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Attention peinture fraîche !

Publié le 15 juin 2012 par Ethiqueemois

« La maison est en carton, pirouette, cacahouète. La maison est en carton, les escaliers sont en papier, les escaliers sont en pa-pier… » Elle nous fait penser à cette comptine enfantine, la maison des artistes de Sceaux, qu’on appelle le « Bloc-House ». Une demeure de bric et de broc hautement sympathique avec, à l’intérieur, un escalier de bois en colimaçon que l’on a grimpé sans se casser le bout du nez, n’en déplaise à la chanson.

A chaque étage, gauche, droite, deux ateliers d’artistes, et surtout un large palier qui se prête à la discussion. C’est qu’ici, cela brasse, des générations, des idées, des tempéraments, des couleurs, des matières, de la peinture, de la sculpture, de la photo, de la vidéo… Pénétrer au Bloc-House vaut plongée express dans la création contemporaine.

Façade du Bloc House (la banderole a été réalisée et accrochée par Christophe Bogdan, un des artistes résidents), portail d'entrée au 54 rue de Bagneux, et chemin qui mène à la maison. © Elodie Ratsimbazafy

Façade du Bloc House (la banderole a été réalisée et accrochée par Christophe Bogdan, un des artistes résidents), portail d'entrée au 54, rue de Bagneux, et chemin qui mène à la maison. © Elodie Ratsimbazafy

Il y a encore cinq ans, cette maison baignait dans son jus 1930. Ancien immeuble de rapport, puis de logements sociaux, le 54, rue de Bagneux, devenu trop vétuste, est alors voué à la démolition. Le pavillon d’en face appartient à la ville, la maison de côté est aussi dans le collimateur de la mairie, le jour où elle sera mise en vente : un ilot social se dessine. En 2007, plutôt que de murer ou de raser pour éviter les squatteurs, la mairie propose aux artistes scéens en quête d’ateliers à loyer abordable de s’y installer temporairement. S’ils se groupent en association, une convention de mise à disposition éphémère et gracieuse pourra être signée. Ne leur restera que les charges à payer.

Nécessité faisant loi, une poignée d’artistes plasticiens de la ville qui ne se connaissent guère, se regroupe. S’empare en janvier 2008 du lieu, en le retapant tant bien que mal. Le gaz est coupé, seule l’électricité est remise aux normes par la mairie, il fait froid l’hiver faute de chauffage suffisant et, comme tous les tuyaux sont en plomb, on évite l’eau du robinet… Mais vu le prix des ateliers en région parisienne, tout le monde est conscient de l’aubaine. « Comment est-ce qu’on ‘rend’ à Sceaux, qui nous fournit cette très belle aide, rare pour une ville de 20 000 habitants, autrement que par deux journées portes ouvertes dans l’année ? », s’interroge alors Jérôme Bouchez, photographe (et peintre sous le nom d’Altone Mishino) – admettant que cette obsession du service rendu à la collectivité, comme ses talents d’organisateur, doivent sans doute beaucoup à sa fréquentation, dans les années 1980, de l’aumônerie du père Bée dont nous vous avons ici parlé.

Voyage d'un univers à l'autre à l'intérieur du Bloc-House. © Elodie Ratsimbazafy

Voyage d'un univers à l'autre à l'intérieur du Bloc-House. © Elodie Ratsimbazafy

Réponse trouvée collectivement : en organisant bénévolement, en divers lieux de la ville, des expositions inédites permettant aux Scéens de goûter l’art contemporain. Comme « Co-incidences », en 2010, au jardin de la Ménagerie, sur le thème de l’histoire, puisqu’en cet endroit se tenait le Bal de Sceaux décrit par Balzac. Jeux de miroirs, arbre emballé d’aluminium, diplodocus bariolé, panneaux réfléchissants capteurs d’âme, 365 fourchettes à crustacés rouges enfoncées dans la pelouse verte et une quinzaine d’autres installations éphémères, le tout sonorisé. Les promeneurs se sont arrêtés. Une autre fois, des photographies sur le thème du noir ont été installées sur le sol de la Halle des Blagis, elle-même plongée dans le noir et éclairée par de maigres ampoules tombant du plafond. Le succès fut moindre. Prochain happening, à la rentrée, une fausse campagne électorale sur de vrais panneaux électoraux, pour le mois de la photo.

D’association par nécessité, le Bloc-House s’est ainsi transformé en collectif d’artistes. Pour chaque projet, réunions et débats s’enchaînent. Deux années de travail en commun pour « Co-incidences ». Wari, au troisième étage, peintre de la «superposition onirique en mouvement », estime que ces manifestations collectives «permettent une recherche à la fois individuelle et collective, une remise en question, une réflexion pour traiter le sujet. C’est riche. Cela crée une harmonie cohérente. » Son voisin de palier, Christophe Bodgan, qui peint sur des palettes industrielles des tableaux plein d’humour intégrant des objets de récupération, parle plus prosaïquement du « conseil que l’on peut toujours demander, il suffit de frapper à la porte d’à côté ». Ou du « plaisir des apéros entre artistes », au débotté.

Cinq des artistes du Bloc-House (dans le sens de lecture) : Wari, Eliza Magri, Jérôme Bouchez, Christophe Bogdan, Vincent Pandellé. © Elodie Ratsimbazafy

Cinq des artistes du Bloc-House (dans le sens de lecture) : Wari, Eliza Magri, Jérôme Bouchez, Christophe Bogdan, Vincent Pandellé. © Elodie Ratsimbazafy

Pour Eliza Magri, plasticienne qui a l’art de conférer une poésie inattendue à la toile d’aluminium, le Bloc-House a été fondamental, l’aidant à s’assumer artiste. « Je viens du monde de l’entreprise, je suis une ancienne du marketing. J’ai commencé la sculpture chez moi, dans mon sous-sol. Cet atelier que j’adore m’a aidée, a facilité ce moment de bascule. En m’installant ici, à mes propres yeux, je devenais une professionnelle. » Ici, poursuit-elle, dans ce lieu « qui favorise l’échange », existe une « dynamique » particulière. Et d’ici, « on diffuse, on s’inscrit dans la ville ». « C’est prépondérant. Ce qui fait exister l’art, c’est le regard de l’autre. »

Dans les escaliers du Bloc-House. © Elodie Ratsimbazafy

Dans les escaliers du Bloc-House. © Elodie Ratsimbazafy

Regards nombreux, le week-end dernier, c’était portes ouvertes. Avec performance musicale dans le jardin. Montées, descentes et stationnements dans les escaliers de personnes de tous âges portant bébés, bouteilles ou victuailles, puisque tout finira (tard) par un couscous dans l’atelier de Wari. Les artistes expliquent leur travail jusque dans ses techniques, les questions frôlant parfois l’atelier de bricolage Castorama. Les noirs des tableaux d’Altone Mishino ne brillent pas tous de la même façon ? « C’est le bitume qui donne ça, il prend le vernis de manière différente. » « Je n’aime pas les musées, nous confie un visiteur. Et dans les galeries, on ne rencontre jamais les artistes, sauf lors des vernissages, mais on n’échange jamais plus de trois mots. J’aime aller là où l’art se crée. »

On croise Marc Bonnel, le dentiste dont nous vous avions raconté qu’il diffuse dans son cabinet les photos aériennes de Florence Arnaud pour apaiser ses patients. Lui-même est agent d’art, et avait ouvert il y a quelques années au centre-ville une galerie (désormais fermée) non loin de celle de Pierrick Touchefeu. « Cet endroit est super. On a l’impression d’être à Berlin, dans ces immeubles entiers mis à disposition des artistes par des mécènes. C’est le côté un peu Soho de Sceaux ! »

Le maire, Philippe Laurent, grimpe aussi les marches en bois. « Un lieu comme ça, ça fait respirer. » Entre lui et les artistes, le concept de « lieu éphémère » occupé depuis cinq ans tourne à la blague. « J’ai vu qu’ils avaient posé à l’entrée une plaque en plexiglas qui les notabilise… », ironise l’édile. Les squatteurs autorisés du Bloc-House, eux, se prennent à espérer que, le jour où des logements sociaux tout neufs remplaceront la maison de bric et de broc, des ateliers seront prévus au rez-de-chaussée.

Oeuvres vues dans le Bloc-House. 1re ligne : Altone Mishino et Liza Magri ; 2e ligne : Vincent et Maria Pandellé ; 3e ligne : Wari et Christophe Bogdan ; 4e ligne : oeuvre collective, et Milan Atanaskovic. © Elodie Ratsimbazafy

Aperçu de quelques œuvres vues au Bloc-House. Leurs auteurs : en première ligne, Altone Mishino/Jérôme Bouchez, peintre et photographe s'intéressant aux divers blocages des sociétés contemporaines, et Eliza Magri, plasticienne travaillant le métal. Deuxième ligne : Vincent Pandallé, photographe qui explore les limites et la relation de couple dans ses installations, et l'illustratice-graphiste Maria Pandellé. Troisième ligne : Wari et Christophe Bogdan, tous deux peintres. Quatrième ligne : œuvre collective, et Milan Atanaskovic, qui a créé une télévision satellitaire et Internet dédiée à l'art contemporain, O art. © Elodie Ratsimbazafy

Le site Internet du Bloc-House

Voir d’autres ateliers d’artistes sur Une année en France :
– A Saint-Pierre-des-Corps, ici et là
– A Montpellier


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