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Tahar Djaout : Les chercheurs d'os

Par Gangoueus @lareus
Tahar Djaout : Les chercheurs d'os
En revenant d’Alger, je me suis lancé dans une lecture d’un des auteurs algériens que je souhaitais découvrir. Tahar Djaout. J’ai plusieurs ouvrages venus d’Algérie qui attendent que je les aborde comme Feraoun (Le fils du pauvre), Boudjedra (L’escargot entêté). J'ai été saisi par la lecture de la première page de ce roman de Tahar Djaout et je n'ai plus lâché ce roman...
On est suspendu sur les montagnes du nord de l’Algérie dans un village où le temps semble s’être arrêté. On a d’ailleurs à poser des dates, des périodes. L’observation attentive de la prose poétique de Tahar Djaout nous fournira des éléments la démarche des chercheurs d’os. Une famille envoie deux émissaires à la recherche des ossements de l’un de ses hommes qui est mort pendant la guerre d’Algérie. Le narrateur est un adolescent. Il s’agit du petit frère du mort. C’est à l’échelle de sa compréhension du monde que l’histoire de cette recherche nous est contée. Tahar Djaout ne propose pas une trame linéaire.
Un village suspendu sur les hauteurs de l’AlgérieLa première partie du roman donne l’occasion  à l’auteur de revenir sur le contexte socio-culturel et économique de ce village en terre berbère. Avec beaucoup de poésie, Tahar Djaout décrit la nature, les environs, le caractère hostile des lieux. Des scènes nous racontent l’immobilisme de la société, les abus de pouvoir de ceux qui sont en mesure de l’exercer. La question de la viande par exemple montre combien ce qui sonne comme une évidence pour beaucoup aujourd’hui fut l'objet d’une intense convoitise. Les focales de l’adolescent sur la pratique religieux et des abus de ceux qui avaient une once d’autorité est très significative dans cette phase du texte. Dans le fond, il y a une forme de lucidité de l’adolescent qui observe les entourloupes des anciens, des religieux profitant de la crédulité de ces petites gens. L’immobilisme est vécu comme une tragédie. Les lieux où la parole est permise comme la djêma sont critiqués.
Occupation, guerre et…Une tranche du roman est consacrée à la colonisation par des étrangers des montagnes berbères. Je dois dire que cette phase du roman est assez étonnante. Parce que l’écrivain ne nomme pas ceux qui occupent. On constate des actions - l’installation d’une école en plein coeur du village, sans aucune concertation. Il décrit comment le cinéma a servi à construire une propagande massive pour vendre les mérites de la métropole et d’un certain mode de vie. Attirer par les images, les villageois sont fascinés. Mais on voit aussi au fil des pages les postures des administrateurs se durcir. j’avoue  que cette tranche de lecture est remarquable. Mais il serait intéressant de comprendre pourquoi les choses ne sont pas nommées plus clairement. Peut être que le regard de l’adolescent ne peut pas offrir une autre  lecture.
A la recherche des ossements 
Quand nous sortons du village en direction de l’ouest, le soleil a parcouru une belle tranche sur l’arc immaculé du ciel. Rabah Ouali chemine tout près de l’âne. Je le suis, en retrait de quelques pas. Je ne sais ou je vais mais je suis heureux de quitter (pour combien de temps?) le village, décor implacable de mon enfance isolée. p.23
Après la célébration de la victoire, les  longues festivités après la nuit d’un long conflit, des familles se sont mis à la recherche de leurs morts. Il semble que ce fut une démarche courante. Suffisamment pour Tahar Djaout puisse la relever, la comprendre, la fustiger. Dans le fond, la question posée est celle des raisons pour lesquelles un clan, une communauté s’acharne à rapatrier une dépouille, là où le vivant a décidé de partir, de quitter un lieu, une terre. Tahar Djaout dénonce le caractère oppressif du groupe, peu respectueux des disparus. Ici, il s’agit d’un homme mort pour l’indépendance de l’Algérie. 
« …le peuple tenait à ses morts comme une preuve irréfutable à exhiber un jour devant le parjure du temps et des hommes. » 
« On n'a pas idée de s'arrêter sans raison précieuse en pleine canicule alors que notre tâche est des plus nobles, alors que les mânes d'un squelette piaffent quelque part d'impatience, dans l'attente des mains salvatrices qui les ramèneront aux paysages et aux bruits familiers de l'enfance. Car les morts nous voient et nous entendent. Qu'on ne s'amuse pas pas à médire ou à profaner ce qu'ils ont laissé sur la terre des vivants. » p.112   
Il y a plusieurs morts. Celle du frère du narrateur a du sens. En allant faire la guerre, il s'est détaché de l'univers mortifère de ces villages de montagne sans vie. On a le sentiment après lecture que le véritable héroïsme de ce jeune homme fut plus de partir que de mourir sur le front.
Ce voyage se construit comme une quête. Elle va permettre au personnage narrateur de grandir tout en se posant des questions sur ce qu’il voit. Il est confronté à des mondes nouveaux, des villes modernes, des lieux plus modestes. Avec Rabah, fait aussi des rencontres humaines qui racontent indirectement la victoire algérienne et le départ des anciens colons. On ressort de cette lecture en en retenant la poésie, une critique acerbe du modèle social de ces montagnards à peine impacté par l'évolution des choses. C’est à la fois troublant et calme. 
Tahar Djaout, Les chercheurs d'osEditions du Seuil, Collections Points. Première parution en 1984

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