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Fabienne Kabou et la cruelle vérité de l’audience

Publié le 21 juin 2016 par Culturabox

Lorsqu’elle étudiait la philosophie et avait échoué à la licence, l’une de ses professeurs avait dit de Fabienne Kabou : « Elle parle plus pour être écoutée que pour dire. Devant une page blanche, elle ne fait pas illusion. » La page blanche, pour Fabienne Kabou, a été la cour d’assises du Nord, à Saint-Omer, devant laquelle elle comparaît depuis lundi 20 juin pour l’assassinat de sa fille, Adélaïde, quinze mois, abandonnée un soir de marée montante sur la plage de Berck-sur-Mer.

On était venu, aimanté par le mystère de cette femme belle, intelligente, « supérieurement intelligente » même, selon les experts, qui affrontait son crime avec l’humilité du désespoir. Face à la cour et aux jurés, Fabienne Kabou déroulait sa biographie depuis son enfance au Sénégal, au sein d’un milieu intellectuel aisé, son arrivée à Paris après le baccalauréat pour y poursuivre des études supérieures, la découverte heureuse de la philosophie, l’interruption contrainte pour des raisons financières, puis la rencontre avec celui qui allait devenir son compagnon, Michel Lafon. Elle s’attardait surtout sur l’isolement qui avait été le sien dans sa jeunesse, entre une famille décomposée, un père absent et une marâtre hostile, puis au sein d’un couple déséquilibré, avec un compagnon de trente ans son aîné, qu’elle disait indifférent et aveugle à sa détresse.

Elle racontait sa solitude toujours plus profonde face aux maux qui l’assaillaient – des hallucinations, des voix, des menaces, des sorts lancés contre elle – que nul ne voulait comprendre. Ainsi se rapprochait le crime, dans sa terrible nudité – la préméditation du projet, avec la consultation de la météo et des horaires des marées quelques jours plus tôt, puis ces douze longues heures du 19 novembre 2013, pendant lesquelles rien ne l’a arrêtée, depuis son départ matinal de l’atelier de Saint-Mandé jusqu’à la plage de Berck-sur-Mer où elle avait déposé l’enfant.

« J’ai parlé de sorcellerie »

Face à un infanticide, plus que face à n’importe quel autre crime, on a besoin d’être rassuré. Une mère ne peut pas tuer son enfant. La réalité fait peur, on la fuit. La raison bute, on s’aveugle. À la cour et aux jurés, Fabienne Kabou offrait une solution : « J’ai parlé de sorcellerie et je ne plaisante pas. Quelqu’un de stupide dans un coma éthylique ne fait pas ce que j’ai fait. Or, on dit que je suis intelligente. » Elle était donc victime de forces obscures.

L’idée, si rassurante au fond parce que si peu rationnelle, n’est pas venue d’elle. Elle lui a été suggérée, le 23 décembre 2013, dans le bureau du juge d’instruction Hervé Vlamynck, qui interrogeait Fabienne Kabou pour la quatrième fois. Le juge et l’accusée sont face à face. Alors qu’elle vient de lui livrer le récit clinique de l’assassinat de sa fille, il lui demande : « Je sais que vous avez passé un certain nombre d’années de votre enfance au Sénégal et que la culture peut étonner une personne occidentale. Pouvez-vous m’apporter des précisions sur ces conflits ? » Fabienne Kabou semblait d’abord s’étonner de cette question, revendiquant son appartenance pleine et entière à la culture occidentale. Puis, soudain, elle se ravisait, indiquait que la mort de sa fille ne pouvait « être dissociée d’une forme de traque » et évoquait pour la première fois le terme de « sorcellerie ».

À lire la suite de l’ordonnance de renvoi, ce fut comme un sésame. Une porte ouverte sur l’irrationnel, derrière lequel l’accusée, sa défense et le juge d’instruction se sont engouffrés.

Devant la cour, l’illusion s’est déchirée. Et une autre réalité est apparue sous les questions vigilantes de la présidente Claire de Bonnois et celles, franchement hostiles, de l’avocat général Luc Frémiot. Ce furent d’abord ces mensonges répétés venus brouiller la fascination qu’exerçait, sur ceux qui la découvraient, la beauté et l’aisance de l’accusée. Mensonges sur son parcours universitaire, achevé après deux années de DEUG de philosophie alors qu’elle prétendait avoir une licence, et assurait à l’homme dont elle partageait la vie et qui l’entretenait qu’elle préparait un doctorat et même une thèse. Mensonges sur l’argent aussi, près de 90 000 euros, qu’elle avait empruntés à son compagnon au motif d’un investissement immobilier au Sénégal, et dont elle a avoué devant la cour qu’ils avaient en réalité été dépensés dans la consultation de voyants et de marabouts.

Existence dissimulée

Mais surtout, mensonges sur cette enfant, Adélaïde, dont elle a toujours dissimulé l’existence à ses proches. Pendant sa grossesse, quand elle sort, Fabienne Kabou s’enroule dans une parka qui dissimule ses formes. À sa mère, qui l’appelle chaque semaine, elle ne dit rien. Elle fuit ses amies, ne répond plus à leurs messages. Ne voit pas de médecin. Michel Lafon, qui est le seul à savoir que sa compagne est enceinte, ne semble pas accueillir avec bonheur une nouvelle paternité à plus de soixante ans. Elle le rassure : « Ne t’inquiète pas, tu n’auras pas à t’en occuper. » Elle lui explique son projet de confier Adélaïde dès après sa naissance, et pour une année, à sa mère au Sénégal, afin, dit-elle, de pouvoir se consacrer à la rédaction de sa thèse sur le philosophe Wittgenstein.

La naissance est attendue aux alentours du 15 août 2012. Michel Lafon, qui s’est absenté au chevet de son frère malade, a prévu d’être de retour le 10. Adélaïde naît le 9, dans l’atelier, à 4 heures du matin.

Vous appelez votre compagnon ? demande la présidente.

Je me suis dit que ce n’était pas utile.

Lorsqu’il revient, il découvre la mère et l’enfant.

– Que lui dîtes-vous ?

– Que j’ai accouché à la clinique des Bluets.

Elle dit aussi qu’à cet instant, Michel Lafon émet des doutes sur sa paternité.

Je lui ai répondu : « De toute façon, elle est à moi. »

La veille, Michel Lafon, un septuagénaire au regard triste, a expliqué à la barre qu’après la naissance de l’enfant, il a proposé à Fabienne Kabou de l’épouser.

– C’est possible. J’ai dû lui répondre « non » et passer à autre chose.

– Que faites-vous après la naissance de votre fille ? Vous la sortez ?

– Pas au début.

– Jusqu’à quand ?

– Peut-être pendant six mois.

– Et après ?

– Après, c’est Michel qui la sort. Il va au parc avec elle.

– Avez-vous acheté des objets, des meubles nécessaires à la vie d’un bébé ?

– Non, je suis toujours dans cette spirale mensongère de la confier à ma mère. Je diffère chaque fois son arrivée.

Elle se reprend :

– Enfin, l’arrivée supposée de ma mère.

– Pourquoi ne déclarez-vous pas la naissance d’Adélaïde à l’état civil ?

– Parce que je n’y pense pas.

– Michel Lafon s’est-il posé la question de la reconnaître ?

– Il m’a demandé si je l’avais fait.

– Et que lui avez-vous répondu ?

– Que je l’avais fait, évidemment.

– Pourquoi lui mentez-vous ?

– Je me le demande encore.

– S’en occupait-il ?

– Oui, très bien. Il la prenait dans ses bras, jouait avec elle. Il y avait un lien très fort entre eux.

Dans l’atelier, Adélaïde grandit. A dix mois, elle marche. L’atelier de sculpture et la mezzanine aménagée en haut d’une échelle ne se prêtent guère à la mobilité d’une petite fille. Elle souffle sa première bougie d’anniversaire. La présidente observe :

– A ce moment là, n’y a t-il pas urgence à trouver une solution face à un projet de départ au Sénégal qui, en réalité, n’a jamais existé ?

– Bien entendu, Madame.

Trois mois passent. Début novembre, Fabienne Kabou annonce à Michel Lafon que sa mère va enfin venir chercher l’enfant. A son compagnon, elle donne des détails. Sa mère, dit-elle, sera hébergée à Paris chez une amie – dont elle reconnaît avoir inventé l’existence – et repartira le lendemain avec Adélaïde à Dakar. Michel Lafon lui demande si elle a pensé aux vaccins, elle lui répond que oui. Et le passeport ? s’inquiète-t-il. Adélaïde est inscrite sur celui de sa grand-mère, assure-t-elle. Il s’étonne qu’elle ne prépare pas de bagages, elle lui précise que sa mère a acheté des vêtements pour l’enfant à Dubaï. Le jour du départ, il lui propose de les accompagner en voiture chez l’amie imaginaire de sa mère, elle décline. Douze heures plus tard, le 19 novembre, peu après 21 heures, elle dépose sa fille sur la plage de Berck.

Avez-vous vu la mer venir sur votre fille ?

– Je l’ai compris à mes bottes qui s’enfonçaient dans l’eau.

La sorcellerie et les forces obscures semblent bien loin à cet instant. Reste la folie d’un mensonge entretenu depuis des mois, auquel Fabienne Kabou donne soudain en une phrase une terrible et inconsciente réalité :

Je me suis dit que la mer allait l’emporter.


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