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« Le Silence dans la peau » de Claire Tencin

Publié le 04 décembre 2016 par Savatier

« Le Silence dans la peau » de Claire TencinDans le champ littéraire, le récit occupe une place particulière. Il se distingue du roman, supposé fictionnel, ou des mémoires plus ou moins enjolivés ; il n'appartient pas non plus au genre de l'autofiction, mode que les " Angot-lades " poussives et autres imitation pénibles des pensionnaires de " Durassic Park " ont fini par rendre agaçante. Son statut hybride laisse libre cours à l'interprétation du lecteur et favorise chez l'écrivain le travail du style.

C'est à ce profil que répond Le Silence dans la peau (Tituli, 78 pages, 15 €), le dernier opus de Claire Tencin. La typographie des premières pages surprendra, suggérera la notion, pas si éloignée de la réalité, de poème en prose. Flaubert, en composant Un Cœur simple, avait voulu écrire un conte d'où toute intrigue serait absente, qui ne tiendrait que par le style. Le Silence dans la peau semble obéir à une démarche similaire.

Une écriture dense, exigeante soutient ce récit des relations entretenues par une mère et sa fille - celle-ci étant la narratrice - relations complexes d'amour et de haine contenue, d'incompréhensions tangibles jusque dans le non-dit qui sied aux ménages de modeste bourgeoisie en quête de respectabilité. Ce non-dit introduit le silence, entretient le malaise, porte à vif des plaies jamais vraiment cicatrisées. Les souvenirs d'enfance remontent à la surface du marécage provincial où viennent éclater les bulles toxiques des secrets familiaux.

L'incommunicabilité qui s'est installée entre ces deux femmes relève du conflit de générations, d'une querelle des anciens (la mère, éternellement plantée devant ses fourneaux, élevée dans le culte du silence, de la fonction maternelle que lui imposait la société) et des modernes (la fille, intellectuelle et esprit libre, qui n'aspire qu'à crever l'abcès et à se retrouver).

Elle est aussi une question de langue, de mots qui manquent. Et on ne peut penser, en refermant ce livre poignant, qu'à Jacques Lacan lorsqu'il confessait : " Je dis toujours la vérité... Pas toute... Parce que, toute la dire, on n'y arrive pas. La dire toute, c'est impossible, matériellement. Ce sont les mots qui manquent. C'est même par cet impossible que la vérité touche au réel. "

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À propos de T.Savatier

Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008

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