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Le Musée des Beaux-Arts de Strasbourg

Publié le 24 novembre 2016 par Savatier

Le Musée des Beaux-Arts de Strasbourg, qui occupe un étage du célèbre Palais Rohan, voisin de la cathédrale, conserve une intéressante collections de peintures couvrant une période qui s’étend du XVe au XIXe siècle. Il offre au visiteur un panorama assez complet de l’art pictural occidental (la sculpture y est presque absente), en particulier italien, allemand, flamand et, dans une moindre mesure, espagnol, suivant un parcours chronologique bienvenu. Parmi les artistes présentés, on compte notamment Giovanni-Battista Cima (Saint Sébastien, vers 1502), Piero di Cosimo (Vierge à l’enfant avec le jeune Jean-Baptiste), Botticelli (Vierge à l’enfant avec deux anges, vers 1468), le Tintoret (Bacchus, Ariane et Vénus), le Greco (Mater dolorosa), Hans Brosamer (avec un beau Portrait d’homme), Joachim Beuckelaer (Le Marché aux poissons), Tiepolo, le Corrège, le Canaletto (Vue de l’église de la Salute), Rubens, Boucher, Jordaens, des paysages de Théodore Rousseau, Corot, Daubigny, Courbet (Vallée de la Loue par temps d’orage), etc. Les œuvres ne comptent pas nécessairement parmi les plus connues de ces maîtres, mais elles permettent une première approche tout à fait satisfaisante.

A côté de ces tableaux, figurent quelques raretés exceptionnelles, quelques pièces insolites qui, à elles seules, justifieraient une visite. Dès la première salle, le spectateur découvre ainsi le Polyptyque de la Vanité terrestre et de la Rédemption céleste de Hans Memling, sans doute – et à bon droit – la fierté du musée. Exécuté vers 1485 pour un commanditaire italien, ce chef d’œuvre, dont les six panneaux (à l’origine peints recto-verso, ils furent ensuite dédoublés par sciage dans l’épaisseur) ne sont guère plus grands que des cartes postales (22 x 14 cm), est présenté sous vitrine dans l’ordre supposé où ces derniers devaient être disposés. Ils formaient en effet alors une sorte de retable portatif dont on pouvait replier les lames pour le transport.

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L’un des côtés montre un blason surmonté de la devise « Nul bien sans peine », un Christ en gloire, enfin une vue de l’Enfer assortie d’un Diable tout à fait conforme à l’iconographie effrayante qui vit le jour aux environs du Xe siècle. De l’autre côté, un crâne remarquablement peint et une vision de la Mort entourent une allégorie de la Vanité. Celle-ci représente une femme nue qui se regarde dans un miroir. L’image est exceptionnelle à bien des égards. Il était fort rare, à l’époque, de peindre un nu féminin dans toute sa beauté, c’est-à-dire qui ne soit pas de nature, suivant les règles imposées par l’Eglise, à inspirer le dégoût du corps. Nul élément narratif ne permet de lui attribuer un nom – Eve, Lilith ou Bethsabée par exemple – ni d’en donner une lecture claire. L’identification reste d’autant plus problématique que le peintre l’a chaussée de sandales assez incongrues. Mais le plus étonnant reste à venir. Certes, l’ensemble du polyptyque répond à une motivation moralisatrice que souligne l’inscription située sous le crâne voisin : « Je sais en effet que mon rédempteur vit, que demain je ressusciterai et que revêtu de ma chair et de ma peau, je verrai Dieu mon sauveur » ; pour autant, l’examen d’un agrandissement du panneau permet de découvrir sur le modèle la présence d’une fente vulvaire qui constitue une transgression érotique majeure, non seulement au regard de l’Eglise, mais encore à celui des conventions de l’art depuis la Grèce antique qui refusaient à la femme tout sexe, même esquissé – conventions que brisera Courbet avec L’Origine du monde (1866).

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Dans une autre salle, est accrochée une surprenante huile sur carton peinte par un anonyme flamand (vers 1530) intitulée Le Cauchemar. Rien n’est plus singulier que cette scène monochrome sur fond noir, où évoluent, au sein d’une végétation bizarre, des personnages fantastiques, des êtres hybrides, des monstres inquiétants. L’œuvre, de quelques années postérieure à la mort de Jérôme Bosch, s’inscrit dans le même registre saisissant.

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Plus loin, se trouve une toile de Christiaen van Couwenbergh (1604-1667), Le Rapt de la Négresse (1632) que son thème rend quasi unique. Il s’agit en effet du viol d’une femme par trois hommes qui relève, non d’un alibi historique ou mythologique (comme Le Viol Des Filles De Leucippe de Rubens), mais de la scène de genre, c’est-à-dire de la vie quotidienne ! Signe de l’évolution de la société, ce tableau choqua en son temps, non par sa violence, par l’absence de consentement de la femme que confirme l’effroi qui se lit sur son visage, mais par la représentation crue d’une relation sexuelle interraciale, laquelle était jugée inconvenante…

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Autre toile assez curieuse, Loth et ses filles (1633), de Simon Vouet livre de cet épisode biblique incestueux une version dissidente. Selon le texte, les filles de Loth, craignant de ne croiser aucun homme là où elles se trouvaient, avaient enivré leur père pour s’accoupler avec lui et s’assurer une descendance. Là où se profilait le portrait de filles perverses abusant d’un homme infortuné, le peintre inverse les rôles ; il nous montre une aînée au visage résigné face aux avances explicites d’un Loth particulièrement gaillard.

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Le parcours s’achève sur la seconde moitié du XIXe siècle, avec une Vierge consolatrice de Bouguereau, une curieuse Jeanne d’Arc de Dante-Gabriel Rossetti (1863), un portrait de Gustave Doré par Carolus-Duran (1879), un autre, de femme, par Dubufe (1851) et un, plus inattendu, d’Edmond About par Giacomotti (1858). Pour les périodes suivantes, le visiteur se rendra au Musée d’art moderne et contemporain qui fera l’objet du prochain article.

Illustrations : Hans Memling, Polyptique de la Vanité terrestre et de la Rédemption céleste – idem, détail – Anonyme Flamand, Le Cauchemar – Christiaen van Couwenbergh (1604-1667), Le Rapt de la Négresse – Simon Vouet, Loth et ses filles .


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