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(feuilleton) Cécile Riou, "Phrase unique", 12

Par Florence Trocmé

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(…) ça rime avec Milcent, et il n’y en a pas des cents et des mille comme ça, quand on trouve une pomme de pin, on passe dessus les mains et elle ressemble à l’autre comme une sœur, et pourtant non, on n’en extrait pas les pignons pour autant, on n’en attend rien que de la ramasser, pour le geste, pour la pomme de Jeanne d’Arc d’Agnès Varda, pour glaner, pour la relâcher plus tard avec ses sœurs de pommes en l’air, poisson des arbres, trop petit ou trop laid pour être gardé près de soi, dans son fatras intime (dans le sac à dos : brosse à dents, câble d’ordinateur, carnet,  permis de conduire, doliprane mille mieux que cinq cent, livre : Les cent vingt journées de Sodome), calfeutré mieux qu’un nid de chenille processionnaire, sans croix ni bannière, hérissé de haine, loin d’Héricy la rage de l’autre, pomme de pin abandonnée loin du pin natal (…)
(…) pas perdue pour tout le monde, toutefois :  dans la salle pas perdue la grosse fille blonde et son compagnon asiatique à casquette, pas perdu sur sa chaise de plastique vert anis l’homme rouge et massif à l’écharpe de soie, pas égaré l’homme boiteux aux baskets basses et à la vue moyenne, pas déroutée la dame au jean déchiré à la coupe afro, pas oublié l’homme au cartable et blouson molletonné dit doudoune, un livre fermé sous le bras, pas  abandonné l’homme qui dort, chemise bleue et alliance massive sous blouson de cuir, pas isolé l’homme boule polaire, aux très petits pieds d’ours nain, pas disparue la femme hors de l’angle de vue, pas inanimée la petite inquiétude sourde tombera, tombera pas, pas effacée l’inscription « le cycle de la nutrition : de l’énergie solaire à l’assimilation » accompagnée de dessins de Puig Rosado, qui évoquent plus radicalement les Contes de la rue Broca de Pierre Gripari, pas perdue pour tout le monde la (…)
(…) grève qui dure depuis six jours maintenant, et l’antenne télescopique ne capte plus maintenant que des bribes musicales quoique la caresse dans le sens du bois, celui des veines blondes devrait amuïr les grésillements, amener le poste à ronronner une aria gentille, ou au moins quoi ? une sonore, vaine et monotone ligne, autre que ce doux rien par leur lèvre ébruité, qui vient pendant ta sieste réveiller l’après-midi d’un téléphaune (…)
(…) phautographié puis dessiné puis gravé sur cuivre par la pointe sèche, enduit de résine et placé dans la boîte orange qui ronge, puis imprimé sous la presse, entre feutre et feutre, l’odeur de l’encre grasse étouffée par l’acétone « toujours à respirer si nous en périssons », c’est moins un visage ouvert et riant qu’une montagne – ou l’océan on se demande, entre résine mangée et encre repoussée – à se demander si face à cette installation, le bon élan primaire a raison ou si c’est un grand élan de bêtise qui vous pousse à hésiter, vous recroqueviller dans le silence, au lieu de quoi une petite pointe de parole pas trop sèche ouvre des sourires, sans les forcer de la pique, des explications qui fusent : sérigraphie, macula, exposition, photosensibilité, (…)


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