Magazine Finances

Paradis fiscaux et évasion fiscale : les eaux troubles des multinationales, du football et de la politique !

Publié le 15 décembre 2016 par Raphael57

Paradis fiscaux et évasion fiscale : les eaux troubles des multinationales, du football et de la politique !

C'est peu dire que cette fin d'année aura été marquée dans le domaine économique par de nombreux rebondissements : élection de Donald Trump mais hausse des cours boursiers aux États-Unis, démission de Matteo Renzi sur fond de crise bancaire en Italie, victoire de François Fillon à la primaire de droite sur un programme libéral, etc. Aujourd'hui, je vous propose un billet sur les paradis fiscaux thème dont j'ai souvent traité sur mon blog, suite à la publication de la quatrième édition du rapport annuel réalisé par Eurodad, réseau de 47 ONG européennes dont font partie le CCFD et OXFAM.

Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ?

Comme il n'existe pas de définition juridique unanimement reconnue, chaque État à beau jeu d'affirmer que la lutte contre l'évasion fiscale est sa priorité, ce dont ne se privent pas Monaco, le Luxembourg et même Panama ! Et ce d'autant plus que les critères historiquement retenus par l'OCDE pour caractériser un paradis fiscal une juridiction non coopérative sont difficilement exploitables en pratique. Je vous laisse en juger :

 * la juridiction applique des impôts inexistants ou insignifiants. Ce critère n'est pas suffisant par lui-même pour permettre de qualifier une juridiction de paradis fiscal. L'OCDE reconnaît en effet que toute juridiction a le droit de décider d'appliquer ou non des impôts directs et d'en déterminer le taux d'imposition approprié ;

 * absence de transparence ;

 * existence de lois ou pratiques administratives qui empêchent un véritable échange de renseignements à des fins fiscales avec les autres administrations en ce qui concerne les contribuables qui bénéficient d'une imposition inexistante ou insignifiante.

C'est pourquoi, les critères retenus par les ONG comme OXFAM ou le CCFD pour définir un paradis fiscal (opacité financière, absence de coopération dans les affaires judiciaires, etc.) sont bien plus pertinents, et permettent au moins d'éviter de classer le Panama comme juridiction coopérative quelques jours avant le scandale des Panama Papers...

Quoi qu'il en soit, la Commission européenne dans un accès de velléité réformatrice avait établi à l'emporte-pièce en 2015 une carte des paradis fiscaux plutôt intéressante (pour agrandir, clique-droit sur l'image et choisissez "afficher l'image") :

Paradis fiscaux et évasion fiscale : les eaux troubles des multinationales, du football et de la politique !

[ Source : Le Figaro ]

Las, au vu de la concurrence fiscale mortifère que se livrent les États membres de l'UE, la distinction entre État vertueux et paradis fiscal devient de plus en plus tenue...

Toujours est-il que la lutte contre l'évasion fiscale et les paradis fiscaux doit impérativement commencer par un grand ménage au sein de l'Union européenne, sous peine de revivre chaque année de nouveaux LuxLeaks...  qui prendront la suite des autres scandales comme le compte en Suisse de Cahuzac, les révélations de l'Offshore Leaks et la découverte des montages fiscaux qui permettent aux multinationales de ne presque pas payer d'impôts... Bref, autant de choses qui font rugir l'opinion publique, que l'on soumet à l'austérité, alors même que des sommes impressionnantes dorment tranquillement dans les paradis fiscaux.

Les mesures prises

En 2016, la zone euro s'enfonce dans le marasme, les scandales se multiplient à la Commission européenne, les banques européennes sont en difficulté et la crise semble ne pas devoir trouver de fin dans de nombreux États membres. D'où l'accélération des mesures prises par les dirigeants politiques depuis quelques années pour lutter contre les paradis fiscaux et l'évasion fiscale afin d'engranger des recettes budgétaires supplémentaires. On note ainsi avec satisfaction que l'OCDE s'engage désormais dans une lutte mondiale pour l'échange automatique de données fiscales pour les particuliers, et contre l'érosion des bases imposables des entreprises.

De leur côté, les États-Unis ont comme à leur habitude dégainé l'arme lourde, en votant en 2013 la loi FATCA qui a eu raison du secret bancaire suisse ! Reste à savoir ce que Donald Trump va faire des paradis fiscaux, sachant que lui-même en use pour ses affaires privées et qu'il envisage de nommer à des postes clés de son administration des dirigeants de sociétés pas toujours réticents aux avantages qu'offrent ces juridictions.

Au reste, certaines d'entre elles sont carrément sur le sol des États-Unis. C'est pourquoi, Barack Obama, dans son dernier tour de piste a cherché à les éradiquer partiellement (et trop tardivement...) en promettant d'obliger les bénéficiaires réels de certains types de sociétés offshores implantées dans le Delaware, le Wyoming ou le Nevada à donner leur identité aux autorités fiscales compétentes.

Les limites de ces mesures

Pourtant, le rapport d'Eurodad nous montre que la lutte contre l'évasion fiscale présente un bilan en demi-teinte :

Paradis fiscaux et évasion fiscale : les eaux troubles des multinationales, du football et de la politique !

[ Source: Eurodad ]

J'avais déjà souvent évoqué les rescrits fiscaux dans le cadre d'un billet sur les Luxleaks ou sur les Panama Papers. C'est pourquoi, je me contenterai ici de rappeler l'essentiel. Pour faire simple, les tax rulings s'apparentent à des accords entre une entreprise et l'administration des impôts d'un pays. Ils servent normalement à sécuriser sur le plan juridique une opération (transfert du siège social, création d'une filiale,...), c'est-à-dire que l'administration confirme officiellement à l'entreprise la légalité de son montage fiscal pour cette opération.

Mais ils ont rapidement été détournés de cette fonction par des spécialistes de l'optimisation fiscale (notamment les célèbres cabinets d'audit, les Big4), qui ont transformé les tax rulings en accords fiscaux avantageux. En effet, les multinationales cherchent à dissocier le lieu réel de leur activité du lieu où elles vont déclarer leurs bénéfices et donc payer leurs impôts. Et ces tax rulings participent de l'environnement favorable à l'implantation des multinationales qu'ont souhaité créer certaines juridictions comme le Luxembourg, l'Irlande, le Panama et tant d'autres.

Néanmoins, le rapport Eurodad note avec satisfaction que la transparence fiscale progresse au sein de l'Union européenne et que la France retrouve son rôle moteur dans cette lutte avec lereporting public des entreprises inscrit dans la loi Sapin 2 (censuré néanmoins il y a quelques jours par le Conseil Constitutionnel en raison d'une atteinte à la liberté d'entreprendre...). Encore qu'il faille ajouter un bémol en raison de la directive sur le secret des affaires, qui risque d'étouffer dans l'oeuf toutes les velléités des lanceurs d'alerte et journalistes d'investigation.

La Commission européenne a également progressé sur ces questions, je cite : "l'UE a créé un cadre dans lequel les entreprises des secteurs extractifs et forestiers doivent publier leurs paiements aux gouvernements relatifs à l’exploitation des ressources naturelles. Grâce à cela, les populations des pays riches en ressources pourront plus facilement tenir leurs gouvernements comptables de ces recettes. En outre, les institutions financières de l’UE (les banques) doivent aussi publier un reporting pays-par-pays. Ceci permettra de renforcer la confiance dans le secteur financier. Le 12 avril 2016, la Commission a adopté une proposition de directive qui oblige les groupes multinationaux établis dans l’UE et en dehors à publier un rapport annuel sur leurs bénéfices, les impôts payés et d’autres informations".

Hélas, la liste des paradis fiscaux attend toujours d'être publiée par la Commission européenne, car la précédente dont nous avons parlé plus haut a provoqué à l'évidence quelques grincements de dents... Mais incidemment je viens de découvrir qu'il n'y aurait probablement pas de nouvelle liste, du moins pas avec des noms de juridictions en Europe... Courageuse mais pas téméraire la Commission européenne ! Quant aux conventions fiscales signées avec les pays en développement, souvent au détriment d'ailleurs de ces derniers, Eurodad s'inquiète qu'elles ne fassent l'objet d'aucune révision programmée à court terme. 

La question de l'assiette commune d'imposition au sein de l'Union européenne a aussi refait son apparition. Pour mémoire, la proposition de directive appelée ACCIS (Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt sur les Sociétés), évoquée en 2011, avait pour objectif que "les sociétés exerçant des activités transfrontalières devront se conformer à un système européen unique pour déterminer leur revenu imposable, plutôt qu'aux différents régimes nationaux dans lesquels l'activité est exercée".

Les groupes soumis au régime ACCIS auraient ainsi la possibilité de ne remplir qu'une seule déclaration fiscale consolidée pour l'ensemble de leurs activités au sein de l'Union européenne. "Les résultats imposables consolidés du groupe seraient répartis entre chacune des sociétés qui le constituent par application d'une formule simple. Cela permettra à chaque État membre de soumettre les bénéfices des sociétés résidentes de cet État à son propre taux".

Comme ce n'est jamais le bon moment pour parler de consolidation fiscale, il aura fallu attendre octobre 2016 pour que la Commission européenne propose de relancer l'ACCIS. Mais pour ne pas heurter la sensibilité de certains États fleur bleue, sa négociation se fera en deux étapes. Il n'est pourtant que temps d'avancer sur cette question, qui offrirait un formidable moyen de lutter contre l'évasion fiscale liée aux prix de transfert internationaux. D'où certainement les nombreuses réticences...

Enfin, en ce qui concerne le projet BEPS, commun à l’OCDE et au G20 et qui vise à lutter contre l’évasion fiscale des entreprises multinationales, de sérieux doutes sont émis quant à son efficacité. En effet, les résultats du reporting prévu resteront confidentiels et seront échangés essentiellement entre administrations fiscales, ce qui risque d'en limiter l'incitation à modifier les comportements d'évasion fiscale. 

Les football leaks

Mediapart, associé à onze autres médias membres du consortium European Investigative Collaborations (EIC), nous avait promis une enquête en béton sur les pratiques d'évasion fiscales des stars du ballon rond, et le moins que l'on puisse dire est le feuilleton est à la hauteur des attentes ! On y découvre les innombrables contrats, arrangements, primes et autres gratifications qui démontrent que le football de haut niveau est devenu une véritable industrie du fric (vous en doutiez ?) en quête de cieux fiscaux cléments pour échapper à la contribution commune.

Et quand je pense que des millions de gamins en Europe adulent ces nouveaux dieux du stade sans comprendre ce qui se trame dans les coulisses. En effet, qui osera leur dire que lorsqu'un footballeur qui gagne des millions cherche à éviter de payer des impôts, ce sont les parents pauvres des adolescents qui devront s'y substituer par une hausse des prélèvements sur les classes moyennes ou par une baisse des remboursements de la Sécurité sociale... Piètre conception de l'héroïsme en nos temps contemporains !

Conservons toujours à l'esprit cette déclaration de Henry Morgenthau, secrétaire au Trésor sous la présidence de Roosevelt, qui disait : "les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée. Trop de citoyens veulent la civilisation au rabais".

N.B : l'image de ce billet provient de cet article du site journaldugeek.com


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Raphael57 947 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine