Magazine Culture

(note de lecture) Revue "Bébé", n°0, par Yves Boudier

Par Florence Trocmé

Revue BébéDis-moi, c’est quoi la poésie ?

Une question, peut-être « la » question que l’on se pose tous, mais avec cette demande contenue dans les deux premiers mots : « Dis-moi… ». Ce « quoi » qui serait poésie, la poésie, précédé de l’attente d’une réponse adressée à un vis-à-vis familier presque intime dans ce que le « tu » contient implicitement, se décline ici en quatorze propositions, hypothèses, en textes, notes graphiques et/ou poèmes.
Une question du type retour aux sources, redoublée par le lieu même où elle s’énonce : Bébé, nouvelle revue, « la revue que nous avions envie de lire » nous précisent d’emblée Nadine Agostini (Nad) et François Bladier (Blad), autrement nommés Blad&Nad. Bébé car la revue a choisi de ne paraître qu’une fois l’an ?
Quatorze invités donc, parmi des poètes d’aujourd’hui qui pour Blad&Nad « travaillent au renouvellement de la langue et du dire », qui « pensent la poésie et qui contribuent à l’essor, la divulgation, la monstration, la dissémination, le partage de la parole poétique par les actions qu’ils entreprennent ». Adeptes d’une « action poétique », pour reprendre un syntagme-titre bien connu et une fois encore d’une grande pertinence.
Qu’on en juge avec les extraits suivants, dans l’ordre même de cette première livraison :
La poésie nous prend à la gorge.
Elle nous tient par le trou qu’on lui a fiché plein cœur.
La poésie nous meurt / mille fois mieux que nous.
(Edith Azam)
Tout poème fait son (à l’oreille), signe (sur la page) et sens (dans la tête), selon différents dosages. (Jean-Marc Baillieu)
L’expression arts poétiques s’est substituée à poésie, au sens d’une poésie élargie.
Les arts poétiques forment un archipel entre continent langage et continent mémoire.
[Ils sont] une science parlière. (Patrick Beurard-Valdoye)
La poésie c’est un / pli / âge / (un pli à prendre !) / Résumé / Poëme / amen / âgé (Julien Blaine)
Poésie n’est plus ce qu’elle n’est pas encore qu’elle sera. (Jean-Pierre Bobillot)
Le poème n’appartient pas à celui qui l’écrit. Il fabrique son auteur puis l’aide à vivre. (Pascal Dubost)
Séparation d’une langue imposée > partition externe > processus sanglant de dévoration > peut-être excrément > pas la poésie mais du poème > j’en sais rien mais je m’en tape (…)  (Liliane Giraudon)
dans cet obscur-là    la langue œuvre    le poème revient
il entraîne le troupeau    l’aide à s’égarer    maintenant    il va s’écrire
l’enfant s’est tu    l’enfant sait où ses mains    ne doivent se poser    où
la langue doit cesser   (…) laissant ainsi libre le passage
   (Frédérique Guétat-Liviani)
(…)
des vers nous ouvrent la possibilité de l’
inattendre /
une entrée dans le vif vil du sujet /
la commande des lenteurs /
de l’effacement
effarement et des phares
(…)
La poésie sait la poésie c’est ce qui dit
non
aux ivresses de la parole
   (Pierre Le Pillouër)
Quant au poète / Petit coq / Des basses cours littéraires / Que sait-il des mots ? / Est-il vraiment poétologue ?    (Michèle Métail)
Je poserai que la poésie n’est revêtue que d’une armure de papier et a rapport avec la peste.
Et conclurai :
Venant des toujours ailleurs, c’est-à-dire d’ici, le bateau des rats est à quai
la peste arrive toujours à destination.
   (Yvan Mignot)
La poésie a toujours été l’affaire de revenir à ce côté non naturel et juste qu’est cet artifice nommé parole.   (Charles Pennequin)
(…) sur quoi l’œil se laisse sinon aller tout droit latérale-
ment entraîner, rivé, la précision entre parenthèses :
« (dont on n’avait pas à s’occuper) ». – Voilà, voilà
-mais blâme ou définition ? – voilà ce que c’est !
   (Pascal Poyet)
Nadine, François
Depuis plus de trente ans, je cherche la poésie. Elle m’a toujours échappé. C’est ainsi que j’ai trouvé que je n’étais que
cerceur et que la poésie n’est pas un mythe mais une anguille. (Véronique Vassiliou)
Les acteurs de Bébé nous confient qu’ils se sont « réjouis à la lecture de chaque réponse ». Des réponses en écho à celles qui figurent en première page, dialogue entre Nadine et François, « Et si on posait la question à d’autres poètes ? ». Chose faite, et bien faite.
Que ces extraits choisis, (j’en connais la part d’arbitraire, et l’on me pardonnera ces « déchirures », faites comme on prélève un pétale qui dirait la fleur), vous conduisent à découvrir cette nouvelle revue. Qu’ils vous amènent à reprendre la construction d’un puzzle dont vous avez sous les yeux quelques pièces à la forme à chaque fois unique mais dont l’assemblage pourtant fait cohérence et image. Sans oublier qu’un puzzle appelle un recommencement.
Yves Boudier
Revue Bébé, n° 0, novembre 2016, Marseille, 48 pages, 12 €. (Noir et blanc, format cahier 17,3 x 22)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines