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croquis laotien

Publié le 25 novembre 2016 par Dubruel
Officier-médecin affecté au sud Viêt-Nam (ex-Cochinchine française)

Etendu sur un matelas de coton blanc,

Je causais avec le krou Akan.

Il portait un sampot de soie marron

Et une veste à cent boutons,

Signes de sa position sociale.

Tapho était son nom patrimonial.

Chasseur invétéré s'il en fut,

Il passait des nuits entières à l'affût,

Immobile, malgré les piqûres

Il marchait sans repos ni nourriture

À la poursuite méthodique

C'était son unique ouvrage.

J'avais gagné son estime en l'écoutant.

D'après lui, les chasseurs blancs

Agissaient souvent en niais.

En les voyant, les bêtes riaient,

Disait-il. Devenu son ami,

Je lui avais offert un fusil

Pour remplacer son mousquet à pierre.

Les moindres nouvelles de son village :

Avait été foulé par des douzaines

Un autre jour, la tigresse de Donson-Tâ

Fut piétiné dans la boue

Par son éléphant indocile.

Comment Tapho connaissait-il

Mais ces informations anecdotiques

S'avéraient toujours authentiques.

Un matin, il m'emmena à Wat-Phou,

Et, disait-on, millénaire.

Les coolies piochaient le ressac

Des eaux tièdes du Bassac.

Notre pirogue glissait sur l'onde

Dans ce décor d'un autre monde.

Après huit miles, nous touchâmes terre.

Lances en main, les indigènes sautèrent

Du bateau et coururent vers la forêt

Dans un rythme rapide et discret.

Sous des lacis inextricables,

Ils chassèrent un fauve redoutable,

Puis firent cuire la viande, l'igname

Et le riz dans des marmites pendues

À un fuseau de lances. Ils ont bu

Force rasades de vin de palme.

Ensuite, pendant une heure,

Ils ont chanté en mon honneur.

Après ce charmant hommage,

Nous reprîmes le voyage

Et découvrîmes le palais des Phys,

Puis, derrière un rideau de bambous,

Au loin, nous aperçûmes Wat-Phou :

Quelques toits presque plats,

La flèche aigue d'un tat

Et des banderoles couvertes d'écrits

Destinés à éloigner les Phys.

Nous nous sommes installés au mieux,

Nos chevaux attachés à des pieux.

Typiquement laotiens, leurs harnais

En coton se composaient d'une bride,

Ornée de glands aux teintes acides,

Dont le mors, comme je le remarquais

Etait garni de forts piquants,

À coup sûr leur infligeant

Les coolies sont repartis en premier.

Ils lançaient des jurons

Nos grossièretés françaises,

Mêmes les plus outrageantes,

Paraissent tendres fadaises

Ou doux soupirs d'amantes.

Entre les iaos immobiles,

Des banians, ils évitaient les racines

Émergeant du sol des sentes alpines.

Ils sillonnaient entre les lianes enroulées

De grappes rouges, tels des bracelets

D'un strass étincelant.

Seuls les tigres Saï et Quan

Venaient en ces lieux écartés

Se battre comme des enragés

Pour une tigresse aux yeux de velours.

Aujourd'hui, le cobra noir, tel un dieu

Règne en maître absolu sur ces lieux.

Bientôt, sur la montagne légendaire,

Apparut le palais multi-centenaire.

Il était entouré de mille statues :

Singes coiffés de la mitre pointue,

Élégants princes Khmers,

Hommes à l'allure guerrière,

Femmes aux hanches voluptueuses,

Aux gorges gonflées, orgueilleuses.

Un sourire figé mais charmeur,

Eclairait leurs yeux larges et rêveurs.

Nos guides semblaient perdre courage

Dans ce silence d'un autre âge.

Chantaient depuis le départ,

S'étaient tu soudain. Arrêtés

Devant les sculptures de Bouddha,

Ils paraissaient déconcertés

Redoutaient-ils une vengeance des Phys

Irrités par la présence du blanc que je suis ?

Ces génies auraient-ils pu transformer

Nos guides en vaches laitières,

Ou ordonner à Fang-Bong, la panthère,

Les pèlerins psalmodiaient en continuum

J'imaginais les bonzes, en rangs serrés,

Gravissant les marches de grès,

Leur longue robe orangée

Balayant lentement le sol.

Ils tenaient haut leur parasol

Pour du fort soleil se protéger.

Je voyais les éléphants dressés

En cortège. Leurs queues balancées

Les cornacs, à moitié nus,

Perchés sur leur dos, tels des gnomes,

Flattaient leurs cous ridés, tendus

Vers les jeunes pousses de bambous.

Je songeais aux princes, debout,

Raidis dans leur sampot,

De khêns, et de tambours frappés

En quelle année la dernière procession

A-t-elle entrepris cette ascension ?

Les statues aux yeux de pierre

Qui me regardaient passer

Sauraient-elles m'apporter leurs lumières ?

Chargé de garder ce haut lieu,

Un grand bonze octogénaire,

Nous fit entrer dans le sanctuaire.

Tapho y déposa son offrande :

Une poignée de riz, une guirlande

Et deux ou trois bougies.

Qu'offrir d'autre à celui

Pour lequel le monde n'est qu'une ombre

Et ce qui l'entoure, l'ombre d'une ombre ?

Puis, nous nous sommes inclinés

À l'idée que chacun doit suivre sa voie

Avec constance, sans retour en arrière.

Ensuite, le bonze Satouck parla d'un seul jet :

" Sous le règne pacifique de Prack,

Le roi des cerfs, tous ses sujets

Pouvaient boire l'eau du Bassac

Sauf quand les tigres de Rayé, tous les mois,

Envahissaient les terres du vieux roi.

Prack ne savait comment soustraire

Son peuple de ce féroce adversaire.

Pendant plus de quarante ans,

Princes, marquis et commandants.

Étant donné son vieil âge,

Prack, lui, ne fut jamais pris en otage.

Mais se sentant devenir vieux,

Il choisit un disciple jeune et vigoureux

Et la vie conforme à la Loi.

A l'issue de la dernière leçon,

Prack lui dit : -"Mon garçon,

Maintenant, tu peux me remplacer."

À peine venait-il de prononcer

Ces mots que Rayé surgit

Au parc des cerfs et rugit :

-"Puisque la coutume, O Roi

De choisir à ma convenance

Une créature de ton engeance,

C'est ton disciple que je veux emmener."

-"Tigre cruel, je ne peux te le donner.

Et ton acte serait illicite.

Comme vient de se terminer

Mon œuvre, je me livre à toi.

Sera appliquée après ma mort."

Quand Satouck eut fini son exposé,

Deux bonzes au crâne rasé

Cette eau, corrompue trois fois,

Redevenue limpide trois fois,

Et peut, sans danger, être bue.

Le Sage pouvait s'abstraire

Longtemps me restera en mémoire

De Satouk la fabuleuse histoire.

Sous un ciel aux coulées

De pourpre et d'or mêlées,

Nos guides avaient cessé leurs chants.

Ils se passaient maintenant

De main en main une vieille pipe à eau

Comme un précieux cadeau.

L'ombre s'épaississait.

La nuit de la brousse commençait


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