive, aussi bâclée, aussi rigide, comme un enchaînement sans fin de clichés abominables, de lieux communs exaspérants et de « scènes tampons » servant à combler les temps morts d’un propos unilatéral et tué dans l’œuf ? Paul Laverty s’est visiblement – et distraitement – plongé dans le manuel Le pauvre pour les Nuls, et en a bêtement tiré ce qu’il pense être l’essence même de la vie rêvée du pauvre, son cheminement classique et inéluctable, faisant au passage d’une population en difficulté une masse d’ores et déjà flinguée : 1/ Le pauvre perd son emploi (quitte à être encore plus pauvre autant le faire bien). 2/ Le pauvre reçoit un rappel d’une facture d’électricité non payée (le spectateur, malin, sent que ça ne va pas aller en s’arrangeant…). 3/ Il ne peut plus s’acheter de quoi se nourrir, il va donc à la banque alimentaire (de toute façon c’est ça ou il vole dans les magasins ! Bah oui, le pauvre vole forcément). 4 / Il recolle les baskets de ses enfants (et les copines à la récré se moquent. Sales pestes !). 5/ Il vend tout ce qu’il possède (déjà pas grand-chose…). 6/ Il finit par vendre son c… 7/ Tout cela s’achève dans la douleur… Cette énumération se fait assurément et expressément stéréotypée, à l’image, bien entendu, de ce que l’on nous présente. Et encore, j’en passe et des meilleures dans cette longue liste pyramidale de la parfaite descente aux enfers programmée et irréversible qui ne laisse aucune place à la moindre petite parcelle de résurrection. La vie du pauvre selon Saint Loach et son scénariste aussi inspiré qu’une pomme de terre tuberculeuse…

Alors si l’idée de départ peut paraître charitable, si Ken Loach – considéré comme le pape du cinéma activiste – y a certainement mis du cœur et de la bonne volonté, si la base est concrète et réaliste, si aujourd’hui il paraît évident qu’une traque et un acharnement contre les plus faibles représentent un fait indiscutable, si le système anglais se montre effectivement inflexible et autoritariste, si l’administration, sclérosée et apathique, met très souvent les nerfs à rude épreuve, ce que concocte le réalisateur anglais à partir de ces ingrédients factuels se révèle purement et simplement scolaire, linéaire, lourd et sans relief. Comme un gentil petit bonhomme qui aurait appris sa leçon par cœur et la débiterait idiotement. Ou, au contraire, comme un professeur vieillissant marqué du sceau de l’académisme qui nous enseignerait ce qu’est la vie, la vraie, la dure, la vie de pauvre, avec cette vision étriquée d’une réalité certes crasse et honteuse mais bien plus complexe, et peinte dans d’autres tons et d’autres couleurs que ceux qu’il utilise. Merci Monsieur Loach pour ce cours magistralement faible et souffreteux. Merci de nous ramener à notre propre dérive, à nos propres angoisses, sans nous laisser ne serait-ce qu’une minute de répit dans ce monde de « capitalo-connardos-libéraux ». Car, dans le cahier des charges du réalisateur anglais, l’on ne trouve que du blanc ou du noir, la nuance, Ken Loach, il ne connaît pas. Dans son univers quelque peu étroit il n’y a que les « bons » d’un côté et les « méchants » de l’autre ; vision primaire illustrée par l’agence pour l’emploi (où la caméra, fainéante, s’attarde outre mesure) : un endroit froid, gris, militaire et austère, avec des airs d’administration d’ex-URSS, au cœur duquel trône la méchante conseillère, le carré strict et blond pisseux, la bouche en cul-de-poule, personnalité intransigeante et despotique qui, transposée dans les années quarante, se serait distinguée comme un parfait membre de la Gestapo. De l’autre côté du bureau – notons le couloir qui sépare les deux collègues pour bien marquer la frontière entre ce fameux « bien » et ce fameux « mal » – s’affère la gentille conseillère dépassée par tant de cruauté, qui tente de guider et d’aider les gens en douce, bien évidemment traquée et réprimandée par sa tyrannique cheffe, ne faisant pas, elle aussi, dans le sentimentalisme. Et au milieu coule… le néant. Au milieu dérive un film d’une tristesse et d’un ennui monstrueux, une production plate et informe, réalisée par un personnage (fortuné) qui ne connaît visiblement pas aussi bien son sujet qu’on le dit. Car quitte à y aller gaiement dans le poncif, Ken Loach en rajoute des pelletées : 8 / Le pauvre, c’est bien connu, se montre forcément solidaire avec ses amis, pauvres eux aussi. 9/ Le reste du monde n’est qu’horreur et damnation (même l’abruti qui fait faire ses besoins à son chien là où il ne devrait pas devient l’ennemi à abattre). 10/ Attention, nous signifie Ken Loach dans un élan de type-à-qui-on-ne-la-fait-pas, le pauvre peut aussi se montrer vil et aplatir les autres pauvres pour servir ses propres intérêts (pas tombé de la dernière pluie le monsieur !).

Ken Loach s’est-il seulement rendu compte qu’en voulant asseoir son militantisme au travers d’un film sur l’errance social, il ne fait qu’enfermer les plus démunis dans des cases, qu’il les stigmatise et les noie dans une bouillie infâme de clichés, qu’il les appauvrit par une espèce de bien-pensance insultante ? Si l’espoir fait vivre, la fierté et la dignité aussi. Et cela, Ken Loach n’en a visiblement pas conscience. S’il l’avait su, il ne nous aurait certainement pas pondu un mélo qui ne parvient même pas à faire pleurer dans les chaumières tant il irrite, un « brûlot » sans âme qui monte un peuple contre un autre peuple et s’écrase violemment contre le mur de ses propres dénonciations (le pouvoir qui divise pour mieux régner et oppose sans cesse les gens). À aucun moment Ken Loach ne démonte les rouages d’un système qui pousse les populations à se « cannibaliser », se contentant de montrer à quel point l’on se bouffe entre nous, à quel point une misère peut cracher sur une autre, sans jamais porter sa caméra plus haut, sans jamais lui donner un tant soit peu de recul, sans jamais la placer là où il le faudrait, sans jamais pointer les principaux responsables, c’est-à-dire l’État et son fidèle compagnon, le patronat. C’est un peu léger, non ? Qu’une partie de la population soit tentée d’en rejeter une autre, c’est une chose (réelle et insupportable), que l’on n’approfondisse pas l’origine de ce comportement en est une autre…

Alors, si la grande famille du cinéma veut continuer à servir certaines causes et tient à jouer son rôle de « porte-parole », qu’elle présente des films à l’image de La Loi du marché… Mais de grâce, qu’elle cesse d’utiliser les plus faibles pour servir sa propre soupe, amère et infecte…

Et, en attendant de voir un film social digne de ce nom, je m’en vais regarder un bon Oui-Oui à la plage, cela calmera mes velléités « anarcho-coléro-révolutionnaires ».



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