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Schwazer: le module stéroïdien du passeport biologique en est marche

Publié le 24 juin 2016 par Tanialoue
Exemple de module stéroïdien typique (à gauche) et atypique (à droite) par le Laboratoire Suisse D'Analyse du Dopage

Exemple de module stéroïdien typique (à gauche) et atypique (à droite) par le Laboratoire Suisse d’Analyse du Dopage

Le marcheur italien Alex Schwazer pourrait bien entrer dans l’histoire. Non pas comme un énième dopé repenti repris une nouvelle fois par la patrouille antidopage, mais comme le premier sportif confondu par le module stéroïdien du Passeport Biologique des Athlètes.
Le conditionnel s’impose tant que la procédure n’est pas terminée – l’athlète clame son innocence et évoque un complot – mais cette information publiée hier par le Corriere Della Sera indique que le passeport stéroïdien apporte enfin ses premiers résultats deux ans et demi après son instauration. Et qu’il va être fatal à de nombreux sportifs…

Sang, urine et hormones

On connaissait le module hématologique du Passeport, opérationnel depuis 2009, qui consiste à observer les variations de paramètres sanguins dans le temps chez un même sportif (hémoglobine, hématocrite, réticulocytes…) pour détecter les effets indirects de dopage sanguin, tel que transfusions sanguines ou prises d’EPO, souvent indétectables par les techniques d’analyses directes d’échantillons de sang. Sa première « prise » fut le marathonien portugais Hélder Ornelas en Mai 2012. Ce module concerne surtout les sportifs d’endurance bien qu’il ait aussi piégé des spécialistes de force-vitesse, tels que la double championne d’Europe du 100 m haies Nevin Yanit (Turquie). Or pour ces derniers, des scientifiques allemands, belges et suisses ont travaillé depuis plus de 10 ans sur l’élaboration de protocoles d’analyses permettant à l’Agence Mondiale Antidopage de valider la mise en place, officielle et légale depuis janvier 2014, d’un deuxième module, dit stéroïdien.

Depuis les années 80 et les travaux du Dr Donike, pour détecter un dopage à la testostérone, les laboratoires antidopage mesurent dans les échantillons urinaires le ratio entre la testostérone et une molécule quasi-jumelle, l’épitestostérone. Étant donné que le ratio naturel T/E est de 1.0 et qu’en cas de dopage stéroïdien, seule la part de testostérone augmente, un résultat supérieur à 4.0 – plafond statistique adopté par les autorités antidopage – est considéré comme une preuve. Preuve toute relative puisque les chercheurs savent que la concentration de ces marqueurs biologiques dans les urines diffèrent d’une personne à l’autre, selon ses conditions génétiques et ethniques (par exemple, la majorité de la population asiatique possède un ratio de 0.1). Or, les contrôles étant anonymes, il n’est pas possible de tenir compte de ces paramètres individuels et vire souvent au casse-tête, aux doutes bénéficiant au sportif voire aux joutes judiciaires.

C’est encore l’équipe du Dr Donike de Cologne qui a publié en 1994 une évaluation longitudinale et individuelle du ratio T/E, première étude scientifique sur le sujet (1). Vingt-deux ans plus tard, le labo allemand a pu passer de la théorie à la pratique avec le cas Schwazer. Selon Corriere, le ratio du marcheur a été mis en graphique à chaque contrôle de 2016 : les 1er et 24 janvier, le 2 février, le 27 avril, un autre en mars, jusqu’au dernier réalisé en compétition lors de son retour victorieux à la Coupe du Monde de marche à Rome le 8 mai afin de valider la procédure du passeport. C’est ce dernier qui a fait pencher la courbe et mis en évidence celui du 1er janvier, le rejetant hors de la variation physiologique naturelle tolérée. À la demande du laboratoire de Montréal, celui de Cologne a donc retesté l’échantillon en question par une procédure longue (48 heures) et coûteuse (environ 400 euro), l’analyse par « spectrométrie de masse de rapport isotopique » (SMRI), qui a révélé la présence de testostérone synthétique. Cette « prise » – si la procédure aboutit à une sanction – montre à nouveau que le dopage stéroïdien n’est pas plus le domaine des sportifs de force-vitesse que le dopage hématologique n’est celui des spécialistes d’endurance.

Le dopage favori

Le dopage stéroïdien est apparu selon certains témoignages vers la fin des années 50 aux États-Unis, probablement plus tard en URSS en raison de la répression politique stalinienne exercée sur les travaux scientifiques portant sur les hormones à partir de 1950 et qui s’est prolongée pendant une dizaine d’années. En Allemagne de l’Est, le Plan d’État 14.25 consistant en l’administration systématique de stéroïdes anabolisants, a permis des progressions de performances spectaculaires chez ses athlètes en l’espace d’une olympiade, selon les estimations d’un rapport de la Stasi de 1977 (2) :

400 m féminin : progrès de 4 à 5 sec
800 m féminin : 5 à 10 sec
1500 m féminin : 7 à 10 sec
Lancer du poids masculin : 2,5 m à 4 m ; féminin : 4,5 à 5m
Lancer du disque masculin : 10 à 12 m ; féminin : 11 à 20 m
Lancer du marteau masculin : 6 à 10 m
Lancer du javelot féminin : 8 à 15 m
Pentathlon féminin : 20 % de points

Les agents anabolisants sont encore les dopants « favoris » des tricheurs – et manifestement pas que des spécialistes de force-vitesse – si l’on croit le dernier Rapport de l’Agence Mondiale Antidopage. Il comptabilise 1479 résultats d’analyses anormaux, soit 48 % du total rapporté par le logiciel ADAMS en 2014, tous sports confondus. Mais après 217 762 contrôles effectués, cela représente 0,68 % de positifs, un taux qui reflète moins la réalité des pratiques dopantes que l’inefficacité de la méthode de contrôle analytique classique… Il n’existe pas d’étude évaluant la prévalence du dopage stéroïdien chez les athlètes, mais la Fédération Internationale des Associations d’Athlétisme avait estimé dans un article scientifique de 2011 (3) qu’une moyenne de 14 % d’athlètes élites avait eu recours au dopage sanguin sur la population étudiée durant la période 2001-2009 d’après les données du module hématologique. Le Passeport Biologique des Athlète n’était alors pas légalement approuvé, et donc ne pouvait être utilisé pour suspendre les athlètes.

Néanmoins, depuis sa mise en place, son taux de réussite en matière de contrôles pour le dopage sanguin n’a toujours pas dépassé le 1 %, et il s’est avéré être manipulable par ceux qui avaient la gestion des résultats. Malgré des « prises » prestigieuses qui auraient été impossibles sans le passeport, le bilan du module hématologique est loin d’être satisfaisant. L’Agence Mondiale Antidopage compte bien sur son nouveau module stéroïdien, resté au stade expérimental pendant 20 ans, pour inverser la tendance. Un troisième, l’endocrinien qui devra s’attaquer aux facteurs de croissance, est encore dans les cartons.

1) Donike M Évaluation d’études longitudinales, détermination des variations de références par sujets du ratio testostérone/épitestostérone. In Avancée récentes d’analyses de dopage, Actes du 11e Séminaire de Cologne sur les analyses de dopage. Sport und Buch Strausse Edition Sport, Cologne (1994).

2) Höppner M Rapport Technique du 3.3.1977, BStU, ZA, MfS, A/637/79, partie II, volume 2, p. 243-244.

3) Sottas P Prévalence du dopage sanguin dans les échantillons collectés sur des athlètes élite, f Clinical Chemistry, 57:5 p. 762-769 (2011)


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