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Le roi déchu impose sa loi

Publié le 05 mai 2014 par Gezajans
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Mauvaise surprise : il ne s’agit point d’un énième épisode de Game of Thrones mais de jurisprudence administrative… et velue qui plus est.

Ceux d’entre les lecteurs qui n’ont pas encore cliqué pour fuir vont donc avoir la chance et l’avantage rabelaisien de découvrir la substantifique moelle de l’arrêt de la Cour administrative d’appel du 9 avril 2014, Ministre de l’écologie et du développement durable, n° 12BX00391 et 12BX00392 qui renforce la protection de l’ours contre les activités cynégétiques, et notamment la chasse en battue.

L’association Ferus et le comité écologique ariégeois ont attaqué l’arrêté du préfet de l’Ariège du 23 mai 2011 relatif à l’ouverture et à la clôture de la chasse pour la campagne 2011-2012 qui autorisait la chasse en battue du sanglier dans des secteurs fréquentés par l’ours.

Par un jugement en date du 16 décembre 2011[1], le tribunal administratif de Toulouse a annulé partiellement l’arrêté au motif qu’il prenait des mesures de protection insuffisantes de l’ours contre les activités cynégétiques et qu’il autorisait la chasse en battue dans des zones où l’ours avait été signalé à plusieurs reprises l’année précédente.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux confirme le jugement du tribunal aux termes duquel la chasse en battue du sanglier « autorisée dans un territoire fréquenté par l’ours brun, est de nature à perturber ce dernier durant ses périodes de pré-hibernation automnale et même d’hibernation, au cours desquelles il a besoin de pouvoir, en toute quiétude, se constituer des réserves suffisantes, ainsi qu’une zone de tanière ».

Par ailleurs, les mesures de protection de l’espèce prévues pendant la période de battue du sanglier, « initiées par les seuls chasseurs ou leurs représentants », n’instaurent pas une protection stricte de l’espèce et méconnaissent à la fois l’article L. 411-1 du code de l’environnement et la directive « habitats » du 21 mai 1992.

La solution est logique : au regard du statut de l’ours, espèce strictement protégée[2], et de sa situation extrêmement précaire dans les Pyrénées[3], qui rendrait nécessaire de nouveaux lâchers plutôt que des rencontres fortuites avec armes et chiens.

Ours 2
La position des juges du fond n’en demeure pas moins remarquable à plusieurs égards.

D’abord sur la qualification de l’acte de perturbation intentionnelle, les juges ne retiennent pas l’argumentaire du ministre de l’Ecologie selon lequel cet acte serait subordonné à « l’existence d’une intention dolosive » de perturbation de l’ours brun. Les juges considèrent que l’importante présence de l’espèce dans le département de l’Ariège[4] « classée en danger critique d’extinction » implique corrélativement « la particulière importance de le protéger pour en assurer la survie ».

Les juges relèvent ensuite que ce mode de chasse est très perturbant pour l’espèce, notamment en période de pré-hibernation et d’hibernation et qu’il pourrait l’exposer, « comme en attestaient différents faits survenus dans le passé, à un risque de mort ou de blessures ».

Et pour cause, la chasse en battue est un mode de chasse extrêmement bruyant, s’effectuant en groupe avec des dizaines d’hommes et de chiens. De ce fait, son autorisation sur des territoires fréquentés par l’ours suffit à caractériser l’acte de perturbation intentionnelle.

Les juges du fond adoptent une conception « protectrice » de l’acte de perturbation intentionnelle, en n’assimilant pas celui-ci à la volonté de nuire délibérément au plantigrade[5].

Ce faisant, le juge se place dans une démarche préventive où le risque de destruction de l’espèce est maîtrisé en amont, par une mesure d’interdiction. La référence à la mort accidentelle de « Cannelle » n’est ici pas anodine.

On notera aussi la référence tantôt à l’ours brun, tantôt à l’ours brun des Pyrénées qui a son importance, notamment dans l’appréciation du standard que constitue « l’état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle », régulièrement débattu[6].

Le concept de biodiversité, qui concerne les populations (diversité infra-spécifique) autant que les espèces (diversité spécifique), de même que le principe d’effet utile des traités qui doit conduire à ne pas interpréter « à rebours » les règles de l’Union Européennes en matière de protection de la nature, militent pour la position retenue par les juges du fond.

Cet arrêt nous renseigne également sur l’importance des données naturalistes pour emporter la conviction du juge au contentieux. C’est bien en exposant dans les requêtes des données liées au comportement, à l’habitat, à la présence récente de l’espèce sur un territoire précis, que le juge pourra condamner les pratiques qui la perturbent[7].

En l’espèce, le juge opère à la fois un contrôle in abstracto, raisonnant à partir du comportement du « bonus ursus familias » à une période donnée (période de pré hibernation et d’hibernation) et in concreto, au regard de « l’importante présence » de l’ours dans le département l’année précédente.

L’arrêt démontre en outre les bénéfices que peut apporter l’ours pour la protection de la biodiversité puisque l’ours ne sera pas la seule espèce à bénéficier de l’absence de battues. Ce mode de chasse, fortement perturbateur des écosystèmes, nuit par ailleurs grandement aux activités récréatives de la nature (promenade, observation de la faune sauvage etc.)[8].

Cette jurisprudence pourra servir de fondement pour la protection d’autres espèces (nuisibles, chassables ou protégées), que la chasse en battue perturbe également.

Aussi, et n’en déplaisent aux fédérations de chasse qui font pression pour être reconnues comme association de protection de l’environnement[9], les juges du fond considèrent que les mesures en vue d’assurer la protection de l’ours, « initiées par les seuls chasseurs ou leurs représentants », n’instauraient pas une « protection stricte de l’espèce et étaient insuffisantes pour lui éviter toute perturbation intentionnelle, notamment tout endommagement de ses aires de vie ».

L’arrêt révèle enfin la position contradictoire de l’Etat et du ministre de l’environnement.

Après avoir autorisé à plusieurs reprises la chasse au loup dans le cadre de battues aux sangliers, sauvé là encore in extremis par les juges de Toulon et de Marseille[10], l’Etat s’échine encore à défendre jusqu’en appel, des intérêts qui semblent bien éloignés de la protection de la nature, pourtant d’intérêt général[11]…

On lui pardonnera pour cette fois cette offense dans la mesure où le tribunal administratif de Toulouse avait rendu son jugement en « se fondant sur les pièces du dossier et aussi, partiellement, sur une absence de contestation sérieuse en défense »…

En conclusion, la protection d’une des figures emblématiques du bestiaire environnemental déploie ses effets au-delà de son seul objet. L’ancien roi des animaux impose toujours sa loi.

Quentin Untermaier (pour le fond)

Thibault Soleilhac (pour les mauvais jeux de mots)


[1] TA de Toulouse, 16 décembre 2011, n°1103402.

[2] Convention de Berne du 19 septembre 1979 ; directive « habitats » du 21 mai 1992, arrêté du 17 avril 1981 remplacé par l’arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

[3] Une population d’une vingtaine d’ours tout au plus. Voir G. CAUSSIMONT, L’ours brun dans les Pyrénées menacé d’extinction et de consanguinité, Le Courrier de la Nature, n°280, janvier-février 2014, p. 18 et s.

[4] La présence de l’ours brun dans les Pyrénées occidentales est encore plus précaire, limitée à deux mâles de 16 et 9 ans. G. CAUSSIMONT, L’ours brun dans les Pyrénées menacé d’extinction et de consanguinité, précité.

[5] L’acte est en lui-même perturbateur et accompli volontairement.

[6] Philippe BILLET, Le partage de la police de l’ours : compétence et responsabilités, Environnement n°12, Décembre 2009, comm. 138.

[7] Le cas semble simple pour l’ours dont on « sait » qu’il hiberne, mais qu’en est il des espèces dont on ignore parfois les causes de régression ?

[8] J. UNTERMAIER, Pour la Faune sauvage de l’an 2000, France Nature Environnement, mars 1991.

[9] C. CANS, La chasse, une activité protectrice de l’environnement par détermination de la loi ? AJDA 2009, p. 973.

[10] Voir notamment les ordonnances rendues par les tribunaux administratifs de Toulon de Marseille de 2013 qui ont suspendu les arrêtés préfectoraux autorisant les tirs de loup dans le cadre de battues.

[11] Cette contradiction résulte des deux « casquettes » du ministre de l’environnement, à la fois chargé de la protection de la nature et chargé de la chasse…


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