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Pr Kalvins, inventeur du meldonium : « ce n’est pas un produit dopant ! »

Publié le 08 mars 2016 par Tanialoue
Ivars Kalvins, l'inventeur du Mildronate

Ivars Kalvins, l’inventeur du Mildronate (crédit photo I.K.)

La star du tennis russe Maria Sharapova est la nouvelle « victime » du meldonium, mis au point en 1975 à Riga (Lettonie, ex-URSS) et passé sur la liste des substances prohibées par l’Agence Mondiale Antidopage au 1er janvier. Pas moins de treize sportifs (dont sa compatriote Ekaterina Bobrova, une championne olympique par équipe de danse sur glace en 2014 ou encore la Suédoise Abeba Aregawi, championne du monde 2013 du 1500 m) ont déjà été contrôlés positifs, et ce n’est qu’un début. Commercialisé dans les pays d’Europe de l’Est sous le nom de Mildronate, ce médicament préventif à l’infarctus du myocarde et au traitement de ses séquelles est très prisé dans le monde du sport, puisque l’an dernier, le laboratoire de Cologne révélait en avoir trouvé dans 2,2 % des échantillons urinaires prélevés chez des sportifs professionnels. Chez les Russes, le taux serait de 18 % ! Une absurdité pour son inventeur le Professeur Ivars Kalvins, 68 ans, qui considère que le produit n’améliore pas les performances physiques, malgré le ressenti de certains usagers sur la récupération d’efforts intermittents. Le directeur du Département de chimie médicale à l’Institut letton de synthèse organique ne comprend pas non plus la décision de l’AMA d’interdire l’usage du médicament aux athlètes.

Comment avez-vous mis au point de meldonium ?

J’étais à la recherche d’une substance naturelle réceptive à la formation de réponse physiologique au stress selon les travaux de Hans Selye. A l’époque, j’avais émis l’hypothèse qu’en cas de surcharge mentale ou physique, un déficit de quelques neurotransmetteurs inconnus se développaient dans le corps humain. En regardant les candidats, j’ai trouvé que le gammabutyrobetaine (GBB) pouvait être la substance que je cherchais, car elle était générée en grandes quantités dans notre corps en réponse au stress. J’ai aussi appris qu’elle permettait la poursuite de la transformation en carnitine. C’est pourquoi il semblait nécessaire de préserver l’épuisement du GBB en cas de surcharge de nos capacités et de résister au stress par l’inhibition de la dégradation du GBB. Pour ce faire, j’ai synthétisé le meldonium, une molécule très similaire au GBB, mais qui ne permet pas le processus de transformation en carnitine.

Quels sont les effets physiologiques du meldonium ?

Les recherches détaillées en pharmacologie et en biochimie ont confirmé que le meldonium fait baisser le taux de carnitine chez l’humain et préserve le taux de GBB. Par conséquent, le taux d’oxydation des acides gras pour la production d’énergie est diminué par le meldonium. C’est un point très important car la consommation d’oxygène par les cellules chute également. Cela permet aux cellules du cœur (myocarde) de survivre en cas de surmenage physique et de déficit d’oxygène (ischémie). D’autre part, l’utilisation du glucose pour la production d’énergie est accrue et la formation de lactate est diminuée. Ceci est un autre mécanisme de protection des cellules par le meldonium contre les dommages causés par l’ischémie. Néanmoins, c’est un médicament protecteur qui n’augmente pas la production d’énergie ni les capacités physiques chez l’Homme, puisque le meldonium fait baisser le taux de carnitine – une substance bien connue utilisée comme complément alimentaire en bodybuilding, ralentissant la production d’énergie par les acides gras et donc diminuant la production totale d’énergie dans le corps humain ! L’action protectrice du meldonium en cas de surcharge se développe grâce à une moindre demande en oxygène pour la survie des cellules.

Le Pr Kalvins dans son laboratoire au milieu des années 80

Le Pr Kalvins dans son laboratoire au milieu des années 80 (crédit photo I.K.)

Comment expliquez-vous alors que le meldonium soit ainsi détourné par des sportifs sains ?

Les athlètes s’entraînent très dur, à la limite de leurs capacités physiques. Il pourrait donc être raisonnable de leur recommander du meldonium en tant que protecteur des cellules pour éviter des crises cardiaques ou des dommages musculaires en cas de surentrainement. Cependant, il n’y a aucune preuve scientifique disponible (essais cliniques randomisés en double aveugle) démontrant la capacité du meldonium à améliorer les performances athlétiques. D’un point de vue scientifique, il est même probable que le meldonium, utilisé lors d’épreuves sportives, réduise les facultés physiques car il ralentit l’oxydation des acides gras. Si des athlètes en prennent, ils ne doivent pas s’attendre à de meilleures performances, par contre, ils seront protégés contre les dommages ischémiques des cellules. Cela ne leur permettra pas de gagner, mais de préserver leur santé !

Pourtant, une étude datant de 2012 (1) dont vous êtes le coauteur, mentionne que « le Mildronate augmente les propriétés d’endurance et les capacités aérobies des athlètes » et conclue qu’il est « recommandé pour son usage pharmaceutique qui améliore les capacités de travail des athlètes »…

La dernière phrase de cette référence peut prêter à confusion, si le texte n’est pas compris dans son intégralité. Elle veut dire que durant un entraînement sous le seuil de la charge physique maximale tolérée, en l’absence d’ischémie, les athlètes peut travailler plus longtemps. Mais ce n’est pas le cas pour les épreuves sportives, lorsque les athlètes vont vers leurs capacités maximales et subissent l’ischémie. Les acides gras sont la principale source d’énergie pour le corps humain. Malheureusement, l’apport sanguin pour le coeur est limité. C’est pourquoi l’utilisation du glucose à la place des acides gras, en cas de remplacement total, divisera la production d’énergie des athlètes par plus de 2. Le blocage total de l’oxydation des acides gras ne se produira jamais mais la réduction de cette oxydation par le meldonium va diminuer la performance du coeur de l’athlète. Par contre, puisque l’oxydation du glucose réduit la demande en oxygène pour la production d’énergie, le coeur sera protégé des dommages ischémiques en cas de surcharge. Donc, le meldonium est un protecteur du coeur en cas d’ischémie, il permet de s’entraîner avec une charge moyenne probablement de manière plus durable et plus sûre pour la santé des athlètes.

Le précédent post de blog donnait le témoignage d’une athlete élite sur une application du Mildronate par des sportifs : injection intraveineuse accompagnée de carnitine et d’Activegin…

Les athlètes utilisent différents médicaments mais où sont les preuves scientifiques qu’ils sont efficaces? Bien sûr, l’effet placebo aide ! Si on dit aux athletes que cela améliorera leurs performances, 30 à 40 % d’entre eux progresseront… En l’absence de test scientifique en double aveugle, toute affirmation, même publiée dans des journaux scientifiques, est à classer dans les anecdotes ou les études de cas.

Pour vous, la décision de l’AMA d’interdire cette substance aux sportifs est-elle justifiée ?

Le meldonium n’est pas une substance dopante et à mes yeux elle ne peut pas améliorer les performances des athlètes. C’est pourquoi il est incompréhensible qu’il soit inclus dans la liste des substances prohibées. Les athlètes ont les mêmes droits que les autres humains, c’est à dire le droit d’utiliser un médicament pour éviter, ou plutôt se protéger des dommages sur leur santé, en l’absence d’éléments scientifiques démontrant que ce médicament améliore véritablement leurs performances. Pour moi, c’est une mauvaise décision et une faute professionnelle de leur part. Cela équivaut à interdire de manger de la viande au motif que la viande contient de la carnitine, une substance qui augmente le taux d’oxydation des acides gras et qui stimule la production d’énergie. Interdire le meldonium serait plus ou moins compréhensible si la correction ou la protection métabolique qu’il produit améliorait aussi les performances des athlètes, mais jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas le cas. Donc, cette prohibition doit être levée.

Le Mildronate génère un chiffre d’affaire annuel de près de 70 millions d’euros, soit 0,7 % des exportations lettones. Quel peut-être l’impact économique de la décision de l’AMA sur la production ou l’importation de ce médicament ?

Le Mildronate est une marque déposée par le JSC Grindeks. Bien que le JSC Grindeks soit l’un des principaux fabricants des préparations pharmaceutiques du meldonium, il y en a d’autres qui le vendent sur le marché. C’est une substance active qui est aussi largement disponible sur internet par différentes compagnies internationales. Pour beaucoup de gens, la classification de ce médicament parmi les substances dopantes est comme une validation officielle par l’AMA de sa capacité à améliorer les performances sportives ! Je n’ai pas d’informations directes sur les exportations du Mildronate, donc je ne peux pas commenter, mais je ne serais pas surpris si il y avait une recrudescence des achats sur internet du meldonium par des sportifs non-professionnels.

Le Professeur Ivars Kalvins à l'Institut

Le Professeur Ivars Kalvins, directeur du Département de chimie médicale à Riga (crédit photo I.K.)

(1) Dzintare M, Kalvins I. Mildronate increases aerobic capabilities of athletes through carnitine-lowering effect. Current Issues & New ideas in Sport Sciences. 2012, 5, 59.

Note mise à jour le 7 mars pour inclure une dernière réponse du Pr Kalvins et les annonces des contrôles positifs de Sharapova et Bobrova


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