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(feuilleton) Cécile Riou, "Phrase unique", 14, "l'envers et l'endroit seraient de la même étoffe"

Par Florence Trocmé


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(…) l’envers et l’endroit seraient de la même étoffe, la même côte droite et la même rayure, ce serait pratique et réversible, si on était faits de tissu cellulaire, si on était de cette étoffe interchangeable, par grâce il n’en est rien car assembler l’envers contre l’envers ne rassemble pas l’endroit au bon endroit, c’est un amas confus de fils, des crottes de bourre dans tous les plis, passepoil, biais, fronces, droit-fil, des diagonales qui marquent et relient les pinces au bout desquelles pend un double fil, ne le coupez pas, ne coupez pas ! c’est là la vie, que vous en semble ?, (…)
(…)  l’envers et l’endroit, on peut dire aussi le gauche et le droit, on peut dire le piano et ses cordes, le bois frappé, l’ivoire frappé sur le piano de la main gauche, vous avez les basses, de la main droite les aigus, supposez maintenant que ce sont des cordes (violon, alto, violoncelle) qui s’accordent de droite et de gauche, alors c’est l’inverse car la main gauche fait les notes, la main droite fait le son –toutes choses également importantes–, et le dos s’arrondit, la fesse se soulève, la jambe tape, le son gonfle, remplit toute l’oreille, chaud, rond, cinglant, et du côté des spectateurs, tout à gauche, tout en bas, le parfum monte des cheveux qui s’étalent sur votre épaule gauche, tandis qu’à votre droite, les doigts se serrent au son des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach,  vous ne distinguez plus votre droite de votre gauche, toutes choses inégales par ailleurs (…)
(…) comme la carpe inégale d’écailles, comme le lièvre et la tortue d’inégale vitesse, comme le violoncelle et l’alto, d’inégale taille, comme la mélancolie et la tristesse d’inégale morosité, généralités toutes auxquelles on ne saurait toutefois pas rattacher l’attente un peu comique, un peu naïf, de votre panier de saison, de plastique rouge ajouré, garni cette fois encore d’égale manière, de carottes fanes bien fraiches, de bettes pas tant que ça, d’oseille et il en faut, de pommes de terre et il en faut, des rattes qui ne craignent pas les bons chats bons rats, de laitue blonde grosse dormeuse, d’anémones dites sucrines, dont l’œil noir te regarde dans son cerne blanc d’égale intensité d’ouverture corollaire(…)
(…) dont ne dépend pas l’écarquillement d’incompréhension, voire d’hostilité, voire de dénégation ou même pire de déréliction, sentiment auquel le mouton noir se frotte comme asinus asinum fricat, si tu es seul alors réchauffe toi ton fricot toi même, tu ne sais pas qui te tricotera, aussi vrai que la laine ne souffre pas d’être différente, mêlée de brindilles, de suint, de fleurs, de foin, aussi vrai qu’elle a dit, ma voisine de photocopies « aujourd’hui je suis la seule à aimer la pluie » , tricote toi ton pull toi même, tu ne sais pas qui te réchauffera, et pourtant (…)


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